Quatre personnalités du paysage médiatique de l’Union des Comores, respectivement, Toufé Maécha, président de l’Union internationale de la presse francophone aux Comores et directeur de l’information de la Radio et de la Télévision des Comores (ORTC), Oubeidillah Mchangama, Directeur et journaliste de FCBK-FM, Abdallah Mzembaba, journaliste à Alwatwan, le quotidien de l’état et correspondant de RFI et Andjouza Abouheir, journaliste de la Gazette des Comores, sont poursuivis pour diffamation à l’encontre de M. Hablani Assoumani Soilihi. Ils comparaissaient devant un juge le 22 juin dernier.
Par Abdel Djawad
Le procureur a requis une année de prison dont trois fermes et l’interdiction d’exercer pendant un an, si la culpabilité de ces derniers est établie. D’aucuns considèrent ces réquisitions comme une intimidation, une tentative de bâillonnement de la presse, mais d’autres prennent ces réquisitions pour une unité d’enseignement accordée à des journalistes qui confondent rumeurs et informations.
Beaucoup de bruits pour rien !
Le 17 juin 2023, au palais présidentiel, devant plusieurs autorités, lors des vœux à la presse, la vice-présidente du syndicat des journalistes, journaliste avant tout, Andjouza Abouheir a dénoncé, avec véhémences, des faits de harcèlements sexuels commis par un cadre de l’ORTC sur des femmes journalistes y travaillant. Elle lisait en fait un discours préparé, réfléchi et corrigé par le bureau du Syndicat national des journalistes aux Comores (SNJC). Sans les précautions langagières nécessaires, elle a interpelé le président, avec certitude et assurance, sur les maux qui rongent l’ORTC où, selon elle, des femmes journalistes sont victimes.
Ces accusations ont scandalisé le chef de l’État. Mais, quelques jours après, le correspondant de RFI, proche du bureau du Syndicat a relayé ce qu’il considérait comme étant une information, un scoop. Il ne fait aucun effort journalistique consistant à chercher et à prouver que son propos est vrai (exception de vérité). L’absence d’un travail sérieux d’une enquête (inexistante) et l’absence d’une prudence et la mesure dans l’expression de ces journalistes leur enlèvent la possibilité d’invoquer leur bonne foi : impossibilité de prouver que leurs propos sont vrais. Les journalistes ont donc eu du mal à convaincre et persuader le tribunal.
Un mois de buzz, un mois de tapage médiatique, un mois de « Hari, Hari », les quatre prévenus n’ont pas avancé la moindre preuve, le moindre témoignage, le début d’une enquête et pourtant ils ont promis ici et là, que le travail est sérieux, l’enquête et les preuves sont au frais et sortiront en temps voulu. Beaucoup de bruits pour rien, il est si facile d’être journaliste sous les cieux de l’émergence, il suffit de donner des affirmations gratuites, ne jamais chercher à les prouver, et venir brandir et réclamer la liberté d’expression : « Empêcher un journaliste de faire son travail est une entrave manifeste à la liberté d’expression » : comme si la liberté d’expression est l’addition des assertions injustifiées, d’accusations gratuites et d’expressions démesurées et imprudentes.
Défense baroque et bancale ?
Avocats et soutiens de la défense cherchent à contester le bien-fondé du procès. Ils affirment que le nom de la victime n’avait été prononcé, donc la diffamation n’est pas question. Or, il n’y a pas besoin que le nom de la personne diffamée soit prononcé, il suffit qu’elle soir reconnaissable dans les propos diffusés. Or, deux jours après la déclaration de la jeune journaliste utilisée comme chair à canon médiatique, les autres peu courageux, étant absents au procès, un autre journaliste a bien précisé que le cadre en question, auteur présumé des faits de harcèlements sur les femmes journalistes de l’ORTC, vient de Mitsoudjé-Hambou et fait partie de la direction de l’ORTC. Il n’y a que Hablani Assoumani Soilihi Idjabou qui correspond à cette description. Le journalisme de devinette, le journalisme des énigmes, le journalisme des contes ne peut pas envoyer, livrer un père de famille sous la guillotine médiatique, à la « vindicta popularissimus » avec un seul argument massue qui ne tient pas debout : « À aucun moment, les personnes citées dans cette affaire n’ont nommé le plaignant. C’est lui qui s’est senti visé ». Balivernes et facilités.
Une unité d’enseignement pour les journalistes
Un journaliste, s’il est honnête et professionnel, ne se cache pas derrière un syndicat pour dénoncer sans preuve, sans témoins et dans le vide. Il doit être animé d’un but légitime au nom de l’intérêt général sans animosité personnelle. Le journaliste non complaisant ne doit pas dépasser les limites admissibles de la liberté d’expression, pour cela il doit afficher sa bonne foi, démontrer la « « base factuelle suffisante » (recherches justifiées, documentées, reposant sur des sources crédibles…) » au nom de la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
Cette pratique consistant à lancer des affirmations non ou peu documentées déshonore le métier, la profession et porte un coup fatal à une belle cause : la lutte contre les violences faites aux femmes. Et contrairement à ce que déplore ou réclame le syndicat de journalistes « ouvrir une enquête suite à la dénonciation par toute une profession d’abus sexuels », il est pratiquement impossible pour le parquet d’ouvrir une enquête chaque fois qu’une personne ou un groupe affirme ou dénonce sans preuve un phénomène, sans fournir à la justice un élément ou un témoignage. Autrement, il nous faut 2967 juges d’instruction pour enquêter sur les rumeurs, les bruits de couloirs et les propos relevant de règlement de compte et d’animosité personnelle. Telle est l’unité d’enseignement dispensée à nos journalistes qui ont certainement besoin d’une formation sur la bonne foi du journaliste, la diffamation et la liberté d’expression.