Les institutions de microfinance (IMF) comoriennes sont parfois accusées d’appliquer des taux d’intérêt trop élevés par rapport à ce qui est appliqué dans le monde. Mais qu’en est-il de la réalité?
Dans les faits, les institutions de microfinance comoriennes appliquent un taux d’intérêt annuel inférieur à la moyenne mondiale qui culminait à 28% en 2016. Les taux comoriens n’ont aucune commune mesure avec les 125 % de Te Creemos ou les 82% de Compartamos au Mexique et elles sont largement compétitives face à Mohamed Yunus et les plus de 20% de la Grameen Bank originel.
En France, le taux d’intérêt moyen des prêts de moins de 3000 euros est de 15,66 % (source rapport Banque de France, tableau taux, 2018 T1). En ce qui concerne les établissements de microcrédit français, ce sont les subventions des pouvoirs publics qui permettent aux institutions de survivre avec des taux inférieurs aux autres régions du monde. A titre d’exemple, deux tiers des ressources de l’Adie (Association pour le droit à l’initiative économique), l’une des principales actrices du microcrédit, proviennent de fonds publics ou de bailleurs. Autrement, les taux d’intérêt atteindraient 30%. Ce sont les propos de Cédric Turini, responsable RSE de la Fédération nationale des caisses d’épargne.
Si les « microcrédits » n’ont pas de « mini-taux d’intérêt » c’est parce que cela engendre beaucoup plus de coûts. Prenons un exemple très simple et très concret. Lorsqu’un commerçant se rend dans une banque commerciale pour emprunter 100 millions de francs comoriens destinés à son activité, l’institution devra mobiliser un conseiller durant moins d’une heure qui imprimera un contrat. Plus tard il fera des relances par courrier et par téléphone pour assurer le recouvrement de la créance. Mais contrairement à une banque commerciale, l’institution de microfinance ne prête pas 100 millions à une seule personne mais plutôt à une centaine de personnes qui ont besoin d’un petit montant pour leurs activités (achat de petits outils pour la pêche ou l’agriculture par exemple). Pour le même montant injecté à l’économie, l’IMF déploiera 100 fois plus de ressources. Ainsi, pour suivre 100 clients, elle devra mobiliser plusieurs agents durant l’équivalent de plus de 100 heures, imprimer 100 contrats, effectuer cent fois plus de visite de terrain dans des localités parfois éloignées, effectuer cent fois plus d’appels de relances et envoyer 100 fois plus de courriers.
Et ce n’est pas seulement une question de nombre de personnes traitées mais aussi une question de nature des informations. Dans une banque commerciale européenne, le banquier obtiendra de son client : une déclaration d’impôt, son bilan, son compte de résultat, son bulletin de salaire, ou encore son contrat de bail. Dans une IMF, aux Comores, les agents doivent faire face à une forte asymétrie d’information. La majorité des clients ne font pas de bilan comptable, ni de compte de résultat et encore moins de résultats prévisionnels. Une partie des revenus n’a aucune traçabilité bancaire.
Beaucoup ne différencient pas clairement les dépenses et les revenus destinés à l’entreprise (l’activité) et ceux destinés au foyer. De même que l’actif de l’entreprise n’est pas toujours distinct du patrimoine personnel. La qualité de l’information financière est faible, ce qui complique la mesure de la capacité de remboursement des emprunteurs et impacte directement le coût du risque.
En outre, en microfinance, un nombre important de crédits sont accordés pour des petits montants et pour une durée inférieure à un an. Comparer des taux d’intérêt de petits prêts inférieurs à 12 mois avec des prêts sur 20 ans, biaise le débat. Prenons le cas d’un client qui obtient un prêt pour une durée de 6 mois à un taux de 14% annuel. Dans les faits, ce client ne devra pas payer 14% du montant mais plutôt moins de la moitié des 14% dans la mesure où la durée est d’une demi-année. Comparer des petits prêts, de courtes durées avec des prêts de longues durées de gros montant, dénature le débat.
D’ailleurs, lorsqu’il s’agit de traiter des dossiers avec des montants plus grands, des durées plus longues, et des informations financières exhaustives, les IMF comoriennes appliquent des taux très compétitifs qui attirent les TPE et le PME avec des taux pouvant aller jusqu’au minimum du seuil fixé par la BCC (7%).
Par ailleurs, dans le calcul du coût du crédit, une institution financière doit inclure les coûts liés aux pertes sur crédits. En effet, les institutions de microfinance font face à des impayés qui donnent lieu à plusieurs conséquences telles que la réduction du résultat à cause des provisions pour créances douteuses, la perte de la partie non recouvrable de l’encours de crédit, le ralentissement de la rotation du portefeuille, l’augmentation des frais de suivi, d’analyse, et de justice, et un certain nombre de coûts supplémentaires (impact négatif sur la viabilité financière, impact négatif sur l’image de l’institution, impact négatif sur le personnel…)
Aussi, le taux d’intérêt inclut le coût de la disposition des fonds permettant de prêter aux clients tels que la rémunération des comptes épargne, la mobilisation de ressources financières, humaines et matériels dédiés au suivi des clients et à la gestion de leurs comptes ou encore le coût du refinancement auprès de bailleurs tels que l’AFD, la BID, ou encore la BAD
De plus, les institutions de microfinance doivent dégager des marges suffisantes pour continuer d’exister. En d’autres termes politiquement incorrects, une IMF doit être rentable et gagner de l’argent pour garantir la pérennité de son activité. D’autant plus que la plupart des IMF aux Comores sont des coopératives et des mutuelles. Ainsi, les bénéfices ne sont pas entièrement partagés par une poignée d’actionnaires comme le font les banques commerciales mais sont plutôt injectées dans l’établissement afin de capitaliser l’institution en renforçant les fonds propres et dans le but d’investir dans le développement de la structure au service de ses clients-membres (nouveaux produits et services, recrutement de personnels, informatisation, sécurisation, extension des locaux, ouvertures d’agences, nouveau moyen de paiement etc…)
Enfin, les institutions de microfinance ne peuvent pas évoluer sans tenir compte de la situation interne de l’établissement mais aussi de l’environnement politique, économique, juridique, social et technologique du pays dans le calcul du risque. Les IMF doivent travailler en interne pour réduire le plus possible les coûts opérationnels mais il est aussi primordial que l’ensemble des acteurs politiques et du développement travaillent de concert pour que la situation politique soit apaisée et propice au développement d’activité génératrice de revenus, que le système judiciaire s’améliore, que les porteurs de projets soient accompagnés et soutenus par les pouvoirs publics, que les infrastructures de transport, de télécommunications et d’énergie soient développés, que le coût de l’énergie soit réduit, que la corruption soit réduite, que la fiscalité soit encourageante pour les entrepreneurs, que les formations en personnels qualifiés soient réalisées, que les personnes au chômage soient accompagnées par l’Etat, et que le climat des affaires soit amélioré. Ainsi, les taux diminueront irrémédiablement. Aussi, d’autres pays utilisent une multitude d’outils de financement qui complètent les institutions financières (subventions des entreprises par l’Etat, obligation, titrisation, Bourse, Business Angel, Capital-risque). Il serait temps d’ouvrir le champ des possibles.
AMIN SAID AHMED, Expert en Microfinance