Le roman Anguille sous roche d’Ali Zamir, paru aux éditions Tripode en 2016, a bénéficié, je m’en rappelle encore, d’une grande publicité en France à la suite du refus des autorités préfectorales de l’île de la Réunion d’octroyer un visa à son auteur pour venir faire la promotion de son livre à la rentrée littéraire à Paris.
C’est un premier roman qui a obtenu le prix Senghor en 2016, la Mention spéciale du prix Wepler en 2017, le prix Mandela de la Littérature en 2017, ainsi que le prix des rencontres à lire de Dax la même année.
Une jeune fille de Mutsamudu, chef-lieu de l’île d’Anjouan, Anguille, se noie lors de la traversée en barque pour rejoindre l’île comorienne de Mayotte. Elle raconte sa vie.
Avec « Anguille », Ali Zamir entre, d’un coup, dans la littérature comorienne, africaine et mondiale; suivront trois autres romans qui connaîtront le même succès.
Si l’intrigue semble, à première vue, sans grand intérêt, c’est que l’originalité du roman se trouve ailleurs. Les 367 pages du livre sont écrites en une seule phrase. Sans point. Certes, Ali ZAMIR n’est pas le premier à tenter l’expérience, mais le résultat est là, tranchant. Certes on peut remplacer les virgules par des points, certes il y a des pauses entre les chapitres alors que le roman est censé n’être qu’une phrase, mais qu’importe, l’exercice est réussi. La langue est belle, riche, travaillée, parfois trop à mon goût – me rappelant certains écrivains algériens des années 1980 qui, ayant besoin de prouver leur maîtrise de la langue française, écrivaient à coups de dictionnaire. Les personnages sont vivants, touchants, attachants, même. L’ambiance de la ville de Mutsamudu, sa chaleur, ses odeurs, sont là, présentes, extraordinairement bien rendues. À l’instar de la ville du Caire avec Alaa El Aswani, dans « L’immeuble Yakoubian », les ruelles de la médina de Mutsamudu ont défilé sous mes yeux.
Et puis, ne boudons pas notre plaisir : la traversée des 70 kilomètres qui séparent l’île d’Anjouan de sa sœur Mayotte demeure la question fondamentale, centrale de l’histoire des Comores.
Avec Ali ZAMIR (et Touhfat MOUHTARE) la relève des romanciers comoriens de langue française est assurée.
Mohamed Nabhane
Agrégé d’Arabe
Auteur de « Mtsamdu Kashkazi kusi Misri » (KomÉdit, 2012)
et « Masanamwana » (KomÉdit, 2015