La situation qui prévaut à la mairie d’Ouani depuis l’arrestation du maire, Ali Chaehoi, mercredi 20 octobre est rocambolesque et représente un danger pour la cohésion de la ville. Elle mêle politique, justice et corruption et elle est sans doute une des conséquences de la manière dont les dernières élections législatives et municipales ont été organisées, mais aussi de l’éjection du ministre de l’Intérieur Mohamed Daoud dit Kiki. En effet, le maire, Ali Chayehoi est un membre du parti Orange, de l’ancien ministre de l’Intérieur. Il a été relâché samedi, alors qu’une fraction des élus l’a déjà suspendu et a désigné pour le remplacer une intérimaire, élue de la CRC, le parti présidentiel. Par MiB
En fin de matinée de samedi, un cortège de voitures défilait dans la ville d’Ouani avec klaxons, chants et danses de victoire. La joie était partout. Pourtant, le sort du maire d’Ouani semble déjà réglé.
Pour l’avocat du maire, Maître Ali Houmadi Djaha, la Chambre d’Instruction a annulé la décision du juge d’instruction qui « est allé vite en besogne ». Mais, le maire est en liberté provisoire, avec certaines restrictions le temps que le juge d’instruction fasse son enquête. En effet, l’accusateur, Ahmed Mohamed Allaoui dit « Droit de l’Homme », troisième adjoint au maire n’a pas été en mesure de fournir à temps les preuves de ses affirmations. Et Me Djaha peut reprendre facilement la phrase préférée des avocats : « Le dossier est vide ».
Un dossier vide qui interroge sur l’emprisonnement du maire
Et l’on comprend assez vite qu’encore une fois la justice comorienne s’est laissée embarquer dans une opération de déstabilisation d’un adversaire politique. Heureusement que la Chambre d’accusation est venue réparer, en partie seulement, le mal. Le parti Orange qui a joué de ce genre de manœuvres (sans que ses adversaires soient mis en prison) dans la ville de Moroni au temps où son leader était au ministère de l’Intérieur risque de se retrouver victime avec la complicité de la Justice, cette fois à Anjouan.
Même si les maires n’ont plus d’immunité d’élus, qu’ils sont aux yeux de la Justice de simples justiciables, comment comprendre qu’on enferme le maire de la deuxième ou troisième ville de l’île sur une simple plainte, sans preuve, sans dossier, sans enquête et que quatre jours après on le libère en attendant que des preuves soient apportées, en sachant que rien qu’en le poursuivant, même sans la prison, on déclenche le processus de sa suspension ? Dans quel monde sommes-nous ?
De là à ce que certains crient au complot, il n’y a qu’un pas, d’autant plus que les éléments de preuves s’accumulent au fur et à mesure.
Le complot
Au lendemain de l’arrestation du maire, le Secrétaire général de la Mairie, Salime Alifeni avait déclaré dans une conférence de presse que la plainte du troisième adjoint, Ahmed Mohamed Allaoui était dû à un conflit entre les deux hommes, un conflit provoqué par les actes illégaux dont ce dernier commettait régulièrement et dont le plus grave est l’usurpation de la signature du maire pour signer un chèque à son propre profit, après avoir refusé de rendre le chéquier de la mairie, ou l’utilisation des insignes de la mairie sans l’accord du maire.
Un Conseiller municipal, Dr Ibrahim s’est également adressé à la presse peu avant la réunion expresse du conseil municipal, d’abord pour dénoncer l’illégalité de cette réunion, car il devait y avoir une convocation officielle du conseil municipal et des chefs de villages, au moins cinq jours avant la tenue de la réunion, principe prévu dans l’article 13 de la loi du 7 avril 2021 promulguée le 21 juillet 2011 et portant sur la décentralisation. Ensuite, il n’a pas hésité à affirmer qu’il y a un complot pour évincer le maire : « J’ai bien peur que ce qui se passe là est une tentative de prise du pouvoir rapidement par un clan composé d’adjoints et conseillers. Je n’ai pas reçu de convocation, j’ai entendu dans la rue et je suis venu les mettre en garde : ça ne peut pas se faire aujourd’hui ».
Un autre conseiller municipal qui s’est adressé aux journalistes est aussi remonté contre cette tentative d’évincer le maire. Il s’agit de Nassur dit « Ndrimu », chef de village. Il s’adresse à ceux qui pour lui ont comploté pour mettre le maire en prison : « Si aujourd’hui vous ne voulez plus du maire, appelez les chefs de villages et conseillers municipaux pour le changer, mais pas l’envoyer comme ça en prison ».
