Perdu entre la tradition et la modernité, l’archipel des Comores peine à protéger les femmes contre les mariages précoces qui sont perçus comme des solutions miracles pouvant sortir des familles de leur pauvreté. Certains hommes n’hésitent pas à profiter de la situation pour aller chercher des femmes dans les familles les plus démunies qui disent rarement non tant qu’on leur apporte la dot. Par Noussaïbaty Ousséni Mohamed Ouloubé
Le mariage est le rêve de presque toutes les jeunes filles. Au-delà des contes de fées, elles aspirent toutes à avoir leurs propres foyers et être celles qui prennent les décisions. Par conséquent, le mariage précoce n’est pas toujours forcé et dans le cas des Comores, il est souvent consenti. Les femmes sont ici considérées comme une source de richesse et beaucoup d’entre elles y croient dès leurs jeunes années. Elles naissent pour vivre belles et soumises en attendant la dot et l’or. Avec l’espoir qu’en respectant leurs hommes, les portes du paradis leur seront grandes ouvertes. Enfants, on leur a répété que si elles se comportent bien, des hommes riches les épouseront. Ils construiront pour elles de belles maisons, leur achèteront des voitures ou les amèneront en France. Dans chaque culture, il existe un prince qui viendra libérer la princesse de sa tour enchantée et aux Comores, la maison familiale est cette tour.
Dans ce pays qui se veut bientôt émergent, nous observons que de plus en plus de filles se marient avant l’âge de 18 ans, c’est pourtant l’âge autorisé par le Code de la famille votée en 2005. Pourtant, les mariages précoces sont souvent causés par la pauvreté et les plus touchées sont les femmes. Les familles pauvres se pressent de donner des époux à leurs filles pour diminuer le nombre de ventres affamés. Se sentant comme des charges et n’ayant aucun espoir de trouver un emploi, les jeunes filles acceptent de se marier. Pendant une ou deux semaines, elles seront traitées comme des reines et les petites sœurs auront envie de vivre la même chose. Après les longues cérémonies, elles dépendront de leurs maris qui auront le plus souvent en plus de leurs épouses légitimes, des maitresses à entretenir. Il arrive qu’une fois mariée, une femme compte encore sur ses parents pour vivre. Le mari ne regagne le lit conjugal que pour augmenter le nombre d’enfants qu’il n’aidera pas à nourrir. D’autres ont des maris responsables avec peu de revenus. N’étant pas préparées à travailler pour gagner leurs vies, elles se contentent de se plaindre ou travaillent dur aussi pour gagner peu. Si elles ont de la chance, elles auront beaucoup de filles qu’elles pourront toutes marier très tôt et ainsi diminuer les charges.
Quitter le purgatoire pour l’enfer
Dans beaucoup de cas, les mariages précoces apportent des problèmes là où on a voulu apporter des solutions. On peut prendre l’exemple d’une jeune fille qui avait commencé tôt à fréquenter des hommes. Pour éviter qu’elle fasse honte à la famille, il a fallu la marier au plus vite. Amoureuse de son homme, elle n’a pas hésité à dire « oui » malgré ses jeunes années. Ils se marièrent et eurent un enfant, mais le mari encore jeune, fait aujourd’hui des allers-retours entre le foyer et sa garçonnière et à chaque départ, il amène tout l’argent de la petite famille. L’un des avantages de se marier, c’est la liberté. Les parents ne décident plus à quelles heures doivent sortir et rentrer leurs filles. Cette fille voulait avoir aussi sa petite liberté et était prête à tout pour pouvoir vivre presque comme un homme. Hélas, comme beaucoup d’autres femmes, elle se rend compte qu’elle a quitté le purgatoire pour l’enfer.
L’île d’Anjouan est sans doute l’île de l’archipel où il est facile de se marier. Dans les grandes villes comme dans les villages, il pleut des noces. Et souvent les mariées sont encore adolescentes. Une jeune femme raconte que pendant ses études à Mvuni, un ami étudiant lui a confié qu’il préférait aller étudier à Anjouan, car là-bas, il allait trouver facilement une belle jeune fille à épouser. Il aurait rajouté avec assurance : « J’ai vu beaucoup d’hommes de mon village qui sont moches et qui n’ont pas beaucoup d’argent revenir d’Anjouan avec de belles jeunes femmes ». Le jeune originaire de l’île comorienne de Mohéli aurait bien évidemment demandé qu’on le transfert au Centre universitaire de Patsy. Reste à savoir s’il a trouvé ou non ce qu’il cherchait.
Sauver une famille du déshonneur
Une autre jeune fille a raconté qu’à Madagascar, l’un de ses amis lui a dit : « Quand les hommes de mon île ont de l’argent, ils viennent à Madagascar pour chercher des femmes. Quand ils en ont moins, ils partent à Anjouan ». Elle n’a évidemment pas manqué de jurer que jamais elle ne sera avec un homme de cette île qu’elle a choisi de ne pas nommer. Ce sont des phrases que l’on entend souvent et qui peignent hélas une triste réalité.
Les filles représentent un danger pour les familles, car elles peuvent causer le déshonneur si elles prennent des grossesses hors mariages. Il est donc plus raisonnable de les marier et si les familles riches choisissent des hommes riches, les familles pauvres qui sont plus nombreuses ne choisissent pas. Il est donc courant et parfaitement normal, de trouver à Anjouan un seul petit terrain où une famille construit plusieurs chambres de tailles modestes dans lesquelles vivent toutes leurs filles déjà mariées.
Encore une fois, il faut se rendre à l’évidence et se contenter de crier que le pays ne possède pas de lois de protection de la femme et de l’enfant. La sexualité étant un sujet tabou, l’éducation sexuelle est souvent vue comme une manière de pervertir les esprits des femmes. Jeunes, elles sont des proies faciles et pour cacher leurs erreurs, le mariage reste la seule issue. Là, la justice se contente d’obliger l’homme à épouser la fille qu’il vient de déshonorer sans oublier de lui faire payer une importante somme d’argent si ce dernier n’a pas déjà pris le premier Kwasa-kwasa pour Mayotte. Et si le coupable fuit ses responsabilités, la fille dira que c’est un autre ou sa famille demandera à un cousin éloigné de venir l’épouser et sauver l’image de tout le monde.
Derrière ces mariages plus ou moins consentis se cachent plusieurs enfants qui ont abandonné l’école en croyant que le mariage leur apporterait paix, richesse et bonheur. Ces jeunes filles ignorent qu’elles ne recevront pas une dot et de l’or chaque mois et que pour espérer être riches, elles auraient dû miser sur le travail au lieu de compter sur celui de leurs hommes. Les nombreuses associations pour les droits des femmes et des enfants et l’État comorien semblent être occupés à célébrer les mariages de celles qu’ils doivent défendre au lieu de chercher le moyen de changer les mentalités des familles.