L’auteur-compositeur et interprète Éliasse Ben Joma, qui a sorti son troisième album intitulé « Zangoma » en avril dernier, était face à la presse au CCaC-Mavouna le 5 novembre.
Par Hachim Mohamed
Éliasse est un « patrimoine » pour la musique comorienne, une opportunité inouïe de se forger une culture artistique et comprendre l’évolution des courants artistiques des Comores de l’époque contemporaine.
Homme engagé sur les bords, l’artiste comorien a montré comment musicalement nous sommes le produit de la culture et de la société dans laquelle nous avons grandi et par ricochet comment nous sommes influencés par les coutumes et les normes de notre société. Par sa verve, tout au long de ces échanges, Éliasse Ben Joma a montré qu’il est incontestablement un artiste inclassable, éclectique, de grand talent. L’évocation de son parcours fut une occasion de redécouvrir ses œuvres qui reflètent et défendent les idées et les coutumes que la société comorienne valorise.
25 ans de carrière à son actif
La carrière d’un musicien ne se résume pas à un concert ou à quelques disques. Éliasse a raconté succinctement la sienne, entamée il y a presque une génération. Sans aucun doute une belle carrière. Vingt-cinq ans de création musicale pour cet artiste qui n’a cessé de se réinventer.
Éliasse Ben Joma est né d’une mère anjouanaise et d’un père originaire de Grande-Comore. Dans sa jeunesse, il aimait écouter toutes sortes de musiques via un poste radio. La musique exerçait une certaine fascination auprès de ce jeune.
« Mélomane, j’ai assisté à un concert au stade Hassane Soilihi (anciennement Baumer). Ignorant tout de la musique, je suis sorti pour me payer de cacahouètes quand le grand artiste Maalesh (un des musiciens qui étaient au programme) est monté sur les planches. Mais, en écoutant par hasard quelques semaines plus tard un CD qui comportait les titres de ce musicien, étonné de la qualité, il a fallu revoir ma copie quant à la perception de cet artiste, de son genre musical », raconte Éliasse, un brin nostalgique.
Le son de Maalesh a été un stimulant et déterminant pour le choix de sa carrière plus tard, avec l’obsession de faire quelque chose pour se sentir utile. Ce fut un déclic psychologique irréversible.
Un « mentor » camerounais.
Le moment le plus trépidant de cette rencontre avec Éliasse, fut cet instant où il a offert à l’assemblée et surtout aux jeunes musiciens son capital d’expérience. Il s’était déjà livré à un tel exercice lors d’une précédente rencontre avec ces derniers le 26 octobre au même endroit.
Maalesh avait endossé ce rôle de guide et de conseil envers les musiciens moins expérimentés à Moroni il y a quelque temps. Baco avait joué le même rôle à Mayotte plus tard. Et Éliasse, qui a vécu sept ans dans cette île, le considère aussi un peu comme son autre mentor.
Surfant sur cette capacité à raconter une histoire originale, ces expériences personnelles, Éliasse est allé plus loin en citant un artiste étranger qui lui a préparé aussi la voie : l’auteur, compositeur et interprète camerounais Apple Blick Bassy dont il a eu la chance de suivre les « enseignements » et les conseils dans une émission à Bordeaux.
Mais, ce qui a marqué Éliasse Ben Joma, c’est quand le Camerounais racontait qu’il regardait les affiches des concerts et festivals avec des artistes qui lui ressemblaient aussi et se demandait pourquoi eux sont là et pas lui. En creusant au fur et à mesure la question et en essayant de trouver les réponses, il est arrivé à la conclusion que la cause était soit le pays, soit le style de musique ou encore le nombre de musiciens. C’est à partir de cette occasion que l’envie de se projeter a traversé la tête de l’artiste comorien.
L’enthousiasme était d’autant plus là, insiste Éliasse Ben Joma, que l’artiste Apple Blick Bassy a ensuite participé à un concours en Suisse et a eu la chance d’être retenu au même titre que plusieurs musiciens en Europe et Afrique. « On s’est retrouvé tous là-bas et chacun a fait ses shows-cases respectifs. Pendant cette compétition, j’ai été retenu par des festivals en France et en Suisse », a expliqué l’artiste comorien.
Un facilitateur pour les artistes
Éliasse Ben Joma était aux côtés de Soumette Ahmed et du collectif d’artistes lors de la création du Centre de Création Artistique et Culturel des Comores (CCAC) – Mavuna.
L’artiste estime qu’il a été parmi les tout premiers artistes précurseurs dans ce combat, notamment quand le ministre, chargé de la Culture, a décidé de leur confier les clés des locaux de la l’actuel CCAC-Mavuna. Premier trésorier de l’association, Éliasse s’occupait aussi de la partie musique.
Il en avait profité pour créer une collaboration avec le Festival Milatsika de Mayotte dans le but d’envoyer des artistes vers Mayotte pendant cinq années. Plusieurs musiciens ont donc pu profiter de certaines opportunités.
Un plaidoyer pour le retour du « live »
Pendant les échanges avec les journalistes, Éliasse a également axé son propos sur la manière moderne de mener une carrière musicale via la Fabrication Assistée par Ordinateur (FAO) qu’il critique cependant et dit être attaché à la production « live ». Le public a compris que les applications et logiciels qui fabriquent ou conçoivent des rythmes ou des musiques n’ont pas sa préférence.
Pour Éliasse Ben Joma, à force d’utiliser ces « produits finis », faire de la musique risque d’être comme ce qui se passe avec la dépendance à l’importation du riz aux Comores. Si de l’extérieur, on arrête de mettre dans les machines ces modélisations ou ces usinages assistés par ordinateur, les musiciens risquent de se retrouver dans la pénurie au niveau de la création.
Ce qui est différent, selon l’artiste comorien, quand il s’agit de la production « live » : un mode de diffusion en direct qui attire toutes sortes de publics. Le « live » est une performance musicale, un enregistrement effectué devant un public lors d’un concert avec les applaudissements en fond sonore, des scènes immenses, des jeux de lumière impressionnants, ou encore l’interaction dynamique entre les musiciens jouant en même temps et le public qui crée une atmosphère unique, favorisant un sentiment de connexion et d’unité.