Le mouvement politique que la diaspora comorienne en France a engagé contre le gouvernement comorien depuis mars 2019 a vu des gens qui n’ont jamais manifesté se révéler et entrer dans la lutte. C’est le cas d’un certain nombre de femmes, jeunes et moins jeunes. Kalmachi Abdallah
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Mises à part les manifestations qui ont eu lieu après le crash de l’avion de la Yemenia en juin 2009, on n’avait jamais vu en France autant de femmes comoriennes devant dans les manifestations dans les rues de la Réunion, Paris, Marseille, Lyon, Nice, Dakar… Contrairement à ce qui se passe souvent au pays, dans les manifestations au sein de la diaspora, les femmes sont présentes en grand nombre et devant, actrices. Elles n’hésitent pas à prendre la parole devant les hommes, même si certaines ne militent que depuis peu. Elles rêvent de changer les Comores.
Nous avons décidé de suivre quatre femmes, qui ont des parcours différents qui sont entrées dans le mouvement avec l’espoir d’améliorer le sort du citoyen comorien dans leur pays d’origine.
La première est Julie Mourchidi, qui a fait des études de communication et qui est revenue à Marseille après plusieurs années à l’étranger. Biheri a également fait des études de communication, elle est cofondatrice du mouvement Ufahari wa Komori qui a organisé la manifestation « Acte 1 » pour la démocratie aux Comores à Paris. La troisième est ThoueïbatDjoumbe, docteur en Lettres, professeur de français dans un lycée parisien et mère de trois enfants. Faouzia, la dernière est une fonctionnaire à la Réunion, qui a aussi trois enfants.
Des raisons de s’engager
On leur a demandé comment elles sont entrées dans ce mouvement. Biheri Saïd Soilihia été touchée par la situation actuelle aux Comores, « la fraude massive, les intimidations, les arrestations arbitraires, les mépris affiché envers le peuple » et face à cela elle constatait le peu de mobilisation qu’il y avait alors à Paris.À Marseille,les Comoriens avaient déjà commencé les manifestations.
Julie Mourchidi, s’est engagée plus tard, après la troisième manifestation à Marseille (Acte III), elle a eu soudain l’envie d’apporter « quelque chose à la cause » et très vite elle s’est engagée avec la Conseil Comorien de l’Extérieur pour la Démocratie (CCED) dont elle est aujourd’hui la chargée de communication.
Pour les deux femmes qui ont des enfants, l’engagement est lié à ceux-ci. Faouzia dit que c’est l’arrestation du journaliste Oubeidillah Mchangama, qui a 20 ans comme son fils qui l’a touchée et l’a amenée aux manifestations. « Mon fils Ben sur sa page Facebook en a fait et en fera beaucoup plus [qu’Oubeidillah Mchangama] et je ne pouvais imaginer un seul instant qu’on vienne le briser alors que jeunesse se fait. C’est cette arrestation qui m’a secoué et fait sortir de chez moi ».
Thouéïbat Djoumbé quant à elle, elle s’engage pour ses enfants, qu’elle amène souvent avec son mari dans les manifestations, pour leur apprendre qu’il faut résister quand on n’est pas d’accord avec une injustice.
Les objectifs qu’elles se donnent sont assez similaires : elles veulent défendre des valeurs comme la démocratie, la liberté ou la dignité bafouées actuellement aux Comores selon leurs idées. Si pour Julie Mourchidi, ces manifestations doivent aboutir à une implication plus importante de la diaspora dans ce qui se fait aux Comores ; pour Biheri, elles doivent permettre d’améliorer les pratiques politiques et la justice et rendre le citoyen comorien plus actif. Faouzia, elle voudrait voir les Comoriens se lever pour défendre leurs droits dans une sorte de « Printemps des Comores » pour rétablir une démocratie qui prenne en compte leur vote.
Elles perçoivent cependant des contraintes dans leur engagement récent auprès des hommes. Biheri Said Soilihi rappellent qu’elles doivent satisfaire aux obligations de leurs foyer avant d‘aller manifester. Thouéïbat Djoumbé qui a l’habitude de militer avec son mari note quand même qu’ils doivent trouver du temps pour être avec leurs enfants. Julie Mourchidi la comprend parfaitement : « Nous avons des mères de famille qui tâchent de trouver le temps de jongler entre toutes leurs responsabilités. Nos rôles de fille, sœurs et amies doivent aussi continuer d’exister même quand on est occupé, donc ce n’est pas toujours facile ». Parmi elles, trois ont des revendications féministes. Julie Mourchidi le fait comprendre dans ses propos, elle pointe « cette peur silencieuse de ne pas être entendu. De se demander jusqu’à quand est-ce que l’on va nous étiqueter, nous mettre dans des cases (…) je veux être entendu pour ce que je pense et non pas parce que je suis la fille ou la femme d’un tel ».Biheri Saïd Soilihi, qui se revendique clairement comme « afroféministe », pense que dans le mouvement, les femmes peuvent subir du sexisme, c’est-à-dire que certains hommes peuvent penser qu’elles ne sont là que pour faire de la figuration.
Sont-elles prêtes à aller au-delà des manifestations et à s’engager en politique ? Biheri Saïd Soilihi et Thouéïbat Djoumbé ne rejettent pas complètement l’idée, bien que cette dernière dit qu’il est trop tard pour elle et qu’elle se maintiendra dans l’associatif. Julie Mourchidi également se voit dans l’associatif mais pas vraiment dans la politique.Faouzia qui dit qu’elle sera dans ce mouvement aussi longtemps que nécessaire n’est pas prête à entrer en politique auxComores, mais pour elle la défense des droits de l’homme est nécessaire. Biheri Saïd Soilihi est prête pour un engagement « sur le temps long » pour les droits des citoyens et pour un renouvellement de la classe politique et des vieilles pratiques en cours dans son pays. C’est pourquoi, elle a mis en place avec d’autres ce mouvement Ufahari (« Dignité »).
Comment imaginent-elles les Comores de demain ? C’est un endroit où la prochaine génération de la diaspora peut se rendre et y investir, un « espace économique régional » pour Julie Mourchidi. Biheri Saïd Soilihi voit un pays dirigé par une jeune génération avec de nouvelles méthodes de gouvernance, un pays réellement indépendant. Pour l’enseignante Thouéïbat Djoumbé, ce serait un pays avec des enfants plus instruits et capables de dire non à la corruption et à l’injustice. Quant à Faouzia, son côté féministe se réveille pour réclamer plus de femmes dans la politique, des femmes réellement élues et choisies pour leurs compétences. Pour elle, il n’y a aucun doute, les femmes gèrent mieux.
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