Spécialiste des traditions de la société comorienne, le professeur Moussa Saïd Ahmed a accepté de décortiquer, en quelques mots, pour Masiwa, le grand-mariage comorien. Propos recueillis par Mahmoud Ibrahime
Masiwa – Monsieur le professeur, c’est quoi le anda ?
Moussa Saïd Ahmed –Comme le terme mila, le terme andaest d’origine arabe. Il signifie tradition. Dans la tradition arabo-islamique,le anda relève des hommes alors que le mila dépend essentiellement de Dieu.
Masiwa – Pourquoi le grand-mariage revêt-il une telle importance dans la société de la Grande-Comore ?
Moussa Saïd Ahmed –Le anda fait partie intégrante de la société comorienne. Il rythme la vie des Comoriens, de la naissance à la mort. Avec mes étudiants du Département d’histoire de l’Université des Comores, nous avons recensé une trentaine de anda et cinq Mila. Ce n’est pas fini le travail d’enquête sur le terrain continue: naissance, coupe des cheveux, circoncision, apprentissage du Coran, pêche, cuisine, construction, grand-mariage…Le grand-mariage est une deuxième naissance. Le Comorien naît deux fois: naturellement et traditionnellement. Naturellement, selon la volonté d’Allah et traditionnellement, selon les humains. Lors des réjouissances populaires liées au grand-mariage, les mariés sont assimilés, dans les chansons, à des bébés: owanawanunariwayimbiye, berçons ces enfants, etc.
Masiwa – Le grand-mariage a-t-il évolué au fil de l’histoire ?
Moussa Saïd Ahmed –Le grand-mariage a beaucoup évolué. Il date du temps des groupes générationnels guerriers. Ces derniers passaient tout leur temps à se lancer des défis avant de partir dans les conflits de l’époque. Pour être accepté par les siens, le prétendant guerrier devait être, d’abord, en mesure de manger à lui seul un bouc castré, des grillades de toutes sortes et vider une petite citerne remplie de jus de coco. Ensuite, il était tenu de défier un guerrier présent à l’assemblée. S’il arrive à accomplir ces étapes sans bavure, alors les guerriers reprenaient tous la phrase d’intronisation: Rikubali urilole bo Mtsunga, wendewulo sesi ndewulo nyasi we ndemdru wendanasi trengweni, «nous acceptons que tu nous épouses ô Mtsinga, tu es notre père, tu es notre mère, tu es celui qui nous conduiras aux grandes assemblées (autrement dit aux guerres). Avec l’avènement de la Colonisation, la tradition a cédé la place aux rivalités ostentatoires dans lesquels les repas collectifs occupent une place de choix. Les groupes générationnels, hirimu, ne s’occupent plus de guerres inter principautés, il y en a plus, mais de gestion de la cité.
Masiwa – le anda est-il réformable ?
Moussa Saïd Ahmed –Oui, mais il ne faudrait pas commettre l’erreur d’Ali Soilihi. Car le anda varie beaucoup d’un quartier à un autre, d’une cité à une autre voire d’une région à une autre. C’est une tradition complexe. On ne peut pas généraliser les réformes, comme a voulu le faire le Mongozi Ali Soilihi. Seules les communautés rurales et urbaines sont responsables de tout projet de changement des préceptes de la tradition. À Moroni, par exemple, le grand-mariage a été réformé trois fois.
Masiwa – Peut-on imaginer la société de la Grande-Comore sans le anda ? Pourquoi ?
Moussa Saïd Ahmed –Non, je ne le pense pas. Toutes les sociétés du monde ont leurs traditions. Ce sont des réflexes culturels liés à l’existence. Toutefois il continuera à évoluer et à être adapté à la situation socio-économique du moment.