Une épidémie d’origine inconnue sévit à la maison d’arrêt de Koki (Anjouan). Elle a fait un mort il y a quelques jours, envoyé huit détenus en soins à l’hôpital de Hombo et laisse des questions en suspens. Par KAY
Il y aurait en réalité deux décès en un mois. Le premier au début de ce mois de juillet, remis à la famille dans le secret. Ce cas a été révélé à Masiwa par un pompier qui requiert l’anonymat et qui n’a pas non plus voulu nous indiquer la localité d’origine du décès ni sa famille. Puis, il y a eu ce deuxième décès, mercredi dernier. Un détenu nommé Attoumane Maanfou alias Agoro, âgé de 20 ans à peine, est mort dans une cellule alors qu’il avait fini de purger sa peine pour vol de « mataba », feuilles de manioc dans un champ.
Une épidémie
Depuis quelques semaines, certains prisonniers se plaignaient de douleurs articulaires et de gonflements inhabituels du corps sans que cela ne préoccupe les responsables de cette maison d’arrêt connue pour sa vétusté, son étroitesse et son manque d’hygiène.
C’est une prison composée de trois salles qui servent de dortoirs pour une capacité estimée à 40 détenus. Quand l’épidémie s’est déclarée, il y avait, selon des sources internes de la prison, 61 détenus. Dix prisonniers ont été immédiatement libérés le mercredi même pour désengorger la maison d’arrêt, huit autres ont été transférés au centre hospitalier de Hombo. À l’heure où nous bouclions ce numéro, aucune autorité judiciaire ou gouvernementale ne s’est exprimée sur le sujet.
Et pourtant, les conditions carcérales à Koki, jugées inhumaines par ceux qui y ont séjourné ou visité, étaient connues de tous. À défaut d’améliorer les conditions de vie en détention, l’État s’est toujours évertué à renforcer les murs de sécurité et la garde des prisonniers et jamais le confort, ne serait-ce que pour préserver la santé de ceux qui y séjournent.
Des prisonniers délaissés
La dernière fois que Masiwa a eu accès à cette prison, c’était sur invitation d’une ONG, en partenariat avec une chancellerie de la place, pour une remise d’une cuisine à foyer amélioré (la vraie première cuisine de la prison depuis sa construction). Nous avons également pu assister au récurage du bassin d’eau et d’un carrelage des latrines hors normes à l’intérieur des trois blocs de détentions. C’était il y a moins de 5 mois.
Nous étions surpris de voir qu’aucune mesure particulière n’avait été prise dans les chambres de détentions bien qu’à l’extérieur les invités du jour arboraient fièrement masques et gels hydroalcooliques pour faire face à la covid-19 qui sévissait. Par contre, aucun des prisonniers ne portait de masque de protection. Ils étaient serrés les uns contre les autres derrière la grille d’un long couloir qui sert de zone de « respiration ».
À l’intérieur de ses trois étroites pièces qui servent de cellules communes selon le degré de peine et de dangerosité des locataires, une dizaine de lits pour 61 détenus. Les conditions d’hygiène et d’alimentation laissaient à désirer. Un repas par jour est la règle dans ce palace où tomber malade est synonyme de mort probable.
De za Mgu avendza
Il était évident qu’un jour ou l’autre le pire allait se produire et comme ça arrive souvent dans cette prison, les dernières victimes ont été déclarées morts de « mort naturelle » et les corps remis aux familles avec la formule consacrée « De za Mgu avendza » (« C’était écrit »). Ce fut le cas la semaine dernière avec Attoumane Maanfou dit Agoro mort dans d’atroces souffrances et dans l’indifférence des geôliers et de l’équipe médicale responsable de la prison de Koki.
Agoro avait pourtant purgé la totalité de sa peine. Il était encore retenu à Koki pour non-payement de l’amende du délit qui l’aurait conduit en prison où il avait passé un an ferme.
Il avait été jugé coupable dans une affaire de vol de « mataba », feuilles de manioc, dans un champ.
Selon divers témoignages, Agoro n’allait pas bien depuis plusieurs jours tout comme d’autres prisonniers, mais l’alerte n’a pas pu passer au-delà des épais murs de Koki. Il a fallu qu’il meure pour que les gardiens l’amènent à l’hôpital, pour constater le décès.
Et ce n’est qu’à partir de cette bavure que des mesures de désengorgement expéditif de la prison ont été entreprises, que des malades ont été transférés à l’hôpital et qu’un gardien en chef loue les bienfaits de la République et des pompiers pour leurs réactions à chaque fois que la prison demande leur assistance. Il faut comprendre : quand il y a des décès ou des évadés.
Le mutisme de la justice n’est pas nouveau. Quant aux autorités sanitaires, rien n’a encore filtré de la source de l’« épidémie ». Si épidémie il y a. Car beaucoup pensent que le véritable virus qui prolifère dans cette prison serait la violation manifeste des droits élémentaires de la personne en détention.