Le nkoma est une tradition de la ville de Ouani, à Anjouan. C’est une des traditions pré-islamiques qui a survécu aux Comores jusqu’à nos jours. Il est la preuve de la coexistence de plusieurs populations d’origines et de pratiques différentes avant que l’islam ne vienne couvrir et unifier les pratiques, sans vraiment faire disparaître les rites animistes. Pourtant, dans la deuxième ville d’Anjouan, les gens qui pratiquent ce rite parlent de son abandon prochainement. Par Mahmoud Ibrahime
[ihc-hide-content ihc_mb_type=”show” ihc_mb_who=”2,3,4,5,6,9″ ihc_mb_template=”1″ ]
Le rite du nkoma est lié à l’installation, avant le VIIIe siècle, avant l’arrivée de l’islam, au nord-est de l’île d’Anjouan (région d’Ouani) d’une population païenne appelée Beja. Celle-ci serait originaire de la Somalie. Elle s’allie dans cette pratique à une autre famille, les Komboni.
A l’origine étaient les djinns
Après un déplacement de leur village vers un point où il y avait une rivière et donc de l’eau, les deux familles ont dû faire face à des pertes d’enfants et de fœtus, jusqu’à découvrir la cause : ils étaient sur un emplacement déjà occupé par des djinns. Un pacte a alors été conclu entre les hommes et les esprits.
Le rite célèbre l’alliance entre ces deux familles et les djinns qui protègent la ville, il marque aussi le respect de la promesse faite à ces derniers par les habitants. À Ouani, c’est un rite accompli tous les trois ans pour demander la protection des ancêtres pour les enfants, les parents ou pour avoir de bonnes récoltes selon l’historien Abderemane Bourhane, ancien directeur du CNDRS à Anjouan et auteur d’une thèse sur « les rites pré-islamiques à Anjouan ».
Le nkoma a été mis en place à Ouani par les Bejani et les Komboni, familles considérées comme les deux familles fondatrices de la ville, deux familles qui sont païennes. Il est organisé sur le site Binti Rasi, d’où sont originaires les deux familles.
Le mot nkoma en swahili désigne les esprits des morts, il s’agit donc avec cette fête, pour les habitants d’Ouani d’entrer en contact avec des êtres surnaturels capables d’intercéder pour eux dans le monde des humains.
A l’origine, il s’agit d’une fête agraire selon certains historiens comme Ali Mohamed Gou. Celui-ci pense que le rite était destiné à permettre aux habitants de la région d’avoir plein de récoltes, mais aussi une pêche fructueuse. D’autres chercheurs affirment qu’il s’agit d’un pacte entre les habitants et les djinns afin de protéger les enfants de la ville. Les djinns vont s’installer à la périphérie de la ville à Binti-Rasi, au bord de la mer, où les hommes doivent venir les voir tous les trois ans.
La tradition s’est donc établie depuis cette période, tous les trois ans, les habitants de la ville et les djinns se rencontrent à Binti Rasi pour manger du bœuf ou de la chèvre et danser ensemble le mdrandra. Ce sont les femmes qui sont chargées d’invoquer les esprits pendant la cérémonie et depuis 1968, c’est Boira Ousseni.
Pour les adeptes de cette cérémonie, une menace pèse sur la non-exécution de ce contrat tous les trois ans. Si la fête n’est pas organisée à temps, une catastrophe survient dans la ville. Et à Ouani on cite tel incendie survenu ou telle autre calamité naturelle destinée à punir les habitants de la ville qui n’ont pas respecté, telle année, le pacte entre les hommes et les djinns.
Le déroulement du nkoma
Jusqu’à présent, les descendants des deux familles font donc tout ce qu’il faut pour honorer le pacte de leurs ancêtres. Lorsque trois années se sont écoulées, ils réunissent les offrandes, la vache (ou cabri) rouge ou blanche tachée de rouge, le riz, le lait et d’autres mets, puis appellent les responsables de l’organisation dans une maison secrète de l’une des deux familles pour se préparer. Dans un second temps, ils organisent une cérémonie au cours de laquelle ils appellent les djinns pour leur montrer qu’ils sont prêts pour la fête. Cela se fait dans une maison gardée secrète chez les Beja ou les Kombo. Lorsque les djinns sont d’accord, les habitants de la ville commencent à préparer ouvertement les festivités.
A Binti Rasi, le jour « J », les femmes préparent le riz en dansant le mdandra autour des marmites, avant d’aller le déposer, mélangé avec le lait, en offrande pour les esprits. Les entrailles de l’animal, sa tête, ses pattes et la peau sont destinées aux djinns et donc sont jetées à la mer. Les hommes préparent les jeux et nettoient le terrain.
L’officiant en transe fait boire le lait aux enfants. Les autres personnes présentes consomment riz, lait et viande, en partage avec les djinns.
Les danses traditionnelles qui y sont effectuées permettent de communier avec les djinns et solliciter leur bienveillance.
La fête dure la journée de 7 heures du matin jusqu’à 15 ou 16 heures. Tout le monde peut y participer.
Tout au long de l’année et pendant les trois ans qui séparent deux organisations du rite, les adeptes viennent régulièrement déposer des offrandes aux djinns, à Bintirasi, au bord de la mer et dans le tronc d’un arbre sacré.
La fin de la cérémonie ?
Cela fait plusieurs années que les fervents djawula menacent et cherchent à interdire cette tradition païenne, alors que son impact diminue et que moins de jeunes y participent.
Le rite pré-islamique est dénoncé par les plus religieux comme une pratique contraire aux principes de l’islam. Du coup, la population se désintéresse. Du coup, un membre d’une des familles organisatrices expliquait à la télévision anjouanais récemment qu’ils abandonnent l’organisation et sont prêts à transmettre le rite à d’autres.
En réalité, le danger vient de la montée des eaux qui a presque entièrement recouvert Binti Rasi. Même l’arbre où l’on fait les offrandes est en danger. Les habitants tentent de le sauver en replantant la mangrove et en interdisant le prélèvement du sable. La mer recouvre peu à peu le ziara.
[/ihc-hide-content]