Après une pression de quelques jours menée par les Imams comoriens, le ministre de l’Éducation nationale, Takiddine Youssouf, a pris la décision de suspendre des cours de biologie et donc de censurer plusieurs pages de deux manuels scolaires, sans consulter ni les professeurs ni les inspecteurs.
Par MiB
C’est par une note de service en date du 6 octobre 2023, signée par le secrétaire général du ministère que le ministre de l’Éducation nationale, Takiddine Youssouf a très rapidement répondu aux pressions des Ulemas, qui depuis quelques jours se plaignent du fait que dans les manuels de sciences naturelles et environnementales de CM1 et CM2, il existe des cours et des dessins assez explicites sur le corps humain ou sur les maladies sexuellement transmissibles.
Des cours ou des pages interdits ?
Le ministre a décidé non pas de suspendre le programme, mais de suspendre des pages précises d’un manuel. C’est une première dans l’histoire de l’éducation nationale. Cela est possible aux Comores dans la mesure où l’on trouve des manuels officiels, qui sont reconnus par l’État et des manuels venant de l’étranger qui sont utilisés dans certaines écoles sans son approbation.
Cet arrêté crée donc une situation insolite puisqu’il ne vise que certaines pages des deux livres (CM1/CM2) approuvés par l’État en 2016, mais que les mêmes thèmes peuvent être étudiés avec d’autres manuels venus de France ou du continent africain, et notamment les manuels de la collection « champions ».
Les cours qui sont interdits concernent d’abord l’évolution du corps de l’enfance vers l’adolescence, c’est-à-dire la leçon n°7 (« les organes génitaux ») et la leçon n°20 intitulée « De l’enfance à l’adolescence » (seul cours de CM1 interdit). Il s’agit d’une description des organes génitaux et de leur évolution à l’adolescence. Ensuite, le ministre a interdit la leçon n°9 (pages 36 et 37) qui traitait de la fécondation. Et enfin, la note de service du 6 octobre a censuré les leçons sur les maladies sexuellement transmissibles comme le SIDA (leçons n°6 et 11).
Pourquoi interdire ?
Le cours intitulé « De l’enfance à l’adolescence » montre deux planches sur lesquelles l’élève peut voir respectivement un garçon et une fille nus à trois moments de la vie (5, 15 et 24 ans). Les enfants sont invités à repérer les évolutions qui apparaissent sur le corps à ces périodes. Le texte qui accompagne ces images est assez équilibré et montre les différences physiques entre les hommes et les femmes. Il parle de l’attirance au moment de l’adolescence pour le sexe opposé. Nous sommes à mille lieues des débats qui ont cours en Europe sur les changements de sexe ou les relations sexuelles.
Les cours sur les maladies sexuellement transmissibles présentés dans ces manuels ont plutôt vocation à faire de la prévention, rien de plus, même si on peut trouver qu’ils ne sont pas faits pour des enfants qui ont moins de 10 ans (en CM1 et CM2). Il suffisait donc de les replacer dans le secondaire. D’ailleurs un encadreur contacté affirme que « les enseignants adaptaient les contenus en fonction des élèves ».
Les ulemas ont juste oublié que dans l’école coranique (shioni) tant vantée la semaine dernière dans une sorte d’hystérie idéalisant le passé, les cours d’éducation sexuelle existent. Ce qui fait dire à un enseignant interrogé par Masiwa : « Si ces programmes sont choquants, on doit arrêter le « Babou » à l’école coranique ». En effet, on y apprend à des enfants plus jeunes que ceux qu’on retrouve en CM1 ou en CM2, entre autres, comment un adulte doit se purifier après l’acte sexuel. Que leur dit-on pour leur expliquer ce qu’est l’acte sexuel ?
Alors qu’est-ce qui gêne les ulemas dans ce manuel ? Peut-être les images…
Une décision temporaire ?
La note de service prétend que cette décision de censurer partiellement les deux manuels a été prise « après plusieurs échanges avec les représentants des Ulemas et de la société civile ». En réalité, les Ulemas de Ngazidja ont été reçus au ministère une seule fois et quant à la société civile, cela fait longtemps qu’on ne la voit pas dans ce pays. Le ministre aurait pu recevoir une association nationale des parents d’élèves, cela n’a pas été fait. Les plus concernés, les enseignants, les conseillers pédagogiques et les Inspecteurs de l’Éducation nationale n’ont même pas été interrogés ni informés. Ils s’attendaient à être reçus et à ce que le ministre leur demande leur avis avant de prendre cette décision. Le ministre n’a pas trouvé utile de consulter ses agents qui sont sur le terrain, ne serait-ce que pour comprendre comment ces manuels ont été élaborés et validés par les différentes commissions et instances du ministère.
La note de service atténue cette décision en la limitant dans le temps. Une décision définitive devrait être prise lors des Assises de l’Éducation prévue fin novembre. Il n’est pas certain que ces Assises prévues tant de fois puissent être organisées, à moins d’un mois de l’ouverture de la campagne électorale. Donc le temporaire risque de durer.
La majorité des enseignants est catégorique : il s’agit d’une décision imposée par les ulemas. Ils rappellent que lors de la validation du programme, les religieux étaient présents, notamment le Mufti Saïd Toihiri qui a validé l’enseignement des risques avec le VIH.
Pourquoi aujourd’hui ?
Ces deux manuels ont été élaborés par des enseignants comoriens, avec l’appui technique et financier de l’Union européenne et sur la base de réflexions menées depuis 2008. Ils ont été distribués dans les écoles publiques et privées à partir de 2016. Cela fait donc plus de sept ans que ces manuels sont utilisés sans que ni professeurs, ni inspecteurs, ni parents ne s’en plaignent. « Je ne comprends pas cette levée de boucliers aujourd’hui », affirme un enseignant, quelque peu perplexe. Il est probable que c’est le résultat des débats actuels en Europe et dans les réseaux sociaux sur l’enseignement de la sexualité à l’école et particulièrement à l’école maternelle. Cela est perçu comme une tendance actuelle dans le monde entier et les inquiétudes atteignent les côtes comoriennes. Seulement, il ne s’agit pas dans ces manuels d’enseignement de la sexualité.
Pour autant, au temps de la diffusion de l’internet jusque dans les villages les plus reculés, l’école comorienne peut-elle se passer d’enseigner le corps humain ou faire de la prévention auprès des adolescents sur les maladies sexuellement transmissibles ? Et pire encore, est-ce le rôle des religieux de déterminer ce qui doit être enseigné à l’école ou pas ? N’est-ce pas une prérogative de l’État et de ses fonctionnaires, inspecteurs et enseignants ? En accédant avec précipitation aux exigences des ulemas, au lieu de réfléchir à ce qu’il convenait de faire au sein du ministère, le ministre de l’Éducation nationale n’a-t-il pas créé un précédent qui risque de mettre sous tutelle l’enseignement aux Comores ?