Mardi 3 septembre, au cours d’une session extraordinaire, l’Assemblée de l’Union des Comores, au grand complet, a voté la loi d’habilitation permettant au chef de l’État Azali Assoumani d’organiser les prochaines élections législatives par des ordonnances. En plus d’être qualifiée comme inconstitutionnelle par des députés et des juristes, cette loi a été votée grâce à un bluff incroyable du Président de l’Assemblée de l’Union, Abdou Ousseni qui, arguant de son titre de président de l’Assemblée s’est attribué deux voix, alors que ni la Constitution ni le règlement intérieur ne l’y autorise. Aucun député n’a réagi face à cette forfaiture.
Le parlement au complet
Pour la deuxième fois depuis 2016, le chef de l’État demande au Parlement de lui donner les pouvoirs législatifs. La première fois, après de nombreuses manœuvres, le gouvernement a reculé et décidé de ne pas présenter la loi d’habilitation pour éviter un rejet évident. [ihc-hide-content ihc_mb_type=”show” ihc_mb_who=”2,3,4,5,6,9″ ihc_mb_template=”1″ ]
Cette fois le gouvernement a demandé que l’Assemblée lui donne le pouvoir législatif pour établir des ordonnances organisant les prochaines élections législatives.
Ce fut un des rares moments, depuis longtemps, où l’Assemblée de l’Union a pu se réunir avec tous les députés. Tous présents. Y compris les 9 des Conseils des Iles qui n’existent plus. Ce fut presque un miracle. Alors qu’il y a quelques semaines, le Président de l’Assemblée se plaignait de ne pas recevoir du gouvernement les finances pour payer les fonctionnaires de l’Assemblée. Cette fois le gouvernement a payé tout ce qu’il fallait payer pour que les 33 députés puissent tous rejoindre Moroni à temps pour ce qui devrait être la dernière session parlementaire de cette législature.
La surprise fut la présence dans l’hémicycle de Me Fahmi Saïd Ibrahim, élu d’Itsandra Sud qui avait laissé sa place à son suppléant, Tocha Djohar, au moment où il avait rejoint le gouvernement en 2016. Tocha Djohar étant actuellement en exil à Paris, le député élu a repris sa place.
Une loi, 24 membres et 24 circonscriptions
Le projet de loi proposé par le gouvernement a été modifié en commission des lois et voté au sein de cette commission par 4 voix pour et 4 voix contre, celle du président de la commission étant prépondérante, comme l’indique le règlement intérieur. L’article unique prévoit que « le président de l’Union est habilité à prendre toutes mesures relevant de la compétence de l’Assemblée de l’Union afin d’adapter les textes législatifs relatifs à l’élection des représentants aux nouvelles dispositions prévues par l’article 66 de la constitution tout en maintenant le nombre d’élus à 24 membres suivant les 24 (vingt-quatre) circonscriptions initiales sans modifications aucunes ».
Après cette adoption du projet en commission, quelques jours avant le vote en plénière, un des députés les plus actifs de l’Assemblée nous confiait qu’il y avait bien une majorité contre cette loi d’habilitation, mais qu’il fallait s’attendre à tous les revirements possibles. Un autre baron de la politique ne voyait encore que 15 députés sûrs et disait se battre avec d’autres pour parvenir à la majorité la plus large pour éviter les surprises. L’expérience de cette législature et des coups bas du gouvernement guidaient leurs pensées et la suite leur donna raison. Avant même l’entrée dans l’hémicycle, il semble que les députés opposés à la possibilité de donner les pouvoirs législatifs au chef de l’État se sont comptés et ils étaient encore 18 contre 15 prêts à voter pour le projet gouvernemental.
Des arguments opposés
Lors des débats les députés qui étaient contre le vote de la loi, à l’exemple du député Oumouri, Ibrahim Soulé ou Mohamed Msaidié mettaient en avant la violation manifeste de l’article 66 de la Constitution (« L’Assemblée de l’Union est composée des membres élus dans des circonscriptions électorales nationales et de ceux, représentant les Comoriens établis hors des Comores ») qui prévoit la représentation de la diaspora. Or le projet de loi prévoit de ne pas changer les circonscriptions actuelles. Pour eux, ce projet de loi était inconstitutionnel.
Les députés favorables au projet gouvernemental avaient essentiellement pour argument le fait qu’une fois élus, les 24 députés de l’intérieur procéderaient à un vrai découpage des circonscriptions qui inclurait la diaspora et ils prévoiraient le vote de celle-ci.
16 contre 16
Lors des décomptes des votes, il eut un petit frémissement dans les gradins et même du côté des journalistes présents qui se sont aperçus que certains députés de l’opposition n’avaient pas suivi la consigne et n’avaient pas respecté ce qu’ils avaient dit jusque-là.
La première surprise est venue de Madame Hadjira Oumouri, élue RDC, partisan de Mouigni Baraka, président du CNT. Elle vota la loi, après l’avoir justifié d’une manière ambiguë. La deuxième est venue du député de Mohéli Saïd Baco qui lui aussi aurait assuré à l’opposition un peu avant qu’il voterait contre la loi. Il s’est contenté de s’abstenir.
Le bluff
Le vote contre son campa de Hadjira Oumouri et l’abstention de Saïd Baco ont permis au gouvernement d’obtenir l’égalité parfaite. C’est là que le président de l’Assemblée, qui s’est déclaré de l’opposition, mais qui a voté le texte, affirme que sa voix est prépondérante et déclare la loi comme votée. Le ministre de l’Intérieur et les députés favorables au gouvernement sortent alors de l’hémicycle pour crier aux médias leur victoire.
Pourtant, les doutes ont commencé à monter le soir même sur la voix prépondérante du président de l’Assemblée. Après quelques jours de recherche, c’est le juriste Mohamed Rafsandjani qui a synthétisé ce qui semble être une vraie forfaiture. Sur son mur Facebook, il apprend aux Comoriens et sans doute à un bon nombre de députés que la voix prépondérante du président de l’Assemblée n’existe ni dans la Constitution ni dans le règlement intérieur de l’Assemblée. La triche a permis de voter une loi sans majorité et le chef de l’État s’est empressé de la promulguer.
Pour la loi | Contre la loi | Abstention |
Abdou Ousseni | Oumouri Madi Hassani | Saïd Baco |
Soifa Ousseni | Nassimou Ahamadi | |
Maoulana Charif | Mohamed Msaidié | |
Dhoihir Dhoulkamal | Ibrahim Mohamed Soulé | |
Issa Soulé | Ben Omar | |
Hadjira Oumouri | Soulaimana Mohamed Soilih | |
Rachadi Mohamed | Saïd Mohamed Ahmed | |
Ali Ahamada (Ali Hadji) | Fahmi Saïd Ibrahim | |
Abou Achirafi | Madi Bacar | |
Stéphane Attoumane | Mohamed El-Maghd |
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