Chaque pays dispose de sa liste de superstition, ce fait de croire que certains actes, certains signes entraînent mystérieusement des conséquences bonnes ou mauvaises ; croyance aux présages, aux signes. Au Sénégal, par exemple, « il est fortement conseillé de garder ses prévisions et ses plannings de déplacements privés. En effet, si une personne est au courant, la légende dit que le voyage se déroulera très mal ». C’est le cas à Madagascar où on considère que certains malheurs comme les accidents ou les maladies sont les conséquences d’un manquement au culte des ancêtres. C’est un châtiment infligé par ceux-ci pour avoir violé un « fady » (tabou). Or, si la croyance superstitieuse est une production culturelle des hommes, elle ne répond que très indirectement au principe de réalité. « Il arrive pourtant parfois qu’elle marche à partir de modalités qui n’en constituent pas l’origine mais qui sont utilisées pour la justifier. Un certain nombre de phénomènes biologiques et psychologiques peuvent donner l’illusion de la réalité des faits superstitieux ». (Emmanuèle Gardair et Nicolas Roussiau, 2014)
Les Comores disposent de leur liste de superstitions et le Grand-mariage se trouve en tête de liste. Ne pas faire le Grand-mariage, c’est s’exposer à tout malheur au point qu’on devienne une personne maudite. Certes, les hommes et les femmes disent faire le Grand-mariage au nom de la tradition mais en réalité la raison principale est qu’ils ont peur de devenir « des personnes maudites » pour n’avoir pas accompli le Grand-mariage.
Chaque localité dispose de noms de personnes n’ayant pas accompli le Grand-mariage et considérées comme maudites. Les habitants trouvent tous les défauts du monde pour les leur coller afin de faire peur aux autres. « Tu ne vois pas comment il est Monsieur X, il n’a ni enfant, ni maison, et il a toutes les maladies du monde. C’est pour avoir refusé de faire le Grand-mariage », disent souvent les aînés aux jeunes pour illustrer le fait que le Grand-mariage constitue une superstition.
Mais posons-nous la question de savoir si vraiment, on peut continuer à croire que renoncer à un fait social peut engendrer des malédictions ? Peut-on le démontrer scientifiquement ? Nous pensons que non. Aujourd’hui, nous voyons beaucoup de personnes dont des intellectuels et n’ayant pas fait le Grand-mariage et pourtant ils vivent bien. Ils sont instruits, ils ont un bon emploi, ils ont construit des familles, ils ont bâti de belles maisons, ils voyagent dans le monde, bien que socialement on puise ne pas leur donner de la considération. Et pourtant, de nombreux Comoriens ont accompli le Grand-mariage et ils ont l’aire très malheureux : ils n’ont pas d’emploi, le quotidien n’est pas assuré et ils ont un lendemain très incertain.
Alors, comment la société, au nom de la tradition, peut supposer qu’un homme qui n’assure pas son quotidien est meilleur que celui qui est totalement indépendant pour la simple raison qu’il a accompli le Grand-mariage. Comment peut-on admettre qu’un notable qui vit de la mendicité dispose de la dignité et de la personnalité que celui à qui il tend la main chaque matin, et que celui-ci devra supposer que ses qualités humaines vont se perdre s’il ne devient pas mendiant comme l’autre ? Certes, le ridicule ne tue pas : beaucoup de ceux qui ont socialement réussi n’ont pas réalisé qu’ils devaient constituer le nord quand ils se mettent à imiter les autres. D’ailleurs, la plupart des hommes ayant dirigé les Comores n’ont pas accompli le Grand-mariage, de la période coloniale à aujourd’hui. Des personnalités religieuses, scientifiques et culturelles ayant marqué l’histoire des Comores ne l’ont pas fait non plus.
Mistoihi ABDILLAHI Écrivain et Sociologue