La crise sanitaire mais aussi la pression du régime en place avaient dissuadé un bon nombre de Comoriens vivant à l’extérieur de passer des vacances au pays en 2020. Les célébrations des mariages avaient même été remises à plus tard. Le recul de la covid-19 a ramené les membres de la diaspora en vacances au pays. Comme tous les citoyens, ils subissent la pression de l’armée et parfois les vacances tournent au cauchemar, même pour les enfants qui se retrouvent incarcérés. Par MiB
Alors que nous approchons de la fin des vacances, les jeunes qui ont passé leurs vacances aux Comores ont commencé à raconter les problèmes qu’ils ont rencontré au pays cette année. Le constat est qu’au-delà des différentes pénuries (gazole, électricité, alimentation…), la pression des gendarmes a été la plus compliquée et celle qui a provoqué le plus de stress surtout pour certains enfants mineurs qui allaient pour la première fois aux Comores.
Les militaires semblent agir sans contrôle ni des politiques, ni du procureur ni de leur hiérarchie. Ils ont oublié les règles de base. Le décret n°21-053/PR, ainsi que les arrêtés instituant des amendes ne leur permettent pas d’enfermer les contrevenants et surtout recevoir les payements des amendes qui devraient être versées au Trésor public et entrer dans la comptabilité générale de l’État.
Or, les forces de l’ordre agissent comme si les missions de surveillance pour faire respecter les mesures de luttes contre la covid-19 était un emploi parallèle permettant de bénéficier d’une deuxième source de revenu.
Des amendes qui ressemblent à des rançons
Les premières victimes de cette avidité des militaires sont les Jeviens, les membres de la diaspora en vacances, réputés avoir beaucoup d’argent. Dans son intervention du 18 août 2021 sur FCBK FM, le journaliste Oubeid Mchangama disait « l’atmosphère n’est pas bonne pour les Comoriens qui viennent ici » et il explique cela par le fait que « chaque Jeviens qui arrive ici, le gouvernement pense qu’il a énormément d’argent ». L’objectif premier est donc de plumer les Comoriens de la diaspora en vacances et tous les moyens sont bons. Jusque-là, les membres de la diaspora étaient harcelés sur les différents points de la douane et des ports. Certains habitants d’Anjouan allant jusqu’à payer deux fois des droits de douanes à Moroni et à Mutsamudu.
Cette année, grâce à la covid-19, les militaires s’en donnent à cœur joie dans les festivités organisées par les Jeviens. Selon plusieurs témoignages, souvent filmés et diffusés sur internet, des célébrations de mariages sont interrompues, les convives faits prisonniers, y compris les mariés, jusqu’au payement des amendes. Directement à l’armée.
Les Jeviens peuvent payer
Tout sert de prétexte à plumer les Jeviens, réputés avoir beaucoup d’argent. Un jeune en vacances a été arrêté à 22h30, soit 30 minutes avant le début du couvre-feu. Les gendarmes le gardent un bon pour contrôler ses papiers. A 22h55, il demande ce qui va lui arriver si jamais il est pris après 23heures dans la rue. Les gendarmes lui répondent : « Tu dormiras en prison »
L’événement qui a été le plus commenté dans les réseaux sociaux est la rafle qui a eu lieu dans un restaurant populaire de la capitale, Moroni, le vendredi 13 août. Vers 22 heures le restaurant est plein, essentiellement rempli par des jeunes et même très jeunes venus en vacances aux Comores. Visiblement, les responsables du restaurant n’ont pas respecté les règles posées par le gouvernement s’agissant de la protection contre la covid-19, règles qui ne sont pas respectées non plus par le gouvernement qui organisent des rencontres avec des centaines de personnes, ignorant la limite des 50 posée dans le décret cité plus haut.
Mais, au lieu de s’en prendre au restaurateur et lui infliger une amende, les gendarmes savent que les jeunes de la diaspora sont de bons clients. Ils décident d’embarquer plus de 50 personnes. Le frère de l’un des jeunes raconte : « Ils demandent à tout le monde de sortir. Tous ceux qui sortent se font embarquer pour non-respect des mesures barrières… »
Mais, parmi les jeunes arrêtés, il y a les fils du chef des services secrets, Fakri Mradabi. Un témoin raconte qu’il est appelé à la rescousse par un membre de la famille. Il arrive, gare sa voiture devant le pick-up de la gendarmerie et « exige que ses enfants lui soient remis. » Le même témoin ajoute : « Après quelques échanges un peu houleux les gendarmes cèdent il parvient également à récupérer quelques amis de ses enfants ».
