Alwatwan est une société d’État. Le journal fonctionne essentiellement grâce aux apports de l’État (qui paye notamment tous les employés) et c’est sans doute la seule société qui ne rend pas compte au gouvernement ou au citoyen de ses résultats annuels, ni ses gains (vente, publicités…) ni ses pertes. Même au temps où des journalistes menaient de vraies enquêtes, le journal fonctionnait comme une île dans une île. Par MiB
Le gouvernement (et encore moins les citoyens) n’avait pas de droit de regard sur ce qui s’y passait. Cette culture du secret en ce qui concerne les affaires de la société demeure encore aujourd’hui dans la direction, mais également, et c’est plus grave, chez certains journalistes. Même quand le journal cumule les problèmes, que la rédaction est en guerre permanente contre son Directeur et depuis peu contre le Secrétaire de Rédaction, il faut pour eux tout cacher. Tout doit rester à l’intérieur. Pourtant, on a vu parfois aussi les mêmes journalistes se plaindre du fait que dans certaines affaires, des membres du gouvernement ou des cadres de l’administration faisaient de la rétention d’information. C’est la situation actuelle.
Qui sait que la rédaction d’Alwatwan a fait grève le mercredi 11 août ? Quasiment personne. La Gazette en a fait un petit encadré entre une pub et l’ours le 12. On y apprend que la quasi-totalité de la rédaction était en grève et qu’« À l’issue d’une réunion tenue hier mercredi, les journalistes qui ont l’impression de prêcher dans le désert ont décidé de ne plus rendre leurs papiers avant que leurs doléances ne soient prises en compte. »
En fait, les journalistes ont repris le travail après une journée de grève qui n’en était pas vraiment une puisqu’il n’y a pas eu de préavis et qu’ils n’ont signalé la grève à personne. Pourtant, ils n’ont pas obtenu gain de cause sur leur principale revendication et la tension est toujours présente entre eux, la Direction et une infime minorité de la Rédaction qui soutient cette dernière.
Le Secrétaire de Rédaction est mis en cause
Dans la semaine du 5 août des journalistes autour de celui qui fait office de rédacteur en chef par intérim depuis le mois de mai, Elie Djouma, rédigent un courrier et l’adresse à leur Directeur, Maoulida Mbaé. La lettre exprime un certain ras-le-bol et porte trois revendications. En réalité, les revendications sont nombreuses, mais les journalistes décident que dans un premier temps il fallait n’en exprimer que les trois principales à savoir d’abord le retour d’une tradition de la rédaction consistant à élire le rédacteur en chef, ensuite l’embauche d’un correcteur pour améliorer la qualité du journal tant décrié ces derniers temps et enfin le remplacement du Secrétaire de Rédaction, Kemba Abdillah Saandi qui fait la quasi-unanimité contre lui.
Kemba Abdillah Saandi est l’homme du Directeur. Il estime n’avoir de compte à rendre qu’à ce dernier, celui qui lui a confié sa mission. C’est plus qu’un Secrétaire de Rédaction car il ne fait pas que corriger les fautes de français. Il a aussi les missions d’un Rédacteur en chef et même en partie de Directeur de la publication. Il réécrit des textes, supprime des parties ou refuse même des articles à cause de leur contenu. Il censure souvent et cela déplait aux journalistes. Mais, ce qu’ils lui reprochent le plus c’est un certain mépris : il n’assiste jamais aux conférences de rédaction le matin, arrive tard et se permet de faire finir très tard à une des employés, obligée de se chercher un taxi à 23 heures de la nuit pour rentrer chez elle.
Kemba, qui a accepté de donner sa position à Masiwa reconnaît qu’il ne va jamais aux réunions du matin. Mais, il fait observer que de nombreux journalistes n’écrivent pas et que pour lui c’est plus grave : « La seule faute que je reconnais, c’est de ne pas participer comme il faut aux conférences de rédaction. Mais que dire de ceux qui font deux ou quatre semaines sans écrire un papier ? ».
Contrairement aux journalistes qui ne font plus leur boulot, selon Kemba, ce dernier est un boulimique du travail. Il cumule des fonctions diverses dans plusieurs sociétés et organisations. En plus d’être Secrétaire de Rédaction d’Alwatwan, il avait aussi un contrat avec ORTC pour fournir des informations écrites, il fait partie d’une Commission de communication et de Marketing de la Fédération de Football des Comores et il ferait aussi de la communication pour la Douane. Il est également correspondant de Mayotte hebdo et travaille sur la sortie d’un magazine. Un journaliste qui requiert l’anonymat se demande : « Comment peut-il travailler pour [toutes ces] institutions en même temps et travailler normalement à Alwatwan ? C’est impossible ! ».
