SOLY Mbaé Tahamida, rappeur et slameur marseillais, est la cheville ouvrière de l’organisation des rencontres du 21 février depuis 26 ans pour demander que l’avenue des Aygalades devienne l’avenue Ibrahim Ali. Propos recueillis par Mahmoud Ibrahime
Masiwa – Soly, votre nom est revenu à plusieurs reprises dans les interventions au conseil municipal ou lors de l’inauguration de l’avenue Ibrahim Ali, quelle est votre réaction après cette victoire obtenue 26 ans après ?
SOLY Mbaé Tahamida – C’est un grand soulagement, une grande reconnaissance aussi par rapport à ce qui s’est passé dans l’hémicycle, le sentiment de m’être débarrassé d’un poids qui était sur les épaules et que nous trainons depuis 26 ans. J’en ai pleuré dans les bras de ma femme ce soir-là.
Masiwa – Avez-vous assisté au conseil municipal ? Qu’est-ce qui vous a marqué ?
SMT – Je n’y ai pas assisté directement. Je n’étais pas dans l’hémicycle, mais j’étais avec un groupe d’amis à l’extérieur. On a suivi la délibération sous la pluie, en cachette de la police municipale qui était devant la mairie, après 18 heures, après le couvre-feu. Il fallait qu’on se cache. On a suivi ça en direct sur le téléphone. Ce qui m’a marqué, c’est bien entendu la réaction du maire vis-à-vis des gens du Front National qui essayaient de pourrir le débat et de se faire remarquer, mais que le maire a remis à leur place. Il a été à la hauteur de l’événement. Pour une fois on a un maire qui est ferme sur cette question du FN et de leurs idées. D’avoir justement mis ça en délibération, en vote au sein de l’hémicycle, c’est déjà un signe. C’est le signe qu’il ne laissera plus rien passer.
C’est un sentiment de fierté mêlé de reconnaissance aussi vis-à-vis de tous ces élus qui, pour une fois, en 25 ans, traitent cette question de manière claire et nette.
C’était la joie, la délivrance.
Masiwa – 25 ans à organiser une cérémonie de commémoration à l’endroit du meurtre. Il n’y a pas une année où vous vous êtes dit : « À quoi ça sert ? » ? Qu’est-ce qui vous portait ?
SMT – Nous, le collectif et les amis d’Ibrahim qui menons ce combat depuis 25 ans, nous n’avons jamais désespéré. Il faut savoir que l’avenue du 4 chemin des Aygalades, le 21 février, c’est le seul moment où nous faisons notre thérapie de groupe, où on peut se lâcher, où on peut parler de notre trauma que nous trainons depuis 26 ans. Donc, jamais, on aurait dit : « On laisse tomber ». Bien entendu, je n’ai jamais cru que ça durerait 25 ans cette affaire-là. Je me disais : quand même, à un moment donné l’humanité va revenir dans cet hémicycle.
Ce qui nous portait et nous porte toujours depuis 25 ans, c’est ce sentiment d’injustice parce que lors du procès, on n’a pas mis en avant le caractère raciste de l’assassinat, ce n’était pas une circonstance aggravante et c’est en fait nier que c’était un meurtre raciste. Derrière Ibrahim, ils étaient 9 gamins traumatisés à vie avec des conséquences pour les familles et les proches.
C’est cela qui nous a toujours portés et qui nous pousse à vouloir expliquer aux gens ce qui s’est passé, comment et pourquoi. Ce sont des mecs qui ont été nourris aux idéaux du FN, qui à un moment donné, dans leur paranoïa, ont pris des armes pour aller à la guerre, à la chasse.
Masiwa – Quelles idées avez-vous développées dans votre discours en cette année particulière ?
SMT – D’abord, enfin l’enfant Ibrahim Ali est revenu à la maison. Il est pleinement Marseillais. C’est ce que nous avons toujours porté. Ce n’est pas un combat comorien, communautaire. C’est un combat républicain et démocrate, citoyen. C’est un minot marseillais qui a été tué, ce n’est pas un petit Comorien. On a toujours mis en avant cela. Même si des gens de Foumbouni nous ont pourri la cérémonie avec des T-shirts marqués « Foumbouni remercie Samia Ghali et Benoit Payan ». Donc, ramener encore une fois Ibrahim à sa comorianité. C’est une chose qui m’insupporte, qui m’a toujours insupporté. En tant que Marseillais, je dirais que les Marseillais viennent de tous les pays du monde, c’est un port ouvert sur le monde. Tu es certes d’origine comorienne, mais tu es Marseillais.
Ensuite, pendant ces 25 ans, les Républicains se sont divisés et ont créé des boulevards au FN et aux idées nauséabondes. Aujourd’hui, tu allumes ta télé, tu ne vois plus que ça, leurs idées font l’audimat. Le baromètre du débat politique tourne autour des idées du FN.
Enfin, j’ai remercié tous les citoyens, militants et organisations anti-racistes qui nous ont soutenus pendant toutes ces années. J’ai également salué la famille pour sa dignité, pour sa confiance parce que quand on a mis en route ce combat, on l’a fait sans vraiment en référer à la famille. Il y avait un besoin vital de chercher un moyen de nous guérir et de combattre. Donc, lorsque nous en avons parlé à la famille, elle nous a soutenus.
Masiwa – Un autre ami était sans doute là, comme chaque année, Salim Hatubou, comment l’imaginez-vous dans cette cérémonie ?
SMT – J’ai eu une énorme pensée pour Salim. Je pense à Salim et à d’autres, mais Salim c’est à part, car c’est quelqu’un qui était toujours là, qui m’a toujours soutenu. J’espère que de là où il est, il a toutes ses dents dehors et qu’il est fier qu’on ait mené ce combat jusqu’au bout.
Masiwa – Le combat est-il terminé ?
SMT – C’est une autre idée centrale que j’ai développée dans mon intervention. Ce n’est pas parce que nous avons une avenue Ibrahim Ali que le combat s’arrête, bien au contraire. Là, c’est juste un marqueur dans la ville pour dire au FN : « Plus jamais ça ». Déjà, nous n’avons plus de mairie FN à Marseille, grâce au front républicain qui a permis à la Droite de reprendre la mairie du 13-14.
C’est une double victoire cette année et j’espère que dans les années à venir, on va rendre leur score le plus ridicule possible. L’objectif est là : toujours combattre leurs idées et à chaque élection être là pour faire avancer nos idées, nos valeurs contre les leurs.
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