Après avoir hésité longtemps et sous la pression de l’opinion publique, le gouvernement comorien a décidé fin mars de la fermeture complète des frontières. Cette opération, réclamée depuis quelques jours par les Comoriens, s’est faite d’une manière brusque, désordonnée, avec des changements de date qui ont eu pour conséquence de piéger près de 500 ressortissants en voyage en Tanzanie, Kenya, Madagascar et Dubaï. La mesure a été arrêtée d’une manière dérogatoire, non pas pour faire venir les nombreux Comoriens qui sont sans solution à Dar es Salam, mais pour permettre le rapatriement de Mme Harimia Kassim, présidente de la section administrative de la Cour Suprême, bloquée à Nairobi. Par Mahmoud Ibrahime
En réalité, le gouvernement comorien a longtemps tâtonné sur l’opportunité de fermer les frontières afin d’éviter que le covid19 n’y entre. Un communiqué commun des ministères de la Santé et des Transports le 7 février 2009 avait interdit l’accès au territoire national à tout Comorien qui avait séjourné dans un pays où il y avait le coronavirus. L’État lui imposait de trouver d’abord asile dans un autre pays indemne pendant 14 jours avant d’envisager son retour. Et les compagnies aériennes avaient le devoir de contrôler tout cela. Incroyable, mais vrai.
Les errements du gouvernement
Le 19 mars, les mêmes ministères confirmaient leur volonté d’éloigner tout Comorien susceptible d’avoir le virus par une précision : « Il est suspendue jusqu’à nouvel ordre, l’entrée sur le territoire national pour les voyageurs en provenance de tous pays ayant déclaré plus de dix (10) cas de coronavirus. » (sic)
Le 21 mars, l’Agence nationale de l’aviation civile (ANACM) sort une première note circulaire dans laquelle elle annonce : « (…) tous les vols en provenance de la Tanzanie, la Réunion et Mayotte sont suspendus, exception faite aux vols cargos et humanitaires ». La note circulaire précise que la mesure prend effet à partir du 25 mars.
En Tanzanie, où de nombreux Comoriens sont en voyage d’affaires ou de soins, chacun prend ses dispositions pour pouvoir prendre le dernier avion le mardi 24 mars et arriver aux Comores avant la date fatidique du 25.
Mais, ce 23 mars, une autre note circulaire de la même ANACM vient chambouler leur organisation. Cette fois les instructions du gouvernement sont beaucoup plus restrictives et surtout elles s’appliquent immédiatement, sans laisser aux voyageurs comoriens le temps de se retourner : « (…) l’Union des Comores suspend la desserte de ses aéroports aux vols commerciaux internationaux, à l’exception des vols cargo ». En plus d’avoir un effet immédiat, la décision de fermer les frontières aériennes est étendue à tous les pays.
Cette décision ferme la porte d’entrée dans leur pays à près de 400 Comoriens qui allaient prendre l’avion le jour même à Dar es Salam, une cinquantaine à Dubaï et semble-t-il une quinzaine à Nairobi et un nombre important à Madagascar. Décision inouïe et jamais vue ailleurs. Alors que tous les pays du monde, toutes les diplomaties assistent leurs compatriotes pour les faire rentrer au plus vite au pays, le gouvernement comorien crée lui-même les conditions pour mettre plus de 500 Comoriens dans une situation inconfortable à l’étranger et leur priver de leur droit à rentrer sur le sol national.
Une « dérogation spéciale » pour rapatrier Mme Harimia Kassim
La mesure soulève un tollé et dans une conférence de presse le mardi même, le porte-parole de la présidence, Mohamed Issimaila rassure tout le monde que dès mercredi tous les Comoriens bloqués en Tanzanie et Nairobi allaient pouvoir revenir dans leur pays.
Mais alors, pourquoi cette « dérogation spéciale » de l’ANACEM le même jour pour autoriser l’avion de Kenya Airways en provenance de Nairobi à se poser à Hahaya ? Pourquoi une « dérogation spéciale » pour cet avion partant de Nairobi où il n’y a qu’une quinzaine de passagers comoriens ? Pourquoi ne pas partir plutôt chercher les 400 Comoriens qui sont bloqués à Dar es Salam ?
Après enquête, notre rédaction découvre qu’il s’agit d’une opération du gouvernement pour récupérer Mme Harimia Kassim, présidente de la section administrative de la Cour Suprême. Ce n’est pas n’importe qui. Elle a été appelée à cette fonction par le chef de l’État, après la suspension de la Cour Constitutionnelle. Elle a ainsi, validé depuis 2018, toutes les élections fraudées au vu et au su de tous les observateurs et permis la mise en place de la nouvelle Constitution, la prolongation du mandat présidentiel et la mise entre parenthèses de la tournante qui devait se faire en 2021 à Anjouan. Elle ne pouvait sûrement pas être laissée en danger à l’extérieur, d’autant qu’il reste des élections (troisième tour et élections des maires) à valider. Pour masquer l’opération, tous les Comoriens (13 au total) qui avaient pris un billet dans le même avion sont embarqués avec elle.
Moins d’une heure avant son atterrissage et pour des raisons qui restent mystérieuses, la dérogation accordée à ce vol est annulée et l’avion doit retourner à Nairobi. Mais, le lendemain, le même avion décolle de Nairobi et se pose à Dar es Salam. On pourrait penser qu’il va récupérer les nombreux Comoriens bloqués dans cette ville. Il n’en est rien. Il redécolle avec ses 13 passagers et, sans qu’aucune nouvelle « dérogation spéciale » ne soit rendue officielle, il se pose à Hahaya. Les passagers, dont Mme Harimia Kassim, sont transportés vers l’hôtel le plus chic du pays, le Golden Tulip, pour un agréable confinement qui a commencé.
Des Comoriens abandonnés et sans moyens à Dar es Salam et Dubaï
Ainsi, le ministre de l’Économie, Houmed Msaidié, qui est aussi chargé de la coordination des actions autour du Coronavirus a pu annoncer sur Ortega Live (Facebook), le 25 mars que les Comoriens bloqués à Nairobi sont rentrés dans l’après-midi. Il a ajouté que ceux qui étaient bloqués à Dubaï ont été pris en charge par les autorités locales et des ONG et ont été conduits dans des hôtels, après la fermeture de l’aéroport.
En réalité, selon les renseignements que Masiwa a pu obtenir, les Comoriens bloqués à Dubaï se débrouillent par leurs propres moyens et la diaspora comorienne sur place pour trouver un logement et de quoi manger. Aucune autorité, aucune ONG ne les a pris en charge et ils en témoignent sur plusieurs vidéos sur internet. Notre interlocuteur, très actif dans l’aide apportée aux Comoriens nous certifie que « Ni l’ambassade ni le consul (Comoriens) n’ont bougé pour connaître l’état de ces citoyens ».
L’absence de l’Ambassadeur des Comores est également soulignée à Dar es Salam où la situation est encore plus catastrophique, vu que le nombre de Comoriens empêchés de retourner aux Comores est plus grand. Certains Comoriens campent même devant l’Ambassade comorienne, selon le témoignage de notre journaliste Ali Mbaé. Le porte-parole de Beit-Salam avait annoncé leur retour mercredi et mercredi le ministre de l’Économie a affirmé que le gouvernement étudie toujours une solution pour les rapatrier. Vendredi soir, aucune solution n’a été proposée. Des citoyens qui n’ont pas la chance de s’appeler Harimia Kassim sont laissés à l’abandon, empêchés de revenir chez eux par leur propre gouvernement.