Les urgences hospitalières à Moroni frôlent l’asphyxie chaque jour à El-Maaruf où les locaux et les services de soins ne peuvent pas faire face à un afflux massif.
Par Hachim Mohamed
À l’instar d’un parcours semé d’obstacles variés que doit accomplir un militaire lors de son entraînement, le circuit d’un père de famille Yacoub M.S., gravement malade, pour se faire soigner, offre une radiographie de la mauvaise gouvernance sanitaire aux Comores.
L’homme complètement déshydraté avec une perte d’eau à un niveau alarmant a été admis en catastrophe le 29 juin 2023 au dispensaire de Mboueni (Moroni). Il n’a pas connu la fête de l’Aïd comme tout le monde cette année. Tout a commencé lors des serrages de mains à l’occasion de l’Aïd. Un médecin urgentiste, Soilihi Abdallah est interloqué par l’état de cachexie (état d’affaiblissement et d’amaigrissement dû à certaines maladies chroniques), lié à un état de dénutrition extrême et de déshydratation. Il alerte à sa famille.
« Non, non, sa pathologie est sérieuse, il faut dare-dare l’emmener à l’hôpital », conseille-t-il sur place.
Manque de lits à l’hôpital El-Maaruf
Le 30 juin, le patient est évacué par ambulance de la structure sanitaire de Mboueni à El-Maaruf. L’établissement de référence des Comores est aujourd’hui un grand hôpital « orphelin » de plusieurs bâtiments démolis. Faute de crédits de fonctionnement, ces services de soins sont engorgés, débordés et sont mal équipés pour prendre en charge certains symptômes gravissimes de patients qui y sont admis.
Sur place, Yacoub M.S. subit l’effervescence du lieu et une série d’inattendus. Soleil rougeoyant dans un ciel vaporeux, couloirs encombrés de va-et-vient. Les parents qui ont accompagné l’ambulance n’ont d’autres choix que de hurler leur colère devant la lenteur manifeste au service des urgences d’El-Maaruf. « Tonton est dans le couloir le temps qu’on trouve un local, un lit pour le déposer », explique un des fils du patient, dévasté par la souffrance endurée.
Il a fallu l’entregent du médecin urgentiste Soilihi Abdallah pour trouver un « créneau de lit » dans une chambre où se trouvaient déjà plusieurs lits occupés. C’est une des déconvenues qui ont plongé les parents, qui sont venus au chevet du patient, dans un drame psychologique. Comment supporter que la pathologie sérieuse d’un proche soit à ce point banalisée.
Le malade avait déjà attendu et perdu plus de 12 heures dans la structure sanitaire de Mboueni, dépourvue de spécialiste, et de nouveau il allait attendre plusieurs heures avant qu’on ne s’occupe de son cas et avant qu’il ne s’aggrave davantage.
Balloté d’un hôpital à l’autre
Pendant que les médecins sont sollicités au téléphone pour accélérer le processus de prise en charge, c’est à 20 heures passées qu’une ambulance s’est arrêtée à l’entrée des urgences. Le brancardier l’a posé dans le véhicule qui s’est dirigé au centre d’imagerie médicale. La consultation de ce service coûte 20.000FC. Les radiologistes au moyen des instigations techniques sont à même de produire en direct sur un écran fluorescent, l’image du corps du patient interposé entre cet écran et une source de rayonnement X. Le but de cette consultation médicale est de créer une représentation visuelle intelligible d’une information à caractère médical.
Passé cette phase d’examen, l’ambulancier a emmené ensuite le malade au bloc de la chirurgie d’une autre structure sanitaire située dans l’enceinte de l’hôpital El-Maaruf dénommée « Dubaï ».
Dans cette situation d’urgence vitale dans laquelle la vie du patient est en danger et où il risque de décéder faute de soins rapides et adaptés, le médecin urgentiste Soilihi Abdallah est encore là à expliquer la série de péripéties qui ont vu Yacoub M.S. balloté d’hôpital en hôpital pour finir à l’Annexe d’El-Maaruf à Mdé.
« Il a été vu par un chirurgien pour une RAU (Rétention aiguë des urines). Ensuite, il a été suivi en médecine interne pour sa pathologie chronique qui avait nécessité des soins à Mayotte puis La Réunion, et dont la rupture de soins est la cause de sa rechute d’où la recommandation de l’évacuation sanitaire. Le diagnostic retenu à la Réunion, je ne le connais pas, car je n’ai pas vu son dossier », explique Soilihi Abdallah.
L’Annexe d’El-Maarouf à Mdé « fonctionne » sans un groupe électrogène
Le patient a pu bénéficier d’un EVASAN à la Réunion pour subir une radiothérapie. « Il n’est pas impossible que s’il avait adhéré au traitement, il serait dans un état meilleur que maintenant », a affirmé le Dr Charif, basé à Mayotte.
À l’annexe de Mdé, venue au chevet de son tonton, une nièce s’est rendu compte à la suite d’un délestage (5 heures de temps), que le chirurgien qui mettait ou sortait la sonde urétrale au patient travaillait sous la lampe du téléphone portable.
Déontologiquement, la mission, le devoir premier d’un médecin est de prodiguer les soins que requiert l’état de santé de ses patients. Et un thérapeute est là pour s’assurer de donner le bon traitement après avoir diagnostiqué la bonne maladie. Mais comment les professionnels de la santé peuvent travailler dans un hôpital où une coupure de courant n’est pas « relayée » par l’énergie d’un groupe électrogène ? Selon certaines indiscrétions, on a fait comprendre au personnel de l’Annexe d’El-Maarouf qu’il ne sert à rien d’en avoir dans la mesure où le nouveau CHU en construction sera inauguré d’ici la fin de l’année. D’ici la fin de l’année, afin que la construction de cet hôpital, même non équipé, puisse être utilisée comme un argument de campagne percutant dans les échéances électorales de 2024.
Yacoub M.S. a quitté le pays le samedi après deux semaines sur place. Il avait la chance de pouvoir partir en soins ailleurs. Ils ne sont pas nombreux à pouvoir le faire.
La mauvaise gouvernance sanitaire des Comores incite encore pleinement au tourisme médical et ce genre de tourisme a encore de beaux jours devant lui.