Recolonisation pour certains, la convention d’entraide judiciaire entre les Comores et la France, Me Abdoulbastoi Moudjahidi revient sur elle et explique les tenants et aboutissants.
Masiwa : Des parlementaires Français ont effectué un séjour aux Comores pour entre autres, encourager l’Etat à ratifier la Convention d’entraide judiciaire. De quoi il s’agit exactement ?
Me ABDOULBASTOI MOUDJAHIDI : C’est une convention signée par les deux pays, le 12 février 2014. À la signature, le gouvernement comorien était représenté par son ministre de la justice de l’époque, Mr Abdou Ousseni. Pour la France, elle était représentée par Mr Philippe LACOSTE, à l’époque ambassadeur de France aux Comores.
La convention a pour objet de permettre une entraide judiciaire internationale en matière pénale entre la France et les Comores. Cette entraide est définie, généralement, comme étant l’ensemble de mesures prises par un État (désigné par le terme de “État requis”) sur demande d’un autre État (désigné par le terme “État requérant”). Elle peut prendre plusieurs formes : l’extradition, le recueil de témoignages ou de dépositions, la remise de documents judiciaires, les perquisitions et les saisies, l’examen d’objets et de lieux, la fourniture de renseignements et de pièces à conviction, etc… Il est important de rappeler que l’extradition et les condamnations pénales sont exclues du champs d’application de la convention du 12 février 2014.
Masiwa : Pourquoi le faire ?
Me A. M : Deux raisons justifieraient aujourd’hui la signature de cette convention.
Tout d’abord, la ratification par la France (le 29 octobre 2002) et par les Comores (25 septembre 2003) de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée du 15 novembre 2000 (connue sous l’appellation de “Convention de Palerme”). Par cette convention des Nations Unies, tous les pays signataires se sont engagés à promouvoir la coopération internationale dans la lutte contre la criminalité transnationale organisée. Donc, la convention d’entraide judiciaire du 12 février 2014 répond à cet impératif, tout en couvrant un champ d’application plus large que celui des crimes transnationaux organisés.
Ensuite, cette convention d’entraide répond à des impératifs sécuritaires et judiciaires pratiques en rapport avec les relations historiques qu’entretiennent les deux pays. Plus de 300 000 comoriens vivent en France. Plusieurs centaines de milliers de comoriens sont également des nationaux français. Marseille est devenue la plus grande ville comorienne au monde. Cette situation entraîne d’importants mouvements d’hommes qui font les allers-retours entre les deux pays. Par conséquent, cela nécessite des mécanismes de coopération dans la répression des infractions commises de part et d’autre. Cette interpénétration d’intérêts sécuritaires et judiciaires peut facilement s’expliquer en prenant deux exemples : l’affaire du crash de l’avion de Yemenia en 2009 et l’affaire relative aux massacres de Handzindzi et Chezani. Les deux procédures n’ont pas pu aboutir efficacement, faute d’un cadre légal de coopération et d’entraide judiciaire entre les deux pays. Pour la dernière affaire, des suspects ont échappé à la justice comorienne parce qu’il n’y a aucun moyen de les contraindre à répondre de leurs actes, une fois réfugiés en France. Cela crée une grave insécurité dans nos deux sociétés et laisse planer un sentiment d’impunité qui, à la longue, finira par impacter dans les relations entre les deux peuples.
Depuis quelques années, des réseaux de trafic de voitures volées existent entre les Comores et la France. Et cela ne peut pas rester longtemps impuni.
Masiwa : C’est quoi la criminalité transnationale organisée?
Me A. M : Selon la Convention de Palerme, la criminalité transnationale organisée est l’ensemble d’infractions perpétrées par un ou plusieurs groupes organisés et commises, soit dans plus d’un État, soit dans un État mais qu’une partie substantielle de sa préparation, de sa planification, de sa conduite ou de son contrôle a lieu dans un autre État, soit dans un État mais implique un groupe criminel organisé qui se livre à des activités criminelles dans plus d’un État, soit dans un État mais a des effets substantiels dans un autre État. Le cas le plus concret pour illustrer ce genre d’infraction est le vol des biens en France par un réseau de trafic pour leur vente sur le territoire comorien.
Masiwa : Qu’est-ce qui changerait après ratification de la convention d’entraide judiciaire ?
