Nazra Saïd Hassani, présentée comme le cerveau d’un système financier destiné à arnaquer des particuliers et qui aurait engrangé jusqu’à près de 4 milliards de francs comoriens, a été arrêtée à Addis-Abeba. Mais, au vu des premiers éléments de l’enquête qui s’ouvre, elle n’aurait pu réussir son coup sans l’aide de plusieurs personnes bien placées.
Par MiB
Deux faits marquent indéniablement la seconde présidence d’Azali Assoumani : les tortures dans les gendarmeries et les camps militaires d’une part et d’autre part la corruption financière qui a gagné toute la société.
La porte ouverte à la corruption
Dans un communiqué récent, Hassane Barwane, l’un des leaders de l’opposition rappelait que l’une des premières actions d’Azali Assoumani devenu président en 2016 a été de mettre fin à la Commission anticorruption. Il avait promis de mettre en place une commission plus efficace, il ne l’a jamais fait. Personne ne s’est interrogé sur cette action du nouveau président moins de trois mois après son élection. La Commission anticorruption était l’organe chargé de recueillir les déclarations de patrimoine du nouveau président et des membres de son gouvernement, et cela avant les trois premiers mois. Pas de commission anticorruption, pas de déclaration à faire sur le patrimoine du nouveau président, pas de possibilité de mesurer les enrichissements illicites depuis son élection.
Ce geste que la plupart des Comoriens ont oublié a été la porte ouverte au grand n’importe quoi. C’est comme si le président lui-même disait : « Que ceux qui peuvent s’enrichir illégalement le fassent, ce n’est pas moi qui les empêcherais ».
Voici qu’à peine une semaine après la libération des acteurs de l’affaire des lingots d’or par le gouvernement, alors qu’ils n’ont pas fait le quart de leur condamnation, une autre affaire de magouilles et de corruption arrive sur la scène politique comorienne.
Un système de Ponzo reposant sur un réseau puissant
Cette fois l’affaire prend le visage angélique d’une jeune femme : Nazra Saïd Hassani. L’arnaque se base sur le système de Ponzo. Nazra Saïd Hassani demandait à des gens de lui confier des sommes d’argent qu’elle rémunérait à des taux alléchants et défiant toutes les banques de la place. De nombreuses personnes sont donc tombées dans le panneau. Lorsqu’un trop grand nombre de personnes a souhaité reprendre son argent, Nazra Saïd Hassani s’est retrouvée en incapacité de rembourser tout le monde. Certains ont par conséquent commencé à porter plainte.
Mais, on s’aperçoit que la dame n’est pas n’importe qui puisqu’elle est la Vice-Présidente du Conseil d’administration de l’antenne de Moroni du réseau bancaire Meck et qu’elle a un réseau large au sein de la société d’État ComoresTélécom et au sein même de l’administration étatique. Ses liens lui ont même permis d’obtenir un vrai faux passeport biométrique et de pouvoir fuir le pays avec sa famille. Elle a fort heureusement été interceptée à Madagascar à la demande du gouvernement comorien, renvoyée en Éthiopie où des policiers comoriens ont pu l’appréhender et la ramener à Moroni.
Une banque centrale impuissante
Ses liens dans l’appareil de l’État et dans les milieux de la Banque ont provoqué de nombreuses réactions et la mise en cause d’institutions de la place. La première institution pointée du doigt est la Banque centrale des Comores qui est aussi normalement le gendarme financier, celui qui devrait alerter en premier en cas de magouilles financières. Comment dans un petit pays comme les Comores (l’arnaque s’est concentrée dans l’île de la Grande-Comore dont Nazra Saïd Hassani est originaire) une opération d’une telle ampleur a pu se dérouler pendant plusieurs années sans qu’aucun fonctionnaire de la Banque centrale puisse en entendre parler ? Dans son communiqué sur cette affaire, la Banque centrale se contente de « condamner » les actes de Nazra Saïd Hassani, comme une simple association sans pouvoir pourrait le faire. S’il y a un responsable qui devrait démissionner ou être écarté de ses fonctions, c’est d’abord le Gouverneur de la Banque centrale dont l’institution n’a pas été capable de voir une arnaque qui aurait remué près de 4 milliards de francs comoriens. Mais, la Banque centrale a beau jeu de rejeter la faute sur les autres banques et notamment sur le réseau Meck.
L’autosatisfaction de façade du ministère de l’Intérieur
De même, un tel scandale a échappé aux différents services du ministère de l’Intérieur, et notamment au Renseignement intérieur. Pire, ce sont les Services du ministère de l’Intérieur qui ont fourni à la principale actrice de l’arnaque un passeport biométrique avec une fausse identité pour quitter le pays. Sous d’autres cieux, le ministre de l’Intérieur aurait présenté sa démission du gouvernement face à tant d’aveuglements.
Cette affaire permet de comprendre que la corruption a atteint un tel degré dans le gouvernement que n’importe qui peut aller se refaire une identité biométrique à « l’immigration », à condition d’avoir l’argent nécessaire pour corrompre certains fonctionnaires. Malgré les remerciements que le ministre Fakri Mradabi adresse à ses fonctionnaires, qui selon lui n’ont eu vent de l’affaire que depuis deux mois, tout cela ne doit pas rassurer nos partenaires à l’extérieur.
Les véritables responsables de la situation malsaine qui permet les plus grandes arnaques et corruptions s’autofélicitant, ils nous offrent et nous offriront pendant quelques jours des pions et au final un petit spectacle judiciaire. Mais, quand le rideau tombera, tous les acteurs, y compris l’actrice principale seront sur scène avec des colliers de jasmins et on oubliera jusqu’à la prochaine opération de corruption.
« Tout est sous contrôle »
Le ministère de l’Intérieur a débarqué de son poste le Directeur de la Police nationale, offert en pâture comme celui qui a ordonné de faire de faux papiers à Nazra Saïd Hassani, mais nullement inquiété par la justice. La Banque centrale quant à elle a exigé que la Directrice des réseaux Meck, Laila Saïd Hassane, qui n’a aucun lien de famille avec la première prenne des vacances pendant un mois, le temps que les choses se tassent. La justice a également ordonné l’arrestation de quelques fonctionnaires de la société ComoresTelecom, dont le comptable, qui auraient remis à Nazra Saïd Hassani des fonds appartenant à la société.
Ce scandale financier est loin d’être un élément isolé, il est la conséquence d’un état général d’impunité pour les acteurs de la corruption aux Comores. Il suffit d’être proche du pouvoir et l’on est persuadé que rien ne peut nous arriver. Et jusqu’à maintenant, la Justice leur donne raison, puisque soit ils ne sont pas poursuivis, soit on les libère après quelques mois de détention.
Du bas de l’échelle jusqu’au sommet de l’État, chacun pense qu’il peut faire n’importe quoi pour être parmi les nantis et que l’essentiel est d’apparaitre comme bénéficiaire des largesses du pouvoir. C’est ainsi que de nombreux cadres et intellectuels rejoignent la dictature en place avec comme seul objectif de pouvoir bénéficier des clefs et des honneurs qui permettent à un petit nombre de s’enrichir rapidement.