Un faux ultimatum
La lettre des journalistes est assortie d’une menace de grève de 48 heures si les trois revendications ne sont pas satisfaites. Mais, elle n’a pas été lue par tous et tous n’ont pas été joints au téléphone pour les prévenir, mais elle est signée « La Rédaction ». Dès le samedi, elle provoque la colère d’un « ancien », le photographe Ibrahim Youssouf qui se plaint de ne pas avoir été prévenu (sans doute par prévision de sa réaction). Il prévient les rédacteurs de la lettre qu’à 10 ans de la retraite, il ne ferait pas grève avec le risque d’être licencié. En réalité, proche de la Direction, l’homme ne craint rien. Il cherche à déstabiliser les plus jeunes. Mais, Kemba a tenu lui aussi à apporter cette nuance : « Ce n’est la pas la rédaction d’Alwatwan, c’est une partie de la rédaction ». Ils sont trois ou quatre à s’opposer à la lettre et à une éventuelle grève.
Kemba Abdillah Saandi, ayant eu vent du courrier, avait aussi piqué sa colère contre la rédaction et avait aussi prévenu : « De toute façon, le Directeur ne pourra pas me renvoyer ».
Lundi, le Directeur convoque le rédacteur en chef par intérim dans son bureau et lui dit qu’il est prêt à satisfaire aux deux premières revendications, mais qu’il ne peut pas remplacer le Secrétaire de Rédaction. Là aussi Kemba a une explication précise, il fait appel aux respects de règles : « Ce n’est pas la rédaction qui nomme le SR. On ne peut pas réclamer le départ d’un SR parce qu’une partie le souhaite. Sinon demain, l’autre partie va réclamer aussi le départ du Redchef. On ne doit pas cautionner de tels comportements dans une entreprise qui a des règles à moins que l’on veuille ériger l’anarchie en règle ».
Un arrêt de travail sans préavis
Les journalistes encaissent en silence la décision de maintenir Kemba à son poste. Ils hésitent entre les 48 heures de grève qu’ils avaient annoncées et 24 heures. Une nouvelle tentative de discussion avec ce dernier tourne mal. Le jour suivant, mardi, c’est férié, le Nouvel An musulman. Arrive donc le mercredi 11 août où les journalistes ne viennent pas, sans prévenir qu’ils font grève. Cela a le don d’énerver le directeur et le Secrétaire de Rédaction.
« La grève a des règles. Il faut un préavis cela n’a pas été fait. Et puis nous sommes dans un établissement public, il y a le principe de la continuité du service public. Le journal a été distribué le mercredi 11 août. » (sic). Les deux hommes décident d’ignorer les journalistes et faire le journal sans eux. Une manière de leur montrer qu’ils ne sont pas indispensables et qu’Alwatwan peut se faire sans eux. Il sera distribué en kiosque le 12 août et personne n’a remarqué qu’il n’était signé que par Maoulida Mbaé et Kemba Abdillah Saandi.
Jeudi, les journalistes reprennent le travail sans bruit. Les meneurs sont allés calmer la fougue du directeur qui avait préparé le licenciement d’un journaliste et la mise à pied de trois autres. Tous de jeunes journalistes arrivés il y a peu dans la rédaction.
La loi du silence
Comme dans d’autres administrations, les journalistes d’Alwatwan ont décidé, en majorité, de garder le silence sur les humiliations qu’ils subissent quotidiennement. Ceux qui ont décidé de parler ont demandé l’anonymat. Le président du Syndicat national des Journalistes aux Comores, Chamsoudine Saïd Mhadji, également journaliste d’Alwatwan a promis de donner le point de vue de son syndicat le matin et le soir venu, il s’est ravisé en disant qu’en fait il n’a pas été saisi officiellement. Alors qu’une source indique qu’il a bien reçu le courrier en tant que président.
Ce qui se passe dans Alwatwan, c’est ce qui se passe tous les jours dans les sociétés d’État et dans l’administration comorienne. Le Directeur se croit tout puissant, même s’il est jeune et manque d’expérience dans le management des hommes. Il estime que c’est lui qui a signé les contrats des derniers arrivants et donc qu’il a droit de vie et de mort sur eux. Les autres employés doivent se taire, et la plupart jouent le jeu.
Cette peur de parler de la part de journalistes, on la retrouve également à ORTC où les employés ont été prélevés de certaines sommes sur leurs salaires depuis quelque temps pour qu’on leur donne un statut. Ils n’ont toujours pas de statut, mais ils acceptent de garder le silence. Nous y reviendrons.