Dans l’histoire mondiale, et particulièrement dans l’histoire des décolonisations, nous ne connaissons que deux pays qui ont acquis leur indépendance par une déclaration unilatérale : les États-Unis le 4 juillet 1776 et les Comores, presque deux siècles après, le 6 juillet 1975. Par Mahmoud Ibrahime, Docteur en Histoire de l’Université Paris 7
Pourtant, les négociations avec l’État français allaient bon train jusqu’au coup de colère du président du Conseil de Gouvernement, l’ancien Sénateur français, Ahmed Abdallah.
La plupart des pays colonisés sont passés par un référendum, que ce soit à la suite d’une guerre ou de simples négociations, pour aboutir à leur indépendance. Ils ont pour cela suivi un processus négocié avec la France et qui devait aboutir à une décolonisation apaisée qui faisait que le nouvel État restait sous l’influence économique et politique de l’ancienne puissance coloniale.
La déclaration d’indépendance des États-Unis est la conséquence d’une exaspération due aux prétentions de plus en plus pesantes de l’Angleterre sur l’économie et les finances de ses 13 colonies en Amérique du Nord. La déclaration d’indépendance des Comores est presque un accident, mais aussi la conséquence de l’humiliation que subit l’élite politique comorienne à la tête de la colonie, après la consultation du 22 décembre 1974.
« L’indépendance dans l’amitié et la coopération avec la France »
Pourtant, tout avait commencé dans les négociations et tout semblait allait pour le mieux dans cette colonie qui avait déjà refusé de demander l’indépendance en 1958, puis en 1960, mais qui n’avait récolté aucun avantage de cette fidélité à la France. L’amertume et le sentiment d’être mal considérés avaient gagné les coeurs sous Saïd Mohamed Cheikh (mort en 1970) puis sous Prince Saïd Ibrahim (écarté du pouvoir par une motion de censure en 1972). Convaincue que les Comoriens souhaitaient prendre leur indépendance (le 23 novembre 1972, une résolution de la Chambre des Députés est votée dans ce sens), la France avait su écarter les vrais militants pour l’indépendance, ceux qui autour du MOLINACO à l’extérieur, puis du PASOCO et du PEC à l’intérieur la réclament depuis des années, y compris au prix de la prison. Les élections de décembre 1972 donnent la victoire à l’UDZIMA et Ahmed Abdallah qui accède à la présidence du Conseil de Gouvernement avec pour mission de négocier l’indépendance « dans l’amitié et la coopération avec la France ».
Les négociations débutent en janvier 1973 et aboutissent aux Accords de Juin 1973 par lesquels la France accepte d’accélérer les transferts de compétences à des cadres comoriens et « donner » l’indépendance aux Comores en moins de cinq ans. Dès l’année suivante, Ahmed Abdallah et les leaders politiques au pouvoir accélèrent les choses, persuadés d’être prêts à prendre en mains la destinée de leur pays.
Une consultation n’est pas un référendum
Mais, au lieu d’un « référendum d’autodétermination », comme elle l’avait fait dans ses colonies en Afrique entre 1958 et 1962, la France décide de faire une « consultation des populations ». Et il y a une grande différence que même les juristes comoriens (y compris maorais) se refusent à voir, alors que c’est la raison principale du malentendu de 1975.
Pour être simple, le résultat d’un référendum est automatiquement transformé en loi et en fait. Si la question du référendum est : « Voulez-vous être indépendants ? » Si la ou les populations (le pluriel a fait couler beaucoup d’encre, mais n’a, en réalité, aucune importance) répondent positivement à la question, alors automatiquement le pays devient indépendant, sans autres discussions. Mais, lorsque l’État colonial décide de faire une consultation, alors, quel que soit le résultat, il en fait ce qu’il veut. Et c’est ce qui s’est passé avec les Comores.
Après de longues séances de débat, le Parlement français adopte la « Loi 74-965 du 23 novembre 1974 organisant une consultation des populations des Comores ». Contrairement à ce qu’on lit ici et là, cette loi ne prévoit pas un classement des « résultats île par île », mais demande comme souvent dans les élections aux Comores à cette époque, un classement par circonscription électorale, même si chaque circonscription correspond à une île. Lors des débats, un député de droite avait introduit un amendement exigeant la prise en compte du vote île par île, cet amendement a été rejeté et les résultats devaient donc être pris en compte d’une manière globale. Un classement île par île n’induit pas nécessairement une prise en compte du vote île par île.
Le 22 décembre 1974, l’ensemble de l’archipel s’est prononcé à plus de 94% pour l’indépendance, mais on pouvait s’apercevoir qu’à Mayotte, contrairement aux trois autres, la population avait voté contre l’indépendance. Un référendum aurait accordé l’indépendance automatiquement aux quatre îles dans les jours qui ont suivi. Mais, s’agissant d’une consultation, il revenait à celui qui a consulté de prendre une décision, dans un sens ou dans un autre. La loi du 23 novembre 1974 donnait au gouvernement français six mois après la proclamation des résultats pour prendre cette décision. Malgré les plaintes de ses anciens alliés du parti blanc, malgré l’opposition des élus de Mayotte, malgré le réveil des révolutionnaires, qui tous craignent une dictature vu les conditions dans lesquelles allait être proclamé l’indépendance, Abdallah était persuadé que la France allait lui donner l’indépendance des Comores en lui remettant tous les pouvoirs. Il devait devenir automatiquement président du nouvel Etat et la Chambre des Députés qui lui était acquise devait devenir Assemblée constituante.
La loi du 3 juillet 1975 : une douche froide
La décision de la France arrive par la « Loi n°75-560 relative à l’indépendance du territoire des Comores”. C’est une douche froide pour Ahmed Abdallah et ses compagnons car cette loi repousse la date de la proclamation de l’indépendance des Comores et y met un certain nombre de conditions.
L’article 2 de cette loi établit les conditions à remplir. Les représentants des partis, les députés et sénateur nationaux, ainsi que des membres de la Chambre des Députés des Comores doivent mettre en place un comité constitutionnel pour élaborer un « projet de Constitution garantissant les libertés démocratiques des citoyens et la personnalité politique et administrative des îles composant le futur État ».
Le projet de loi devait par la suite être soumis à un référendum, s’il était rejeté, le comité devait proposer un nouveau projet. S’il était accepté, le pays devenait indépendant avec une Constitution, s’il n’était pas accepté par toutes les îles « la constitution s’appliquera à celles qui l’auront adoptée ».
Ahmed Abdallah voit dans cette loi une défiance de la France à son égard, défiance surtout du parlement français. Il sait qu’il va devoir faire des concessions, à l’opposition et aux leaders maorais avec lesquels il est en conflit depuis plusieurs années alors qu’il pensait sans doute pouvoir les soumettre dans un nouvel État dans lequel l’exécutif français lui avait promis tous les pouvoirs. Il se sent trahi.
Sa colère est grande lorsque de retour de Bruxelles où il négociait avec la Communauté Économique Européenne (CEE), il entre en contact avec le Premier ministre français, Jacques Chirac et cherche à rencontrer le président Giscard d’Estaing. Comme si l’exécutif pouvait annuler la loi votée par l’Assemblée et le Sénat. Lorsque Jacques Chirac lui signifie que le président n’est pas disponible pour une entrevue, il part en disant qu’arrivé à Moroni, il proclamerait l’indépendance par une déclaration unilatérale. On ne le prend pas au sérieux. Sur place, il mit à exécution sa menace.
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