1/2 Une diplomatie du reniement
Même si je n’ai guère saisi en quoi l’expression publique d’une « nouvelle doctrine » implique une adresse au Colonel Assoumani Azali dont la gouvernance se résume à un « diktat, mon bon plaisir », je voudrais cependant saisir cette opportunité pour contribuer humblement à cet échange nécessaire et souhaitable, à propos de l’orientation de notre pays, dans la coopération internationale.
De prime abord, je ne pourrais que remercier Me Fahami Said Ibrahim, d’avoir stimulé une réflexion nourrie par l’expérience ministérielle, qui l’a conduit ainsi à sortir des murs des seuls initiés pour la soumettre à la culture citoyenne. Et ce, à un moment où le pays est placé sous le regard du monde par sa présidence de l’Union Africaine (UA), dans un contexte de mutations profondes dans les relations internationales et la quête d’une hégémonie redevenue encore plus brutale, à travers la confrontation entre les intérêts nationaux, mais aussi entre groupements d’États.
D’emblée, il me semble plus aisé de cibler la petite Commission de l’Océan Indien (COI), ce « machin », dont l’existence et le fonctionnement dépendent des subventions, notamment de l’Union européenne. Tout comme d’ailleurs l’Union Africaine financée tant par l’UE et les États-Unis pour son fonctionnement et presque entièrement par l’ONU pour la gestion et le règlement des conflits armés sur le continent, lesquels occupent encore une part majeure des préoccupations et décisions du Conseil de Sécurité.
Certes, à travers les projections de « l’économie bleue », la COI n’apporte pas grand-chose à l’unité, ni à l’intégrité territoriale et, malheureusement, très peu au développement de nos petits États insulaires. Certes, elle ne garantit même pas la libre circulation entre les ressortissants des pays membres. Mais, reconnaissons au moins qu’elle est la principale Organisation internationale (parmi celles auxquelles nous appartenons), qui a permis la tenue d’un sommet de Chefs d’État à Moroni, avec des compatriotes comme Secrétaire Général et/ou hauts fonctionnaires de ladite organisation. En plus du déploiement de nos jeunes athlètes, artistes et autres talents prometteurs, dans des rencontres internationales.
À dire vrai, pourquoi devrions-nous reprocher spécifiquement à la COI et aux pays voisins leur silence sur l’opération Uwambushu au point de vouloir nous en séparer, alors que c’est le même cas de figure pour des organisations mieux pourvues comme la Ligue des États Arabes, l’Organisation de la Coopération Islamique ou encore la Communauté de Développement d’Afrique Australe (SADC). Pire encore, il en est de même à l’échelle de l’Union Africaine dont les Comores président aux destinées à un moment où se met en œuvre cette violente violation de la comoriannité dans notre espace territorial et maritime tel qu’internationalement reconnu !
Devant un tel silence assourdissant et honteux de l’État comorien qui n’a saisi aucune instance internationale sur ce sujet, vital pour notre pays et tragique pour notre peuple, l’adage universel rappelle que « nul ne saurait être plus royaliste que le roi » !
C’est sous cette même optique d’une diplomatie du reniement que, lorsque l’île Maurice a porté la revendication de sa souveraineté sur les Chagos devant la Cour Internationale de Justice (avec à l’appui, une résolution adoptée par l’AG-NU à plus de 90% contre le Royaume-Uni soutenu par les seuls États-Unis), notre Ministère des Affaires Etrangères dirigé alors par Amine Soeuf évita tout simplement d’aller y exprimer sa solidarité. Cela, malgré le travail comparatif avec le cas de Mayotte fourni par notre représentation permanente aux NU et une proposition de nos voisins d’assumer éventuellement toute charge d’une délégation comorienne à La Haye. Qu’attendre donc de nos voisins ?
Pareillement, lorsque le Président des Seychelles (pays d’à peine 100.000 hab.) eût l’audace de proposer au Colonel Assoumani Azali l’ambition d’œuvrer ensemble en vue d’une représentation commune au Conseil de Sécurité pour la zone indiano-océanique (allant jusqu’à l’Indonésie), ce dernier se contenta de suggérer à son homologue (dans des termes que je n’exprimerai pas ici) d’offrir une de ses 115 îles à la France pour que l’ex-puissance coloniale veuille bien nous rendre Mayotte. Il s’autorisa ensuite à aller raconter une telle fadaise au Secrétaire Général des Nations Unies, croyant qu’à un tel niveau, il était permis de se laisser aller à une blague de si mauvais goût qui ne pouvait même prêter à sourire. Comment s’imaginer alors qu’on puisse prendre notre diplomatie au sérieux ? Pourtant et contrairement à de telles attitudes d’une médiocrité inqualifiable, lorsque le Gouvernement français a voulu intégrer l’île de la Réunion à la COI, le Président A. Abdallah avait su affirmer le sérieux et la hauteur de l’engagement des États, en demandant préalablement que dans le cadre des sommets, la France soit représentée par le Président de la République ou son Premier ministre et non par un Préfet…
De nos jours, hélas, l’opinion ne peut que noter la flagrante légèreté des autorités gouvernementales, négociant à table avec le sulfureux Bachar Kiwan. Celui-là même à l’origine du procès scandaleux dit « de la citoyenneté économique » contre un ancien parlementaire, un ancien vice-président, un ancien Président de la République, finalement condamné à perpétuité par un tribunal d’exception.
