Les Comoriens découvrent, depuis trois ans, le dispositif juridique qui permet au président de la République d’accorder sa clémence à quelques citoyens. Mais la particularité de ce dispositif du droit positif comorien est qu’il est uniquement évoqué au bénéfice d’une catégorie de prévenus spécifiques.
On est loin d’ailleurs de la grâce présidentielle sollicitée par l’accusé et puis soutenue par l’opinion publique parce qu’elle répondrait à une clémence sociale, compte tenu de la nature de l’infraction commise et prononcée par une juridiction pénale, telle qu’une personne condamnée à une lourde peine pour avoir tué l’auteur du violeur de sa fille ou de sa mère…
Dans ce cas, la société comprend la nécessité de sanctionner toutes sortes d’infractions pénales. Personne ne doit se sentir au-dessus de la loi et personne ne doit y échapper ni se faire justice soi-même.
En même temps, la société sait se montrer compatissante face à celui qui a agi de manière excessive et disproportionnée pour venger la douleur d’un membre de la famille, un proche, un ami. La grâce présidentielle, dans ce cas, est le moyen juridique opportun pour une solution médiane face à ce cas de conscience.
Sauf, que la grâce présidentielle est appliquée aux Comores, quasiment tout le temps au bénéfice des prisonniers politiques. Le droit comorien de la grâce présidentielle a fait irruption dans le paysage politico-juridique.
D’ores et déjà, il faut noter que le droit de grâce présidentielle n’a pas sa place dans une société qui exige plus d’indépendance de la justice.
La grâce présidentielle, une incongruité juridique dans un pays démocratique, une banalité en droit comorien.
La grâce présidentielle est par nature une atteinte à l’autorité de la justice en ce sens qu’elle permet à la personne condamnée d’échapper à l’exécution des décisions judiciaires.
En effet, le droit de grâce présidentielle est un dispositif juridique d’une application rare dans un pays où le respect de la séparation des pouvoirs est observé de manière stricte.
Le citoyen comprendrait mal comment l’exécutif permettrait à une catégorie d’individus de se soustraire à l’application de la loi sans aucune motivation juridique particulière autre que celle du fait du prince.
Étant rendue au nom du peuple, la grâce présidentielle ne pourrait pas être une variable d’ajustement de la politique par l’exécutif au bénéfice de personnes qui ont été condamnées à des peines pénales lourdes. D’ailleurs les pays démocratiques qui prévoient ce dispositif juridique recourent à ce cette loi avec parcimonie.
À titre de comparaison, la grâce présidentielle est une exception française. Mais elle n’est d’ailleurs pas appliquée sur le territoire national français depuis 2011.
Aux Comores par contre, le Président Azali a révolutionné les mentalités et le droit comorien de la grâce présidentielle, en ce sens qu’il a déclaré publiquement qu’il pourrait être clément uniquement envers la personne déjà condamnée par la justice de notre pays.
Depuis, le recours à ce dispositif juridique est devenu un phénomène de mode. Il est très sollicité depuis la gouvernance du Président Azali. Malheureusement, la banalisation de cette pratique a installé une forme de porosité de l’appareil judiciaire en son sein. Le chef de l’État se permet à n’importe quel moment et pour n’importe quelle infraction d’offrir un joli cadeau d’aménagement de peine à ceux qui en font la demande.
Plus grave encore dans notre pays, cette pratique jurisprudentielle a complètement bouleversé le fonctionnement de l’institution judiciaire. Une confusion malsaine s’est installée aux Comores en ce sens que très peu croient en l’indépendance de la justice de notre pays.
Une justice affaiblie par le recours massif à la grâce présidentielle
Le recours régulier à la grâce présidentielle fragilise sans nul doute la rigueur de la justice. Ce monstre sacré et impersonnel tant redouté qu’est la JUSTICE perd sa rigueur dans l’opinion publique. La dénonciation publique de l’auteur présumé de l’infraction, la garde à vue ou les auditions libres, la mise en examen, la détention ou le contrôle judiciaire, la peine de prison privative de liberté de mouvement, l’interdiction des droits civils et politiques ne constituent plus une atteinte à l’honneur des personnes concernées. Le déshonneur, la honte publique pour avoir été mêlé dans une histoire judiciaire pour lesquelles la condamnation pénale a une connotation politique n’a plus l’aspect d’une peine infamante. L’opinion publique retient, à tort ou à raison, que la condamnation et l’exécution de la peine de prison ont été prises sur instructions de l’exécutif.
De même, pour les peines afflictives prononcées par les juridictions comoriennes, le prévenu ou l’accusé garde à l’esprit que la sanction judiciaire est en réalité une décision prise par l’exécutif, tout simplement parce que le citoyen comorien ne croit plus en la justice de son pays.