Me A. M : Par cette convention, les deux pays signataires s’engagent mutuellement à coopérer dans la répression des infractions poursuivies par leurs organes judiciaires respectifs. Cette coopération peut revêtir plusieurs formes. On peut citer, entre autres, la comparution de témoin ou d’expert se trouvant dans l’Etat requis pour une procédure ouverte dans l’Etat requérant, leurs auditions par vidéoconférence, le transfèrement temporaire de personnes détenues dans l’Etat requis aux fins de permettre l’avancée d’une autre procédure ouverte dans l’Etat requérant, la remise et l’envoi d’actes judiciaires entre les deux pays, les demandes d’informations en matière bancaire et d’interception de télécommunication, les perquisitions, saisies de pièces à conviction et gels d’avoirs, les livraisons surveillées et les opérations d’infiltration des réseaux mafieux pour combattre le crime organisé entre les deux pays. Il est également permis qu’un État dénonce à l’autre État des faits susceptibles de constituer une infraction pour celui-ci.
Toutefois, cette convention ne peut s’appliquer dans l’exécution des décisions d’arrestation et d’extradition, des condamnations pénales, sous réserve des mesures de confiscation, et des infractions militaires ne constituant pas des infractions de droit commun.
Une clause de la convention interdise que des données à caractère personnel communiquées au titre de cette coopération ne puissent être utilisées à des fins autres que celles pour lesquelles elles ont été transmises.
Masiwa : Concrètement, les Comores gagnent quoi à la ratifier?
Me A. M : Cette convention ne peut pas tomber mieux. Pas seulement qu’elle aidera les familles des victimes du crash du vol de Yemenia en 2009 à connaître la vérité sur ce qui s’est passé ce jour-là et à faire leur deuil une bonne fois pour toute, mais elle permettra, une fois entrée en vigueur, de poursuivre certaines personnes bénéficiant de la double nationalité franco-comorienne et d’autres devant les tribunaux français, en cas de laxisme dans le système pénal comorien. Pour illustrer cela, prenons le cas d’un franco-comorien qui commettait un crime aux Comores et que, par la suite, la justice comorienne, pour une raison ou une autre, décide de classer l’affaire sans suite. Dans ce cas précis, il serait possible pour la victime, même de nationalité uniquement comorienne, de porter l’affaire devant les tribunaux français en engageant un avocat français. L’affaire pourrait être élucidée par la justice française avec les moyens que lui donnera cette convention d’entraide, une fois ratifiée par les Comores.
Un autre exemple concernerait des individus qui commettraient une infraction grave aux Comores et qui décideraient de se réfugier en France. À défaut de pouvoir obtenir leur extradition, l’Etat comorien pourrait transmettre les informations qu’il possède sur cette affaire à l’Etat français pour d’éventuelles poursuites devant les juridictions françaises.
Masiwa: Sur les réseaux sociaux, on parle de recolonisation, en reprenant les termes d’un député français, qu’en pensez-vous ?
Me A.M : Il n’y a que ceux qui ont des choses à se reprocher et qui mènent une double vie entre les Comores et la France qui colporteraient des rumeurs pareilles. Pour ce qui concerne le député français, il ferait mieux de lire la convention avant de la commenter. Ils parlent de recolonisation des Comores par la France, de possibilités d’extradition des citoyens comoriens vers la France et l’instrumentalisation de cette convention pour freiner l’immigration clandestine vers Mayotte.
Tout d’abord, aucun magistrat Français n’est autorisé à poser des actes aux Comores. Je précise aussi que l’extradition n’entre pas dans le champ d’application de cette convention. Ensuite, l’article 2 de ladite convention autorise l’Etat requis de refuser la demande d’entraide judiciaire si son exécution est de nature à porter atteinte à sa souveraineté nationale, à sa sécurité, à son ordre public ou à d’autres de ses intérêts essentiels. Alors, si ces polémistes avaient lu cette convention, ils comprendraient que ceux qui ont négocié celle-ci avaient n’avaient pas perdu de vue les problèmes que peuvent susciter la question de Mayotte dans l’application de cet accord. La France ne peut aucunement contraindre les Comores à exécuter une demande qui va à l’encontre de la souveraineté de ce pays. Et pour finir, les livraisons surveillées et les opérations infiltrations peuvent être mis en place en France où aux Comores à la demande de l’une des parties. Plusieurs pays le font déjà. Je ne vois pas en quoi cela serait considéré comme une recolonisation des Comores.
Masiwa : Quelles sont les préalables à mettre en place avant la ratification de cette convention par l’Union des Comores ?
Me A.M : Pour rendre cette convention efficace, les Comores vont devoir réviser leur Code de procédure pénale et créer un cadre légal pour des opérations d’infiltration et des livraisons surveillées. Ces techniques d’enquêtes spécialisées prévues par la Convention de Palerme, ainsi que par d’autres conventions internationales, et reprises par la Convention du 12 février 2014 ne sont pas encore intégrées dans le Code de procédure pénale comorienne. Les Comores accusent beaucoup de retard dans ce domaine.
Propos recueillis par BIM