L’heure n’est pas à la biographie de l’homme. Et même si l’on pourrait dresser son portrait, nous préférons laisser cela à des spécialistes. Parlons seulement et simplement de l’homme. Aboubacar Said Salim était le meilleur de nous tous. L’homme atypique, pour ne pas dire parfait, qui a marqué tous ceux qu’il a croisés pendant son existence. L’homme dont les œuvres ont guidé, guident et guideront toute une jeunesse.
Par Said Yassine Said Ahmed. Auvergne-Rhone-Alpes
Ce militant incontestable, depuis la grève de 1968, événement important pour un grand nombre des Comoriens, Aboubacar Said Salim, vivait simple et vivait juste. Il aimait son pays, car il l’avait stocké dans son cœur. Un amour qui lui a couté une partie de sa vie en mars 1985, dans les geôles des mercenaires de Bob Denard. Un homme riche. Que l’on sache que chez les âmes conscientes, la richesse, c’est la réussite dans les choix que l’on fait. Il aimait lire et écrire. Il a surtout réussi à éclairer des voies par sa voix et sa plume. Il pouvait donc être satisfait de sa vie. Vainqueur d’un concours de littérature dans l’archipel en 1969, alors qu’il n’était que collégien, ce génie de la littérature comorienne francophone vivait modestement.
« Un immortel au pays des incrédules crétins »
Sociable fut cette tête, bien remplie de savoir. Ceux qui l’ont côtoyé dans ses deux villes de naissance, en l’occurrence Ikoni et Moroni, ne pourront que témoigner sur un Aboubacar Said Salim, sociable et souple de mentalité. Avec sourire et respect, il serrait la main de tout le monde et tout le monde lui serrait la main. Une sympathie aussi ornée d’un sourire qui coulait comme l’eau de montagne. Oui l’homme est inhumé, oui une foule nombreuse était présente pour son dernier Adieu. Un puits de science, au pays des incrédules crétins.
Personne n’a demandé de faveur pour que cet homme exceptionnel bénéficie des obsèques officielles. Non, loin de là. Seulement on s’attendait à voir ce qu’il méritait.
Les facettes étaient multiples. Côté politique, les anciens de l’ASEC et du Front démocratique, n’ont pas su se rendre visibles dans cette horrible tragédie. Il ne suffit par d’aller aux funérailles d’un être cher, car l’humain est égal à l’humain.
Aboubacar Saïd Salim, c’est l’homme politique qui luttait pour un Etat de droit aux Comores avec l’étiquète du Front Démocratique depuis les années 80. Et si un petit discours funèbre était au rendez-vous ? On ne demandait un discours fleuve. Heureusement que des nombreux comoriens ont lu Williams Shakespeare avec son expression selon laquelle, Le mal que font les grands hommes leur survit, le bien est souvent enterré avec leurs os. Et du domaine de la culture, des têtes individuelles ont répondu « présent » à l’enterrement. Sans doute.
Une absence a été plus remarquée dans la foule, venue à Ikoni, lui rendre son dernier adieu. Ce gardien de la tradition comorienne avec son parlé aussi claire et appétissant, aux yeux qui appellent et qui rassurent… Quant aux berceaux de l’homme, la ville d’Ikoni et de Moroni, les habitants ont organisé des obsèques sans différence avec ce qui se fait habituellement.
« Le déni des hommes humbles »
Aboubacar était un homme de grande envergure, un homme complexe et non compliqué. Une personnalité dont la hauteur, le talent, la valeur n’échappent à aucun de nous. L’Etat comorien, le pouvoir en place et le gouvernement ont brillé par leur ressentiment envers le mérite et les hommes humbles. Ils ont brillé par leur dégout de la sagesse, de la culture et du savoir. Qui mérite mieux des obsèques officielles dans un pays reconnaissant, si ce n’est pas l’enfant de la nation, la personnalité qui a joué un rôle exceptionnel dans sa société. Alors l’ingratitude des autorités comoriennes face à l’homme qui a sacrifié tout jusqu’à son sang pour Comores est indubitable. Octobre 1963, la France a rendu les obsèques de la chanteuse Edith Piaf officielles. Pareil pour l’écrivain Jean Paul Sartre, en avril 1980. Enfin le 11 décembre 2017, Johnny Hallyday, en présence de plusieurs commis de l’Etat français bénéficiait des funérailles officielles. Et le 3 septembre 2023, Aboubacar Saïd Salim, l’équivalent de Jean Paul Sartre aux Comores, n’a eu ni obsèques, ni discours officiels, ni même la présence des autorités… Ces derniers, seraient en acrobatie, si ce jour même leur chef fait une prière dans un village ou inaugure un poteau électrique. C’est dans les cœurs des Comoriens que repose l’enfant de la Nation.
Biographie
- 1949 (9 mai) Naissance à Moroni
- 1968 Un des meneurs de la grève du lycée de Moroni
- Un des lycéens emprisonnés suite à cette grève
- 1969 Lauréat du concours littéraire de l’Alliance française
- 1970 Il décroche son Bac à Moroni
- Après 1970 Il entame des études de Lettres et Sciences humaines à l’Université de Bordeaux.
- Il milite au sein de l’ASEC (Association des Stagiaires et Étudiants des Comores) et prend même des responsabilités au niveau local, puis dans le bureau central.
- Après 2010 Fondateur et Président du Club Kalam, association d’écrivains pour la promotion de la littérature.
- Il est également membre fondateur du Cercle Pohori pour la promotion et la diffusion de la poésie comorienne.
- Présentateur de l’émission de l’ORTC « Arbre à palabres » dans laquelle il parlait de livres avec les auteurs.
- 2023 (3 septembre) Décès de l’écrivain, enterrement à Ikoni.