Kader Irchad Barry est le coordinateur du projet de sensibilisation pour la promotion de la participation politique des femmes en Union des Comores, financé par la Coopération Australienne. Il a rejoint ECES en 2014, en tant que Coordinateur local chargé d’appuyer la mise en place du projet d’appui à la crédibilité et la transparence des élections en Union des Comores. Il a ainsi participé, en appui aux experts électoraux, à l’organisation des processus électoraux de 2015 et de 2016 en Union des Comores, puis à l’organisation et la conduite de l’évaluation du cycle électoral de 2014-2016. Il a contribué à l’élaboration par ECES de la Stratégie d’assistance électorale européenne promouvant la participation politique et électorale des femmes, qui permet d’identifier, comprendre et agir sur les déterminants de la faible participation politique des femmes, et contribue à l’élaboration de sociétés démocratiques plus inclusives et justes. Propos recueillis par Idjabou Bakari
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Masiwa – Pourquoi l’ECES s’intéresse-t-elle à la question du genre ?
Kader Irchad Barry – Bonjour, et tout d’abord merci de m’accorder la possibilité de m’exprimer dans votre journal sur ce sujet important pour l’Union des Comores et pour notre organisation, le Centre européen d’Appui électoral, ECES. Comme vous le savez, ayant eu l’honneur de vous compter parmi les acteurs de l’évaluation du cycle électoral de 2014-2016, notamment sur le volet législatif, ECES a mené une assistance technique électorale aux institutions comoriennes chargées des élections de 2014 à 2018. Durant cet accompagnement, la dimension du genre a été prise en compte de manière transversale par les différents projets mis en œuvre. C’est plus particulièrement lors de l’évaluation du cycle électoral en 2016 que la problématique de la participation politique des femmes nous est apparue comme préoccupante. En effet, en Union des Comores, au-delà de la faiblesse de la représentation politique des femmes, nous avons constaté une faiblesse importante des candidatures des femmes. Les chiffres qui ont été présentés au cours de l’atelier font état d’un taux de 3.76% aux élections législatives de 2015, de 3.98% aux élections communales, de 5.43% aux élections des Conseillers des îles, de 4.47% aux élections des Gouverneurs de 2016, et de 3.7% aux élections du Président de l’Union. À cela s’ajoutaient des constats difficilement compréhensibles à première vue, comme une absence de liste électorale portée par une femme aux élections communales, sur l’île de Mohéli notamment, alors que les élections locales étaient en apparence censées revêtir moins d’enjeux que des élections insulaires ou nationales. Je dis bien en apparence, car comme vous avez pu le remarquer lors de la restitution de l’enquête préliminaire menée auprès de plusieurs personnalités, notamment des religieux et des dignitaires, la course à la représentation locale en Union des Comores est celle qui fait intervenir le plus de considérations sociales et culturelles. Partant de ces constats, ECES a souhaité contribuer à une plus grande compréhension de cette problématique, et à renforcer les actions visant à y apporter une solution. Il s’agit pour notre organisation d’un engagement qui s’inscrit dans le cadre des objectifs de développement durable, notamment le cinquième objectif (celui de l’égalité des sexes d’ici 2030) que nous cherchons à faire atteindre plus spécifiquement sur le volet des élections qui est notre domaine d’intervention.
Masiwa – Vous venez d’organiser un atelier de deux jours, en partenariat avec la plateforme des femmes politiques, quel en était l’objet ?
KIB – L’objet de cet atelier était de restituer d’abord les résultats de l’enquête préliminaire sur les barrières à la participation politique des femmes en Union des Comores, de permettre ensuite un échange entre les acteurs concernés afin d’approfondir la compréhension des facteurs de la faiblesse de cette participation, et d’amorcer enfin une stratégie ainsi qu’une dynamique de plaidoyer pour améliorer significativement la participation des femmes à la vie sociale et politique, dans la continuité des actions que nous menons en Union des Comores depuis 2016 sur cette thématique particulière.
Masiwa – Quels sont les participants à l’atelier ?
KIB : Ils ont été choisis pour ce qu’ils représentaient en tant qu’acteurs ayant une influence sur cette participation. Les leaders des partis politiques de l’Union des Comores, notamment, car le modèle que nous utilisons souligne le rôle important joué par les partis politiques dans la promotion de la candidature des femmes ; les leaders religieux et les notables, du fait de l’importance des facteurs socio-culturels et religieux sur cette thématique ; les institutions de l’Etat, dont le Ministère de l’Education nationale, et le Gouvernorat de l’île de la Grande Comore ; la société civile, notamment les organisations féminines du secteur privé, les organisations de la jeunesse ; et les médias, dont l’influence est très importante.
Masiwa – Ont-ils répondu aux objectifs assignés ?
