« Surpopulation chronique, locaux inadaptés, hygiène déplorable, insalubrité, déficience dans l’administration des soins de santé, dysfonctionnement criant de la défense sociale, sécurité mise en péril par l’état des bâtiments qui suintent quand il pleut… manque de respect pour l’intimité ». Voilà l’état de la prison de Moroni tel que nous la décrit, dans un entretien avec Masiwa, le Porte-parole de l’opposition, Ibrahim Abdourazak, qui a déjà été enfermé dans cette prison trois fois depuis l’élection d’Azali Assoumani en 2016. C’est un fonctionnement d’un autre temps que décrit celui qu’on surnomme Razida. Par Hachim Mohamed.
Il a d’abord été poursuivi et enfermé du 6 décembre 2016 au 16 janvier 2017 pour « diffamation, atteinte à l’honneur d’une autorité publique », en l’occurrence le ministre de la Justice Fahami Said Ibrahim. Puis, Ibrahim Abdourazak a fait 20 jours dans les geôles de Moroni après avoir manifesté avec l’opposition devant la mosquée al-Qasmi le vendredi 22 juin 2018. Enfin, en tant que porte-parole du Front commun des forces vives contre la dictature, il a été de nouveau mis au cachot pendant trente jours pour soi-disant trouble à l’ordre public, alors qu’il n’avait fait que chanter l’hymne national le jour de la fête de l’indépendance, le 6 juillet 2020, en compagnie d’autres leaders de l’opposition.
Il n’y a ni toilettes, ni douches, ni robinets.
Ibrahim Abdourazak nous apprend que la maison d’arrêt de Moroni fonctionne aujourd’hui en surcapacité et dans des conditions d’hygiène et de salubrité préoccupantes.
Il explique cela par le fait que moins de 3% du budget national est affecté à la justice et que « 90% du budget du ministère de la Justice est alloué aux salaires de ses fonctionnaires ». Que reste-t-il pour tous les autres postes dépendant de la Justice, et notamment les prisons ?
Sans toilettes, ni douches, ni robinets, les prisonniers vivent dans un local percé d’étroites lucarnes qui éclairent faiblement l’intérieur avec « un taux de surpopulation carcérale de 220% en moyenne ».
Allongés sur des matelas à même le sol quand ils veulent dormir, ils sont obligés de se soulager dans un seau et de faire leurs besoins dans des sacs en plastique en plus de se relayer pour dormir faute de place.
« Ma foi, derrière les barreaux des geôles, les prisonniers qui s’en tirent le mieux sont souvent portés par de puissantes convictions politiques, par une capacité d’adaptation ou par une foi religieuse (…) des gens peuvent mourir en prison », poursuit le porte-parole de l’opposition.
« Pas d’égards et de traitement de faveur selon qu’on est un politicien emprisonné pour une opinion politique ou un détenu qui est essentiellement un prisonnier de droit commun, condamné pour vol, viol, meurtre, etc. En prison, j’ai connu des tueurs, des violeurs, des voleurs et consorts. »
Des conditions de détention abominables
Interrogé à part, l’ex-ministre de la Défense, Mmadi Ali, qui a été mis au cachot dans le cadre de l’affaire qui a vu la Justice comorienne condamner le 16 décembre 2018 quatre personnalités aux travaux forcés à perpétuité pour « complot » et « atteinte à la sûreté de l’État », en l’occurrence l’ex-vice-président Djaffar Said Ahmed Hassane, son frère l’avocat Bahassane Ahmed Said, l’écrivain Said Ahmed Said Tourqui et un officier, le commandant Faissoil Abdoussalami, l’ex-ministre a enfoncé le clou sur les conditions immondes de détention à la prison de Moroni.
« Quand on m’a arrêté après les élections présidentielles de 2019, une fois à la gendarmerie nationale, on m’a mis au « gnouf ». C’était un petit réduit de toilettes insalubres où je subissais de 19 heures à 8 heures du matin des conditions de détention abominables. », s’est-il confié sur un ton plein de lamentations.
Se nourrir et se soigner : un calvaire
Pour la famille de chaque détenu, l’administration pénitentiaire délivre une seule carte pour les visites. Des repas peuvent être ainsi apportés par les parents.
Les prisonniers peuvent sortir de leurs geôles et rester dans la cour de 8 heures à 18 heures. Dans la maison d’arrêt de Moroni, un maigre repas est concocté et distribué une fois par jour aux détenus qui reçoivent 250 grammes de riz et deux morceaux de « mabawa » ou une boite de sardines pour deux détenus.
Quant au porte-parole du Front Commun, Ibrahim Abdourazak, son témoignage a un poids déterminant dans la perception de la dégradation de la santé en prison. Il explique qu’il était dans une chambre de la zone B avec un Marocain qui avait tué il y a longtemps sa femme comorienne. « Ce prisonnier étranger s’était blessé au front. La plaie était tellement infectée qu’il infectait comme un fromage pourri ! C’est moi qui le soignais en mettant la main à la poche pour les médicaments. Je nettoyais son front pour assainir l’atmosphère. »
Les prisonniers sont traités comme quantité négligeable. Des êtres humains sont marginalisés par un système qui les considère comme des moins que rien, comme des choses et cela depuis trop longtemps. Pourtant, cette situation ne semble pas toucher les gouvernants. La surpopulation dans la maison d’arrêt et le dénuement de ceux qui sont enfermés sont les symboles les plus frappants de la dégradation des conditions de vie des Comoriens en général.
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