Sans surprise la Cour Suprême des Comores a rejeté la requête d’Ibrahim Abdourazak Razida lui demandant de se prononcer sur la haute trahison du chef de l’État, Azali Assoumani. La décision de la Cour n’est cependant pas dépourvue d’ambiguïtés.
Par MiB
C’est sans aucune crainte qu’Azali Assoumani a quitté les Comores pour se rendre, en compagnie d’autres dirigeants africains, à Kiev puis à Moscou via Paris. Il n’avait aucun doute sur l’issue de la requête déposée à la Cour Suprême par l’un de ses fervents opposants, Ibrahim Abdourazak dit Razida.
La requête dont on avait cru au départ qu’elle se basait sur l’accompagnement par le gouvernement comorien de l’opération Wuambushu pointait en fait l’Accord mixte franco-comorien signé par les ministres des Affaires étrangères comorien et français en 2019. Ibrahim Razida Abdourazak demandait par l’intermédiaire de ses trois avocats, trois ténors du barreau de Moroni (Me Fahmi, Me Mzimba et Me Mahamoudou) que l’Accord de 2019 soit déclaré inconstitutionnel, et que partant de cela le chef de l’État à l’origine de cet Accord soit reconnu coupable de haute trahison et destitué. Me Fahmi Saïd Ibrahim avait fait savoir sa différence avec les autres avocats en expliquant qu’il n’était pas possible de déclarer la haute trahison du chef de l’État dans la mesure où il n’y avait aucune sanction prévue à ce crime. En gros, il n’était pas possible de destituer le président qui a commis une haute trahison, car les lois existantes ne le disent pas.
Irrecevable
Le 15 juin dernier, la Cour Suprême des Comores, présidée par Harimia Ahmed Ali « déclare irrecevable la requête de Monsieur Ibrahim Abdourazak ». Les Comoriens s’attendaient à un rejet de la requête. Tous les juges de la Cour sont nommés par le Chef de l’État et on voit mal comment ces juges peuvent soudainement se retourner contre celui qui les a désignés alors que jusqu’à maintenant ils ont validé toutes les demandes de ce dernier, y compris la validation des chiffres des élections présidentielles et des Gouverneurs de 2019, alors qu’une partie des urnes avaient été détruites et l’autre partie n’avait même pas été ouverte. Le suspens reposait sur le motif. L’irrecevabilité présente l’avantage pour les juges de la Cour Suprême de ne pas faire une étude approfondie de la requête. La décision repose quand même sur des dispositions de la Constitution.
Pour parvenir à cette décision, les juges de la Cour Suprême se sont basés sur l’article 12 de la Constitution pour affirmer que « seuls le Président de l’Union, le Président de l’Assemblée de l’Union et les Gouverneurs des Îles sont habilités à saisir la Cour Suprême pour examiner les engagements internationaux conclus par l’Union des Comores »
Il en ressort que si tout citoyen peut saisir la Cour Suprême, il n’y a que ces cinq personnalités étatiques qui peuvent porter une requête mettant en cause des traités ou des Accords internationaux.
Une inattention des avocats
Comment les trois ténors du barreau de Moroni qui ont accepté de défendre cette requête d’une manière gracieuse sont-ils passés à côté de ce préalable ? Mystère. Il faudrait sans doute ranger cela dans l’éternel problème des avocats et juges comoriens avec les procédures judiciaires. Il y a sans doute eu de la part des juges de la Cour Suprême une volonté d’humilier et de se moquer de ces grands avocats, tous les trois positionnés dans l’opposition, en les laissant se lancer dans de grands plaidoyers tout en sachant que la requête n’était même pas recevable.
Interrogé par nos soins, Me Ahmed Ben Ali, avocat à La Réunion, explique : « Quand on saisit une juridiction, la première chose qu’on vérifie c’est la qualité à agir, la recevabilité de l’action en justice ». Il semble que ses confrères aient oublié ou négligé cette vérification qui conditionne tout le reste et ont rendu un grand service à la Cour Suprême qui n’a donc pas eu à se prononcer sur la haute trahison du chef de l’État au regard de l’opération Wuambushu.
Un accord non ratifié
La Cour Suprême elle-même ne prend en compte qu’une partie de l’article 12. Elle cite deux alinéas de cet article. Le premier affirme : « Les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l’organisation internationale (…) ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi. Ils ne prennent effet qu’après avoir été ratifiés ou approuvés ». Or il se trouve que cet accord mixte franco-comorien comme le précédent signé sous Azali 1 (2005) n’a jamais été ratifié. D’une manière générale, les accords de coopération économique ne sont jamais ratifiés aux Comores. En partant de ce constant, on peut se demander si l’Accord mixte franco comorien de 2019 fait partie des « traités et accords » visés dans cet article 12 de la Constitution. Si c’est le cas, et cela semble être l’interprétation de la Cour Suprême, celle-ci devait déclarer cet accord inconstitutionnel, contraire à ce qui est prévu dans cet article 12, et donc ne pas s’en servir pour dire que la requête est irrecevable.
Il en est de même pour le deuxième alinéa de l’article 12 cité par la Cour Suprême pour justifier le rejet de la requête : « Si la Cour Suprême saisie par le Président de l’Union, le Président de l’Assemblée de l’Union, ou par les Gouverneurs des Îles, déclare qu’un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l’autorisation de la ratifier ou de l’approuver ne peut intervenir qu’après la révision de la Constitution ». Cet alinéa montre que le but de la saisie de la Cour Suprême visé dans cet article est d’empêcher la ratification, or cet accord, en vigueur et appliqué en grande partie, n’a jamais été ratifié. Donc soit l’Accord mixte franco-comorien n’est pas concerné par cet article 12, soit la Cour Suprême aurait dû le déclarer non conforme à la Constitution. La Cour Suprême ne peut pas ranger cet Accord de coopération dans les textes qui doivent être ratifiés par le Parlement et fermer les yeux sur le fait qu’il n’a jamais été ratifié. Si elle trouve normal que cet Accord mixte franco-comorien ne soit pas ratifié, elle ne peut pas lui appliquer l’article 12.
La justice comorienne a été également saisie par le Comité Maoré, l’ONG Hifadwi et la Fédération comorienne des Droits de l’Homme qui assignent à comparaitre devant le Tribunal de Première Instance de Mutsamudu la société SGTM qui exploite les bateaux « Maria Galanta » qui ramènent les « sans papiers français » de Mayotte à Anjouan et la Société comorienne des Ports (SCP) dans le but d’arrêter les rotations entre les deux îles. L’affaire a été présentée devant le juge samedi dernier et renvoyée à samedi prochain.