À contrario, la Tanzanie et le Malawi (pour ne citer que des pays voisins) font appel à d’anciens Chefs de l’État, pour user de leur crédibilité relationnelle en tant qu’émissaires spéciaux dans l’action diplomatique, la coopération bilatérale ou les médiations internationales.
Hélas, à l’inverse, nos voisins savent que de hauts dignitaires du pouvoir actuel font partie des trafiquants d’or volé au peuple malgache et que le ministre des Affaires étrangères en exercice fait trainer le pays dans une boue médiatique et juridique, pour une fraude de plus de 251.000€ auprès des services sociaux de la Réunion !
Dans un tel contexte de voyoucratie décomplexée, que peut-on espérer du regard de nos voisins ? Assurément, la diplomatie d’un État n’est que le prolongement extérieur de sa propre image intérieure ! Et voilà qu’après Port-Louis, Antananarivo et Maputo, Zanzibar n’hésite plus à ignorer notre souveraineté nationale et notre intégrité territoriale, par des accords de coopération décentralisée avec l’île de Mayotte. Sans la moindre protestation gouvernementale…
Fort heureusement que, comme dans l’Hexagone, les Franco-Comoriens (élus, juristes, enseignants, etc.) et toute notre communauté à la Réunion assument un tout autre dynamisme politique, artistique, athlétique et médiatique au quotidien. Tout comme face à l’opération Wuambushu dont le caractère illégal et inhumain est souligné par des élus tant dans l’Hexagone que sur cette île qui se définit, par son nom, comme un modèle d’intégration pour le vivre ensemble dans la diversité ethnique et religieuse.
Par ailleurs, à ce propos, sans guère exonérer la Communauté internationale de son attitude pour le moins passive envers un pouvoir autocratique jugé hautement corrompu, il ne reste pas moins vrai que le monde constate avec un grand étonnement que devant une telle agression affichée tambour battant, avec une réelle armada sur une petite île comme Mayotte, le Gouvernement de fait à Moroni n’a même pas eu recours aux procédures diplomatiques habituelles telles que la convocation de l’Ambassadeur français à Moroni pour des explications ni le rappel de son homologue Comorien à Paris pour consultation. Bien au contraire, ce dernier fut chargé d’accompagner des ministres régaliens avec le porte-parole dudit gouvernement, ainsi que le conseiller diplomatique de la Présidence, pour répondre à ce que des médias parisiens ont qualifié de simple « rappel à l’ordre » par l’ex-puissance coloniale. Après que le Colonel Assoumani Azali ait plaidé, lui-même, pour obtenir au moins de la discrétion et du maquillage dans la mise en œuvre des expulsions de ses compatriotes, pour ne pas être traduit en justice pour « haute trahison au regard de la constitution comorienne ».
Pourtant, pour un différend qui ne nous concernait guère, les mêmes autorités s’étaient empressées d’aller à l’extrême par une rupture brutale avec le Qatar dont la vision et la réalisation de projets concrets et structurants dans la coopération pour le développement n’étaient pas à démontrer. En prime, ce pays reste le seul parmi les « pétromonarchies » dont l’Émir nous honora par une visite gravée notamment dans les mémoires des agents et retraités des administrations et entreprises publiques. Autant déduire que pour redéfinir la doctrine d’une diplomatie qui se voudrait efficiente, il conviendrait au préalable de s’assurer que l’État se respecte et que ceux qui détiennent les rênes ne constituent pas un groupuscule avec des réflexes claniques et mafieux.
Ainsi, le pays ne revivrait plus l’absurdité d’une décision personnelle, irréfléchie, ubuesque et contraire aux intérêts de la Nation qui fait de notre diplomatie la risée des chancelleries qui feignent de regarder ailleurs.
Ambassadeur SOILIH Mohamed Soilih. Président du Mouvement Démocratique, Alternatif pour l’Innovation et l’Écologie – MDAIE