La dépigmentation volontaire est un phénomène qui touche une grande partie de l’Asie et l’Afrique. Aux Comores, de nombreuses femmes se soumettent au diktat de la peau blanche, imposé par l’histoire et la société, tout en étant conscient qu’elles se mettent en danger.
Noussaïbaty Ousséni Mohamed Ouloubé
Le blanchiment de la peau est une pratique qui date de la nuit des temps et contrairement à ce que beaucoup de personnes croient, il n’a pas toujours été l’affaire des femmes africaines qui sont aujourd’hui selon l’OMS plus ou moins 40% à être concernées par cette pratique dangereuse.
La blancheur, un critère de beauté
Une peau claire est synonyme de beauté dans un monde où l’apparence compte plus que tout le reste. Il est plus que nécessaire de répondre aux normes standards de beauté comme avoir un teint clair ou des cheveux lisses et longs.
Avoir une peau bronzée n’a pas toujours été un critère de beauté chez les personnes sans couleurs puisqu’il ne peut exister de personnes de couleur que dans la mesure où d’autres en sont dépourvues. Ainsi à la fin du moyen-âge, beaucoup de femmes en Europe avaient recours au blanchiment de la peau pour paraître plus belles. Une pratique qui s’est étendue à l’Amérique, à l’Asie et également à l’Afrique qui fait le plus parler d’elle désormais en matière d’éclaircissement de la peau. Dans un monde où la peau blanche est considérée comme un symbole universel de beauté, la femme africaine est la plus exposée, car elle possède le corps le plus bronzé.
Une mariée toute blanche
Les Comoriennes ne font pas exception à la règle et l’archipel voit ce phénomène prendre de plus en plus d’ampleur particulièrement sur l’île d’Anjouan où presque la totalité des mariées a une nouvelle peau blanche comme neige. Si auparavant le visage et le cou étaient les seules parties concernées, les femmes en ont assez de ressembler à des drapeaux bicolores et éclaircissent désormais l’intégralité de leurs corps, même parfois les zones les plus intimes.
Quelques semaines avant les noces, les femmes appliquent le « msindzano » tout le long de leurs corps et surtout le visage et avant d’appliquer le masque au bois de santal, un mélange de plusieurs crèmes blanchissantes est mis sur la peau. Des vêtements à manches longues et des gants sont portés avant de sortir inviter la totalité de la ville au mariage en faisant du porte-à-porte. Pour éviter de s’exposer au soleil avec les produits chimiques sur la peau, les futures mariées sortiront les après-midis pour faire ce travail qui ne concerne évidemment que les femmes.
Malgré les dangers…
Si se blanchir la peau était l’apanage des femmes mariées au même titre que tous les autres processus de beauté, le phénomène a pris de l’ampleur et touche toutes les femmes qui sont complexées par leur couleur de peau et elles sont malheureusement nombreuses. La dépigmentation volontaire est aujourd’hui un allié incontournable de la femme comorienne et le processus commence dès l’adolescence, car même les plus jeunes ont compris qu’il faut souffrir pour être belle donc elles ne reculent face à aucun danger.
Les réseaux sociaux semblent jouer un rôle important dans cette nouvelle crise identitaire puisque les filtres de beauté disponibles dans les Smartphones font tout pour donner un teint plus clair et un nez plus fin entre plusieurs autres critères de beauté imposés par les faits contemporains et historiques. Il ne suffit pas d’être belle sur les stories Facebook, car il n’est pas aisé de sortir avec le visage qui ne mérite pas de se faire exposer sur les réseaux et l’unique manière de paraître authentique est de se transformer malgré les avertissements des médecins, car qui ne risque rien n’a rien.
En matière de risques, les adeptes de cette mode méritent un trophée, car elles mettent non seulement en péril cette beauté qu’elles pensent façonner, mais aussi le reste de leur système de santé. En effet, les crèmes blanchissantes sont connues pour provoquer des troubles de la pigmentation, de l’acné, des cancers de la peau, mais aussi des maladies comme l’insuffisance rénale, le diabète, etc. Elles sont aussi accusées de causer des problèmes psychologiques liés à la dépendance, mais ces derniers méritent d’être appelés causes au lieu de conséquences.
La beauté est une source de richesse
Les femmes noires veulent devenir blanches uniquement parce qu’elles veulent être belles et canons et ainsi plaire aux hommes. Les industries pharmaceutiques ont réussi à se servir du racisme pour vendre leurs produits de dépigmentation et offrir aux consommateurs une vie de rêve qui n’est accessible qu’aux blancs, selon les croyances populaires. Dans les pays naturellement métissés, les personnes aux teints clairs ont plus de chance de réussir, car elles font partie de la classe « noble ».
Sur l’île d’Anjouan, un mot comme « kabayila » est très connoté et désigne les descendants d’Arabes qui sont concentrés dans les villes considérées comme les plus grandes et il n’est pas du tout rare d’entendre des femmes et des hommes dire combien ces gens-là sont plus beaux. Les adolescentes mettent ainsi leurs vies en danger dans l’espoir d’avoir les mêmes critères physiques que les autres, car un dicton populaire leur dit que « la beauté est une source de richesse » (« mwana mzuri, nusu ya mali »).
La suprématie de la blancheur existe ainsi partout et surtout dans les pays où il n’y a pas de blancs, car dans ces derniers les moins noirs sont rois. La plupart des hommes qui ont du pouvoir sont attirés par les femmes claires de peaux et d’ailleurs, nombreux sont ceux qui critiquent les hommes noirs qui épousent des femmes blanches après avoir réussi leurs vies alors que les hommes blancs privilégient les blanches.
Aux Comores, ce phénomène est bien présent, car les hommes qui ne font pas partie de la classe noble épousent des femmes de cette classe quand ils pensent avoir beaucoup d’argent. Tous les hommes que l’on a interrogés n’ont pas reconnu cette évidence et ont déclaré aimer la beauté naturelle des femmes noires, mais il est difficile pour les femmes d’y croire puisqu’elles ont grandi en pensant qu’elles étaient moins belles, car elles ont entendu un jour des hommes dire combien une femme était belle avec sa blanche peau ou ses longs cheveux.
Elles sont nombreuses à dire qu’elles blanchissent leurs peaux malgré l’interdiction de leurs maris, car elles savent que dehors ils courent derrière les femmes à la peau claire et comment ne pas comprendre leur scepticisme quand des phrases comme : « elle est très belle, même si elle est noire » sont courantes dans un pays peuplé très majoritairement par des noires.