Soilihi Kays, activiste dans les réseaux sociaux, originaire d’Ouani appuie fortement la thèse d’un complot de certains conseillers municipaux et du député Affraitane pour chercher à mettre à la tête de la mairie le 3e adjoint, Ahmed Mohamed Allaoui. Pour lui, la Justice est aussi complice dans ce complot.
Enfermé sans preuve et remplacé le lendemain
Le Secrétaire général de la Mairie avait expliqué qu’après la plainte, le Maire et son accusateur, le 3e adjoint ont été convoqués le lundi 18 octobre pour s’expliquer. Le maire a amené avec lui son bilan financier de mars à octobre 2021, son accusateur responsable des finances n’ayant jamais fait de bilan pour la période précédente. Lors de leur confrontation, le maire a demandé les preuves qu’apporte son accusateur. Il n’en a pas. On les laisse repartir en leur demandant de revenir le mercredi. Lorsqu’ils reviennent, curieusement, il n’y a que le maire qui est reçu par le juge Ben Omar qui lui reproche un détournement de 2 millions et lui demande un dépôt de 2 millions s’il veut rester libre. Le maire demande les preuves qu’il aurait détourné 2 millions et il se retrouve en mandat de dépôt à la prison de Koki.
Le lendemain, le 3e adjoint au maire ne perd pas de temps. Il ne respecte pas les délais prévus par la loi sur la décentralisation promulguée le 21 juillet 2011 dont il fait appel pour justifier la suspension du maire. Il réunit des partisans de la suspension du maire sans convoquer l’ensemble du conseil municipal officiellement et préside une réunion du conseil municipal au cours de laquelle, Mme Sitti Zaharati Keldi, conseillère municipale de la CRC, parti présidentiel a été désignée comme intérimaire.
Un procès-verbal de la séance a été rédigé. Masiwa s’est procuré une copie. Il a été signé par le président de la séance Ahmed Mohamed Allaoui. Mais, maintenant que le maire a été sorti de prison, quelle valeur a cette désignation et ce procès-verbal ? Aucune, répond l’avocat du maire en affirmant que le maire n’a jamais été empêché d’exercer.
Une stratégie bien menée ?
Pourtant, l’accusateur Ahmed Mohamed Allaoui affirme que parmi les restrictions de liberté imposées au maire, il y a le fait qu’il ne peut pas se rendre dans une assemblée et donc qu’il ne peut participer aux conseils municipaux. Il invoque l’article 39 de la loi sur la décentralisation pour annoncer que le maire devait être suspendu dès qu’il a été poursuivi. Effectivement, les stratèges qui ont imaginé de faire tomber le maire d’Ouani savaient qu’il suffisait que la justice poursuive le maire, même sans aucune preuve, pour que celui-ci soit suspendu conformément à cet article 39 de la loi sur la décentralisation d’avril 2011.
Mais, du fait même que n’ont été prévenus pour cette session que les partisans de la suspension du maire, le quorum des 2/3 prévu par l’article 15 de la même loi n’a sûrement pas été atteint. La décision est donc caduque. La même loi oblige que figurent sur le procès-verbal les noms des présents, les débats, les résultats des votes (article 17), tout cela n’a pas été respecté. Mais, de cela Ahmed Mohamed Allaoui qui commence son allocution par des menaces à peine voilées à l’encontre des journalistes n’en a cure. Il avait une mission première, il l’a accomplie, le reste n’est qu’accessoire. Mais, quand on commence à jouer avec la justice et la démocratie, il faut aussi être prêt à assumer les conséquences.
Dans cette affaire qui dure depuis une semaine, ni le ministère de l’Intérieur, Mahamoud Fakriddini, ni le Gouverneur de l’Île, Anissi Chamsidine n’ont trouvé utile de se prononcer sur une crise aussi grave qui a mené un maire en exercice en prison, puis à sa destitution. Ce dernier attend sûrement la décision du gouvernement avant de se prononcer sur ce conflit qui se déroule dans son île. Il a toujours dit que le Coran lui ordonne de toujours être obéissant envers les décisions venant du « Chef », quelle que soit sa nature. La décision du gouvernement permettra aussi de savoir si ce dernier après s’être débarrassé de son chef, veut à présent liquider le parti Orange en éliminant ses quelques élus.
Par contre, dimanche après-midi, le maire a reçu la visite de Youssoufa Mohamed Ali, Délégué auprès de la présidence, chargé de la défense et Secrétaire général de la CRC. Rien n’a filtré de cet entretien, mais le maire que certains ont pu apercevoir pendant le match de football Mirontsy-Ouani, avec son écharpe, a annoncé sa réinstallation à son poste ce lundi matin.