Il est un phénomène étrange dans la plus petite île de l’archipel des Comores, Mwali. La demande en avocats est permanente. Malgré les entorses à la loi pour régulièrement faire prêter serment à de nouveaux jeunes, il en manque toujours. Le 9 août dernier, 11 nouveaux avocats ont prêté serment à Mwali à la demande du ministère de la Justice, dans le secret le plus total, et au mépris des règles établies par la loi de 2008. Ils sont déjà presque tous repartis, soit à Anjouan, soit à Moroni, voire en France.
Par MiB
Le barreau de Mwali a deux ans. La loi de 2008 sur la profession d’avocat ne prévoit d’ailleurs pas de barreaux dans chaque île, mais un seul ordre national des avocats. Le barreau de Moroni ne prenant pas en compte l’apparition d’avocats dans les autres îles, le barreau d’Anjouan est né. Puis, récemment est apparu le barreau de Mwali.
Selon les propos du Vice bâtonnier de Mwali, Me Nassur, interrogé le 11 août dernier par Oubeidillah Mchangama pour FCBK FM, le barreau de Mwali est né pour essayer de mettre fin aux prestations de serment « sauvages » ordonnées par le ministre ou par certains juges dans l’île, sous couvert de manque d’avocats dans la plus petite île des Comores.
Des avocats au bon vouloir du ministre
Selon Me Nassur, l’acte qui a motivé la mise en place du barreau de Mwali, sans aucun cadre légal, est une lettre du ministère qui a demandé à la Cour d’appel de faire prêter serment à une demi-douzaine de jeunes. C’est une habitude depuis plusieurs années. Une fois la prestation faite, ils ont tous rejoint Moroni. Mais, cela n’a pas mis fin à une pratique qui foule aux pieds la loi et même la déontologie du métier depuis longtemps, car comment peut-on prétendre défendre les lois, lorsqu’on commence par les mépriser ?
Le vice-bâtonnier explique le plus simplement du monde qu’il suffit que le ministre (NDLR : le précédent, Mohamed Ousseini ou l’actuel Djaé Ahamada) ou même un juge contacte le barreau et lui dit : « J’ai une personne, je voudrais que vous le fassiez prêter serment ». Et le barreau s’exécute. Combien sont-ils à exercer à Moroni après une telle prestation illégale ? Ce n’est ni le ministère de la Justice ni le barreau de Moroni, qui couvrent cette pratique, qui dévoileront les noms et le nombre.
« Nous avons contacté Djaé pour prendre un arrêté pour faire un concours national (loi 2008) ou un concours régional (illégal). Le ministre n’a jamais répondu et la pratique a continué », explique Me Nassur.
Le 9 août dernier, 11 nouveaux avocats ont prêté serment, via une procédure qui demeure secrète pour la plupart des Comoriens, vu qu’aucune publicité n’a été faite. Le vice-bâtonnier affirme que cette procédure particulière et illégale vise à renforcer le barreau et la justice à Mwali. Pourtant, il reconnaît aussi que ces gens vont tous partir travailler à Moroni, et que c’est leur droit. Il justifie d’aller à l’encontre de la loi parce que le gouvernement ne veut pas organiser l’examen prévu depuis celui de 2013. Et lui aussi décide que la « loi de 2008 est tombée en désuétude. On ne l’utilise plus ». Mais, cette loi de 2008 ne fait pas que prévoir les modalités pour devenir avocat. Elle crée la profession et la régule. Un simple vice bâtonnier peut donc décider qu’une loi est tombée en désuétude et demander l’application d’autres règles qui lui conviennent ?
Une note de service illégale et mal rédigée
Pour la prestation de serment du 9 août par la « filière mohélienne », Me Nassur est catégorique : ce n’est pas le ministre qui est à l’origine. Et c’est un hasard s’il s’est trouvé à Mwali au moment de l’évaluation. Il s’emploie tellement à le couvrir que l’auditeur finit par comprendre qu’il le fait par prudence.
Dans la note de service du 18 juillet 2023 « relative au renforcement des auxiliaires de justice auprès des tribunaux et cour de Fomboni », le ministre Djaé Ahamada dont chacun reconnaitra le style et les écarts qu’il peut parfois se permettre en tant qu’ « ambassadeur du français » (sic) aux Comores, tient à préciser dès la première ligne qu’il s’agit d’une « demande du Bâtonnier de l’ordre des avocats de Fomboni » et il répétera l’idée dans son troisième « vu » en citant même la date de la lettre du bâtonnier : « 00/00/2023 » (sic). Comme s’il suffisait que le bâtonnier demande quelque chose au ministre pour que celui-ci y accède. Pourquoi alors ne pas avoir répondu à sa demande de mettre en place un vrai examen ?