Plus grave encore, certains magistrats comoriens reconnaitraient que l’autorité de la justice est entre les mains de l’exécutif. Certains déconseilleraient même les prévenus ou accusés de faire appel de leurs décisions, car la sanction serait aggravée devant la juridiction de second degré en cas d’appel. D’autres magistrats leur diraient de ne pas s’inquiéter de la peine lourde qui leur a été infligée par la juridiction pénale, car ils pourront bénéficier d’une grâce présidentielle plus tard.
Ainsi, certains magistrats participeraient à cette forme d’arrangement entre la justice et l’exécutif. Ce qui veut dire que, quelle que soit la gravité de la sanction, les prévenus seront libérés par suite d’une simple demande de grâce. La justice pénale aux Comores serait un leurre, parce qu’à tout moment le président de la République peut mettre à néant tout ce que la justice a décidé au nom de la société.
Aujourd’hui, la Justice n’est pas crainte parce que le citoyen comorien poursuivi et condamné ne s’estime pas atteint dans son honneur, parce qu’elle se croit toujours victime de la police politique et de la justice instrumentalisée par l’exécutif. Une telle perception de la justice de notre pays sera un moyen de défense déterminant pour les auteurs d’infractions graves contre les personnes, les biens et contre l’autorité de l’État en s’attribuant à tort le statut de victime. Ainsi, les juges comoriens sont rabaissés au rang de juridiction de premier degré en sens que toutes les personnes condamnées auront plus peur du chef de l’État et non de l’autorité judiciaire.
Une question évidente se pose de savoir si les juges comoriens se sentent impuissants face à l’intrusion de l’exécutif dans les affaires judiciaires ou s’il y a complicité entre l’exécutif et certains magistrats. En tous les cas, la banalisation de l’intervention du chef de l‘État au titre de la grâce présidentielle diminue l’efficacité de la justice.
Les bénéficiaires de la grâce présidentielle sont constamment pris en otage par l’exécutif
Sur le plan juridique, la grâce présidentielle n’est pas assujettie à des obligations particulières. Le président de la République accepte d’accorder la grâce selon son bon vouloir. Il se contentera de faire droit à la demande ou la rejeter. Mais, en vérité, sur le territoire comorien, la plupart des personnes libérées par suite d’une grâce présidentielle se sentiront éternellement redevables de l’action du chef de l’État pour leur avoir permis de retrouver la liberté. Humainement, c’est compréhensible.
Sauf, qu’en réalité, il s’agit d’une forme de prise d’otage intellectuel des personnes ayant bénéficié de cette mesure de faveur. Ces personnes seront libres de tout mouvement. Mais ils ne peuvent pas émettre d’avis politiques sincères, tels qu’ils voudraient le faire contre l’exécutif ni engager des actions politiques publiques.
Très honteusement, en dehors du braquage intellectuel de la loi sur la grâce présidentielle transformée en une forme de rançon sollicitée aux prisonniers politiques, le régime d’Azali leur exigerait une lettre de pardon, distincte de la demande officielle. Or, il n’est mentionné nulle part dans les textes en vigueur que le demandeur de la grâce présidentielle doit, en plus de son dossier complet, joindre une pièce distincte en forme de lettre de demande de pardon.
En tous les cas, l’audace des hommes se mesure à leur capacité à résister à toutes formes de compromission.
L’interprétation erronée de la grâce présidentielle
Plusieurs prévenus ont déjà bénéficié de la mesure de grâce présidentielle aux Comores. Les conditions de détention précaires et inhumaines dans les prisons comoriennes sont extrêmement difficiles pour les prévenus. Certains prendront des décisions contestables en ce sens qu’elles sont en contradiction avec la position qu’ils ont tenue durant l’instruction de l’affaire. Ainsi, certains optent pour la grâce présidentielle pour quitter rapidement le milieu carcéral alors qu’ils ont toujours nié les faits pour lesquels ils en font la demande.
Malheureusement, les demandeurs de la grâce présidentielle ne mesurent peut-être pas les conséquences d’un tel recours devant le Président de la République. Toute demande de grâce présidentielle implique une reconnaissance a posteriori des faits pour lesquels le prévenu a été condamné. Ainsi, on ne peut valablement demander la grâce présidentielle alors que l’on a toujours contesté les faits pour lesquels on a été condamné.
Or, plusieurs personnes condamnées par la justice comorienne, soit la juridiction pénale de droit commun, soit par la Cour de Sureté de l’État, ont déjà demandé et obtenu la grâce présidentielle. Les conséquences de la demande de grâce sont la reconnaissance des faits qui lui ont été antérieurement reprochés. Les personnes qui ont bénéficié de cette mesure ne peuvent pas dire plus tard qu’ils sont innocents.
Il reste à savoir si l’ancien Président de la République, Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, fera la même erreur que les autres hommes politiques comoriens, après la très lourde peine à perpétuité prononcée par la Cour de Sureté de l’État à son encontre.
L’avenir nous le dira.
Maître Ben Ali Ahmed. Avocat au barreau de Saint-Pierre de la Réunion, France. Docteur en droit.