Malgré une actualité insulaire largement dominée par la politique politicienne (harmonisation des élections, caravane d’adhésion à la CRC, retour programmé du parti unique…), la Justice comorienne ne cesse de faire parler d’elle. Parce qu’elle ne sait pas de quel pied danser, elle patauge et affiche ses limites. Accusé, à tort ou à raison, d’être le sanctuaire de la corruption, notre saint tribunal devient « la bête noire » pour les simples citoyens alors qu’il devrait être le lieu de refuge pour les faibles. Une justice à plusieurs vitesses où les affaires empoisonnant la moralisation de la politique font un somme. Notre palais de justice, « injuste » pour les uns, sous anesthésie pour les autres, doit être à la recherche de son indépendance et de sa notoriété auprès des justiciables.
Par Abdel Djawad
De cette justice, parlons-en même si nos connaissances en droit frôlent le néant.
Une justice à, 1, 2, 3, 4, vitesses !
Si on pose d’emblée que la justice est un service public dont les modes de fonctionnement ou de dysfonctionnement peuvent être à tout moment discutés, il est donc certain que les critiques, les désapprobations à l’égard de l’institution judiciaire n’est pas l’apanage exclusif des hommes de robe et des chevronnés en sciences juridiques. De ce fait, permettez de faire l’écho de l’incompréhension des citoyens qui critiquent notre justice d’être toujours clémente avec les « puissants », les intouchables pour ne pas dire les filous de la République. Ce sentiment d’impunité est partagé par un petit nombre de Comoriens qui comprennent difficilement certaines décisions prises et le dysfonctionnement de l’institution. Je ne citerai point le cas des lingots d’or et nos douaniers. Je ne reviendrai guère sur l’épisode de la SNPCF ni sur la surfacturation de Comores-Télécom. Je refuse aussi de citer avec précision l’affaire Sambi, Dr Salami qui a mis à mal la maison de la justice.
Deux magistrats ont accepté de nous faire part de leur mécontentement. Préférant, tous deux, garder l’anonymat. Le premier nous a résumé cette situation de justice (deux poids deux mesures) avec l’art du beau et du bien parlé : « la loi s’interprète. Son interprétation condamnera au maximum de la peine un citoyen méconnu, et elle acquittera le citoyen bien né, le citoyen bien entouré et les puissants, quant aux autres, le sort parait bien évident ». Cette assertion dénonce explicitement une institution judiciaire qui protège les uns parce qu’ils ont un nom et délaisse les plus faibles, vulnérables à un système aux enchères. Le devoir de rendre justice n’anime point nos juges. Ceci est bien illustré par le cas « Hamidou Capio », un jeune trentenaire, poursuivi pour tentative de viol sur mineur, et sans jugement il est privé de ce qui est cher : la liberté et le droit de défense.
Les propos du premier juge sont confirmés par le deuxième, animé par la réforme judiciaire dont l’hypothèse n’est autre qu’un constat acerbe : « si les procureurs sont nommés par affinité idéologique et partisane, si les affaires sont confiées aux juges par proximité aux justiciables, si nos magistrats ne sont pas neutres, on ne parlera jamais d’une justice équilibrée aux Comores ; et elle ne sera jamais une autorité indépendante ni un pouvoir judiciaire ». À partir de cela, se pose fatalement la question de l’indépendance de la justice.
Une justice dépendante !
Ailleurs les syndicats des magistrats crient haut et fort à la séparation des pouvoirs. Chez nous tout le monde atteste de la proximité du pouvoir judiciaire et du pouvoir exécutif qui n’est autre qu’un pouvoir présidentiel. La formule est si simple : ce que le président veut, la justice comorienne le veut. L’affaire de la citoyenneté économique est une parfaite illustration de l’alliance indéfectible de deux pouvoirs. On se rappelle des déclarations du ministre de la Justice et du porte-parole du gouvernement qui affirmaient que le sort de l’ancien président Sambi dépendait de la volonté du locataire de Beit-Salam. Mélange de genres ? Des sorties baroques ou juste de la Commedia dell’arte ?
Force est de constater que nos hommes de droit ont les mains et les pieds liés. Entièrement soumis à l’autorité politique, nos juges, nos magistrats peinent à afficher une éthique irréprochable. Voilà pourquoi, il est plus que nécessaire que ces derniers persuadent le peuple et l’opinion de leur impartialité et du caractère impératif de leur indépendance effective et réelle. Sans cela, la justice comorienne restera dépendante d’un pouvoir exécutif et à plusieurs vitesses et ne gagnera pas sa notoriété, surtout si le ministre de la Justice en exercice donne des injonctions et des promotions à nos juges.