KIB : Je pense que oui. De ce point de vue, les résultats de cet atelier ont été atteints. J’ai particulièrement apprécié l’implication des leaders des partis politiques qui, au-delà de toutes considérations politiques, ont souhaité contribuer à la compréhension de cette sous-représentation, avec franchise et le franc-parler que nous leur connaissons. Les questions qui crispent ont été soulevées, et traitées avec responsabilité, respect et vérité : notamment la question cruciale du financement des campagnes, et celle de l’impact de la mise en place d’un quota au sein des partis politiques. Les recommandations fournies par les participants ont permis de faire l’ébauche d’un document stratégique pour la promotion de la participation des femmes à la vie sociale et politique de l’Union des Comores d’ici 2030. Et une déclaration a été rédigée, pour fédérer l’ensemble des acteurs désireux de construire une Nation plus juste et plus équitable du point de vue du genre, et amorcer justement la dynamique de plaidoyer nécessaire pour accompagner la mise en œuvre de cette stratégie.
Masiwa – Quelles sont les recommandations les plus importantes émises ?
KIB – Je vous citerai les grandes orientations. Les recommandations formulées ont voulu notamment agir de manière transversale pour réduire les stéréotypes sur le genre au niveau de la société, promouvoir une image positive de la femme dans la société comorienne, et promouvoir le réseautage et l’entente des femmes. Il s’agit là de recommandations visant à agir sur le cadre socio-culturel général, avec des actions spécifiques au sein de l’éducation, envers les leaders religieux. Ensuite, les recommandations ont cherché à promouvoir l’idée de la légitimité de la participation des femmes à la vie sociale et politique, et à favoriser l’émergence d’une élite politique féminine. Ces recommandations visent à augmenter le nombre de femmes leaders, aspirant à devenir femmes en politique, en agissant sur leur motivation et leurs capacités essentiellement. Enfin, les recommandations ont mis l’accent sur la promotion des candidatures féminines au sein des partis politiques, les partis politiques s’étant révélés, d’une certaine manière, comme la clé de voûte de cette stratégie. Il est à noter également l’accompagnement des médias, souhaité et reconnu comme étant important pour la promotion du genre.
Masiwa – De plus en plus des voix s’élèvent contre la pratique des ateliers qui ne débouchent sur rien. Quelles sont les dispositions prises pour atteindre vos objectifs ?
KIB – Je comprends ce sentiment, mais j’ai pour ma part la conviction que cet atelier a été utile à plus d’un titre. Il était nécessaire pour réunir les acteurs de cette thématique importante, et amorcer une dynamique que nous voulons forte et participative. Le chemin est long, mais le défi est à la hauteur de notre engagement. J’ai eu le sentiment aussi qu’il répondait à un réel besoin, et arrivait à un moment où, justement, une inflexion positive dans la participation des femmes en politique s’observe. Je pense notamment aux résultats des dernières élections législatives de 2020 qui ont vu l’élection de quatre femmes, une avancée considérable, tout comme l’élection l’année dernière pour la première fois d’une femme gouverneure, laquelle femme a été par ailleurs la Commissaire nationale à la Promotion du Genre et a activement accompagné les initiatives de promotion menées précédemment par notre organisation. En ce qui concerne les dispositions prises, il convient tout d’abord de préciser que l’approche d’ECES en matière d’appui technique consiste toujours à appuyer les organisations qui œuvrent sur les thématiques où nous intervenons, pour permettre justement l’appropriation et la pérennisation. En l’occurrence, pour ce projet, il s’agit de la Plateforme des Femmes en Politique de l’océan Indien et du Commissariat à la Promotion du Genre. Une feuille de route sera établie en concertation avec ces deux institutions pour progresser vers l’atteinte de ces objectifs. Nous ferons en sorte d’associer les acteurs invités au cours de cet atelier pour maintenir la dynamique qui vient d’être créée.
Masiwa – Et la suite ?
KIB – Ce projet touche à sa fin. Je tiens ici à remercier la Coopération Australienne, qui a financé ce projet, pour son appui et son implication dans l’accompagnement des initiatives concourant à l’amélioration des droits des femmes en Union des Comores depuis de nombreuses années ; et cette implication mérite d’être connue. Je remercie également tous les partenaires du projet, notamment la Plateforme des Femmes en Politique de l’océan Indien, et tous les participants qui ont activement contribué à cet atelier de réflexion et de formulation de recommandations. La suite concerne dans un premier temps la poursuite des consultations sectorielles, notamment avec les autorités religieuses, et la finalisation de la proposition de document stratégique. Dans un second temps, il s’agira de mettre en œuvre et de suivre le plan d’action, en collaboration avec toutes les parties prenantes, dont vous les médias, dont le rôle est très important. La route parait encore longue, mais comme le dit le Sultan Mbae Trambwe que j’aime souvent citer : Proclamer que le chemin est long ne le raccourcit pas, le raccourcir c’est faire un pas en avant. Je nous souhaite à toutes et à tous d’aller résolument en avant, et de contribuer, comme indiqué dans la déclaration finale de notre atelier, à la construction d’une Nation plus juste et plus équitable du point de vue du genre, et respectueuse des fondements religieux et culturels de notre pays.
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