Les autres enfants parmi lesquels se trouvent de nombreux mineurs, dont un de 11 ans selon notre témoin dorment en prison. Les gendarmes attendaient sans doute que les parents viennent payer des amendes pour les récupérer. Ils sont pour la plupart des Jeviens et ont l’argent. Ils exigent 40.000 FC (80€) pour chacun. Une amende fixée d’une manière arbitraire puisqu’aucun décret ou arrêté ne prévoit la verbalisation du client en cas de dépassement de la jauge dans un restaurant. Finalement, c’est le patron du restaurant, qui est aussi le président de la Chambre de Commerce, Chamsidine qui vient payer « la rançon ». Au total, il a dû remettre aux gendarmes plus de 1.400.000 FC (près de 3000€) pour faire libérer les jeunes de la diaspora.
Pris dans une mosquée de la gendarmerie
Mais, il n’y a pas que dans le domaine des amendes où les forces de l’ordre agissent et mettent la pression sur les vacanciers. Nafissat Ahamed, une femme très critique envers toutes les injustices commises aux Comores, en a fait l’expérience, après dix jours de vacances dans son pays d’origine. Elle décrit une ambiance de peur : « Un séjour de 10 jours dans mon pays, la peur au ventre (…) Mon pays va mal, très mal ». Une surprise l’attend à l’aéroport : « au moment d’entrer dans la salle d’attente, un haut responsable de la sécurité nationale » l’interpelle et lui demande ses papiers qu’il photographie et lui rend. Elle en conclue qu’il voulait juste l’impressionner.
Par contre, les choses se sont corsées pour deux amis : Nadhir Abdallah, originaire de Moroni et Toihir Hadji Ali surnommé « Colonel » en référence à Bob Denard, originaire de Mbeni venu passer des vacances au pays. Ils cherchent une mosquée où prier et ils s’égarent dans une mosquée de la gendarmerie encore en construction au sud de Moroni. Il eut des échanges envenimés avec des gendarmes qui décident de les arrêter.
Nadhir Abdallah est relâché assez rapidement, liberté provisoire avec obligation d’aller pointer à la gendarmerie chaque semaine jusqu’au jugement. Son ami, ancien entraineur du mythique club de football « Bombon Ndjema » est incarcéré près d’une semaine. L’ordonnance de mise en détention provisoire signé par le juge d’instruction Oussamat Abbas est très vague. Les motifs de l’inculpation indiqués sont « participation à un groupe criminel organisé, trouble à l’ordre public et complicité ». Rien qu’en tenant compte du premier chef d’accusation, on ne comprend pas comment le juge a pu accepter une liberté provisoire. Or en une matinée, jeudi dernier, Toihir Hadji a pu être entendu par le juge, ensuite son avocat a déposé une demande de mise en liberté provisoire et le juge s’est prononcé positivement dans la foulée. Il est permis de s’interroger sur le pourquoi et le comment un juge peut accorder rapidement une mise en liberté provisoire à un homme accusé de « participation à un groupe criminel organisé ».
Comme son ami Nadhir Abdallah, il a reçu l’ordre de ne pas communiquer sur l’affaire. Peut-il rentrer en France ou devra-t-il attendre un hypothétique procès ? C’est ce que nous n’avons pu déterminer.
Un membre de la diaspora encore en prison
Le dernier cas est celui de Farid Youssouf, un jeune homme originaire de la ville de Banga Kuuni au nord de la Grande-Comore, présenté par certains comme « le cerveau » du parti Juwa en France. Cette désignation pourrait servir de justificatif à un long enfermement, Juwa étant le principal parti d’opposition avant l’arrestation et l’emprisonnement de ses principaux dirigeants dont le président d’honneur, Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, en résidence surveillée depuis plus de trois ans.
Pourtant d’autres témoins qui le connaissent bien affirment que rien ne fait de lui le cerveau de ce parti en France, mais qu’il est un peu fanfaron.
L’homme aurait quitté son village pour se rendre à Mnungu, près de Mbeni et il aurait été cueilli par les militaires qui visiblement le suivait. Les autorités n’ont pas communiqué sur cette arrestation.
Jusqu’à présent le gouvernement comorien avait évité d’arrêter et mettre en prison des membres de la diaspora. Ces derniers temps, il n’hésite plus.
Ces arrestations nombreuses cet été sont également destinées à impressionner et faire peur aux jeunes de la diaspora qui arrivent au pays à l’occasion des vacances, surtout ceux qui ont annoncé qu’ils vont organiser une « manifestation pacifique », les Mabedja.