Abdourahmane Mohamed Ben Ali qui est parmi ceux qui ont longuement évoqué l’affaire sur Facebook et qui attend depuis longtemps l’organisation du concours doute que la demande du bâtonnier n’ait pas rencontré les intérêts du ministre : « Il y avait au moins 4 candidats (dont 2 au moins vivants en France comme moi) de Kwambani ou Washili ville et région du ministre de la Justice. Curieux. »
Le quatrième et dernier paragraphe de cette note de service demande à tous les chefs de juridictions de faciliter « l’exécution de cette avant et après » (sic) la prestation de serment. Le moins que l’on puisse dire c’est que les trois alinéas précédents constituent une véritable fumisterie.
Le premier alinéa affirme : « Le ministère de la Justice est dans l’impossibilité d’organiser un concours national conformément à l’article 14-2 de la loi suscitée » (loi de 2008). C’est la formule consacrée à chaque fois que des prestations de serment sont discrètement organisées à Mwali. Il semble en lisant cet alinéa que le ministre et ses services n’ont jamais lu « la loi suscitée », car d’une part cette loi n’a jamais évoqué l’organisation d’un concours, mais d’un examen, ce qui n’est pas du tout la même chose, et d’autre part l’article 14-2 ne parle pas de l’organisation ni d’un concours ni de l’examen. Il dit simplement : « Nul ne peut exercer la profession d’avocat s’il n’est titulaire du CAPA ». Rien que cet alinéa devrait éliminer un bon nombre d’avocats dans les trois barreaux, si le gouvernement ou les juges ou la profession décidaient d’appliquer la loi en vigueur.
L’alinéa 2 est un exemple du français approximatif du ministre et il n’est quasiment pas compréhensible. Il laisse sans doute comprendre que la note de service a été prise pour que tous les Comoriens, et notamment les Mohéliens puissent avoir accès à la Justice par la présence d’un nombre suffisant d’avocat dans l’île. La question demeure : est-ce que ceux qui prêtent serment par « la filière mohélienne » restent à Mwali ? Cela ne se vérifie pas.
Enfin, l’alinéa 3 est le plus grave, car il démontre qu’un ministre peut devenir législateur « en substituant l’arrêté ministériel prévu par l’article 14-2 de la loi de 2008 par la présente note ». Comment une note de service peut-elle remplacer les dispositions prévues dans une loi ? Seul le gouvernement Azali en a le secret depuis 2018 et le fameux « courou courou !» du chef de l’État. Ainsi le ministre Djaé pourrait lui aussi s’écrier : « Concourou Concourou ! », si au moins l’obtention du CAPA relevait d’un concours.
Une procédure secrète
Le vice-bâtonnier de l’ordre de Fomboni y va aussi de sa volonté de modification et se perd dans les confusions. Pour lui, il ne s’agit ni d’un concours, ni d’un examen, mais d’une « évaluation », terme qu’on ne retrouve nulle part dans la loi de 2008, ni même dans la note de service du ministre. Et il n’hésite pas à apprendre aux gens que le barreau de Mwali n’ayant pas de compte bancaire, les frais payés par les « candidats » (250.000 FC soit 500€ au total par tête) sont envoyés sur son compte personnel.
L’autre aspect qui rend ces prestations de serment illégales, c’est qu’elles ne sont pas ouvertes à tout le monde. Pour se rendre à Mwali, il faut avoir été sélectionné par une autorité dont le ministre de la Justice ou certains juges. Une candidature spontanée est quasi impossible, bien que l’un des nouveaux avocats a affirmé à Masiwa qu’il a appris l’existence de la procédure à Mwali par des amis qui sont en fonction au ministère et a envoyé son dossier.
Abdourahmane Mohamed Ben Ali, quant à lui, nous explique : « J’ai pris un vol le 31 juillet. Nous sommes arrivés le 1er août à 13 heures. Une des personnes qui ont prêté serment le 9 août était avec nous dans ce vol. Soit 8 jours après son arrivée. Personnellement, je n’ai vu aucune publicité sur l’organisation de ce concours. Je lis pourtant la presse nationale quotidiennement. L’information était sans doute sélective. »
Comment ce pays peut aller vers la démocratie quand les avocats et les juges rejoignent les hommes politiques pour mépriser les lois en vigueur ? Quand les hommes de loi renforcent par leurs actes de tous les jours la corruption la plus hideuse ?