ZamZam Elhad est le symbole de ces jeunes comoriennes qui veulent tout : les beautés de la tradition héritée et les avantages de la modernité construite. Elle est écrivaine, slameuse et ingénieure.
Nous l’avons interrogé à l’occasion de la Journée internationale des Droits des Femmes.
Propos recueillis par MiB
Masiwa – ZamZam Elhad, quel est votre métier ?
ZamZam Elhad – Je suis ingénieure civile.
Masiwa – En quoi consiste ce métier ?
ZamZam Elhad – Mon métier consiste à construire tout ouvrage de génie civil, que ce soit dans le bâtiment ou les travaux publics.
Masiwa – Ce n’est pas un métier d’homme ?
ZamZam Elhad – Il n’y a pas de métiers d’hommes, des métiers qui leur seraient intrinsèquement réservés. Mais vous voulez sans doute dire, des métiers accaparés par les hommes ou dans lesquels les femmes sont exclues. Oui, effectivement, les métiers liés au bâtiment de manière générale sont très majoritairement exercés par les hommes et de ce fait les femmes s’en sont privées.
Masiwa – Qu’est-ce qui vous a amené à ce métier ? Pourquoi l’avoir choisi ?
ZamZam Elhad – Une passion rebelle. Rebelle, car comme je viens de le dire, le secteur du génie civil, du bâtiment, est très peu féminisé et envisager d’y accéder quand on est une femme, apparaît pour beaucoup comme une rébellion. À commencer par mon père qui a tenté de m’en dissuader, me voyant plus dans une banque.
Je pense aussi que le fait d’avoir baigné toute petite dans un milieu familial de bâtisseur, un père menuisier puis un beau-père ingénieur en bâtiment et un oncle maçon a nourri cette passion.
Masiwa – Ressentez-vous des appréhensions quand les gens apprennent le métier que vous exercez aux Comores ?
ZamZam Elhad – Oui, surtout que l’on me connaît plutôt sous un autre visage, dans un autre domaine. Le slam pour être plus précise. Et puis je pense que l’on pourrait imaginer une femme dans le bâtiment, mais alors elle devrait ressembler à un homme : musclée, habillée comme un mec, bref une sorte de « garçon manqué » comme on dit.
Masiwa – Durant votre formation au Sénégal, vous n’avez pas eu un certain rejet de la part des hommes ?
ZamZam Elhad – Dans ma classe nous étions environ 15 filles sur 50 étudiants. Mais cette sous-représentation féminine ne constituait pas un problème. Étudiants et étudiantes, faisions les mêmes choses sans différenciation de genre. J’ai également été sur des chantiers où je dirigeais parfois des équipes d’hommes. Je n’ai pas senti, en aucun moment, de rejet.
Masiwa – Quelle formation avez-vous suivie ?
ZamZam Elhad – Après mon bac, que j’ai eu très jeune, et une tentative à l’Université j’ai très vite compris que la voie professionnelle était plus adaptée. Après un BTS Génie civil à Moroni, je me suis envolée pour Dakar où j’ai poursuivi mon parcours jusqu’à un Master 2 Génie civil que j’ai décroché en juillet 2022.
Masiwa – Vous êtes aussi entrepreneure, vous venez de créer votre société…
ZamZam Elhad – Oui, les choses se sont accélérées dès mon retour, avec un premier contrat dans une boîte qui s’est écourté brusquement pour des raisons que je ne souhaite pas aborder ici. Cette malheureuse expérience m’a conforté dans un projet que j’avais déjà : celui d’ouvrir ma propre entreprise.
Masiwa – Quels services proposez-vous dans cette entreprise ?
ZamZam Elhad – Pour être plus précise, H-BTP Concept est en cours de stabilisation administrative. La boîte propose diverses prestations en lien avec le génie civil tels que la conception des ouvrages, le dimensionnement, le suivi de chantier. On est également dans la fabrication et la vente des matériaux de construction. On assurera aussi des formations professionnelles sur les logiciels de génie civil et autres…
Masiwa – Vous êtes aussi connue comme une poète ? Comment conciliez-vous votre métier manuel et la littérature ?
ZamZam Elhad – Effectivement, les gens me connaissent à travers mes écrits et mes podcasts. Le génie civil et l’écriture sont d’autant plus conciliables qu’ils constituent mes deux passions. La première de mes passions étant bien évidemment mon mari, autant le préciser (sourire)
Masiwa – Par les thèmes que vous abordez souvent (violences sexuelles, violences contre les enfants…), vous êtes perçue comme une femme qui se bat pour les droits des femmes, êtes-vous une féministe ?
ZamZam Elhad – Si être féministe c’est s’engager dans le combat contre le sexisme, l’exploitation et l’oppression sexistes et œuvrer pour une égalité effective de genre, alors oui je suis résolument féministe.
Mais, vous ne me trouverez pas dans un mouvement qui crée un clivage femmes-hommes si c’est à cela que sous-entend votre question. D’ailleurs je ne sais pas s’il y a aux Comores un tel courant « féministe » qui serait complètement dévoyé au sens noble de ce terme.
Masiwa – L’organisation de votre mariage récemment a montré que vous êtes une femme qui respecte aussi les traditions comoriennes ?
ZamZam Elhad – Voyez-vous une contradiction entre être féministe au sens que j’ai donné et le fait de se reconnaître dans les traditions ? Moi, non. Le mariage est sans doute la tradition la mieux partagée au monde. Son organisation et son déroulement ne sont pas « universalisables ». Il faut juste et surtout veiller à ce que le choix des partenaires ne soit pas imposé. Pas de mariage forcé bien sûr.
Masiwa – Avez-vous l’intention par exemple de faire le grand-mariage ? Pourquoi ?
ZamZam Elhad – Si je vous répondais non, me croirez-vous après avoir vu ma joie et celle de mes proches en décembre dernier. Pourquoi voudriez-vous que je prive celles et ceux qui m’aiment et que j’aime de ce qui représente pour eux le moment le plus heureux de leur vie ? Faire le « anda » n’est pas le sujet. C’est la manière de le faire qui, me semble-t-il, porte à discussion.