En politique, il existe des situations d’opportunités inédites dont les acteurs de la discipline doivent être toujours prêts à exploiter pour faire bouger les lignes d’accès à leur objectif stratégique. Cela est valable pour tous les leaders politiques de tous les pays du monde, cela doit l’être pour les nôtres aux Comores.
Par Mhoumadi Sidi Ibrahima
En effet, la crise alimentaire et l’augmentation des prix des produits de première nécessité (l’inflation) qui frappe depuis trois à quatre mois tous les Comoriens de toutes les classes sociales et dont la rupture de stock transformée en pénurie volontaire ou non du riz ONICOR (« ye tsahaya yaremwa yo mlima ») a été, de loin, un défi à relever et la plus importante opportunité politique à saisir pour les leaders de l’opposition au pouvoir de fait d’Azali Assoumani pour mobiliser ses troupes et l’ensemble de la population pour lancer un combat d’envergure. Cela aurait été un moment fort pour bénéficier de la présence massive sur le terrain des « Jeviens », venus nombreux au pays pour les mashuhuli.
Il y avait là une occasion extraordinaire de tester de la sincérité et du réel engagement et motivation des caciques des manifestations de chaque dimanche à la République, à Paris ou au Vieux port à Marseille, organisées par les Appels des Comoriens résidents de ces deux principales villes de France à se faire entendre, se faire respecter ou non par le régime et de tenter de forcer Gozibi à changer la donne sociopolitique qu’ils attaquent avec véhémence loin de leur pays natal.
Cela aurait été aussi un levier important à saisir pour relever le défi de Mouigni Baraka, leur dissident historique le plus connu, parti sans annonce dans les bras de Gozibi et minimiser alors son impact négatif dans l’opinion. Mais qu’en est-il de ces deux belles occasions offertes à l’opposition pour se repositionner et se crédibiliser ? Nous entendons souvent les politiques restés au pays lancer aux influenceurs, animateurs et participants comoriens des manifestations de la République à Paris ou de la Place d’Aix à Marseille : « ye kamdja hunu » (« venez ici sur place »). Et pourtant, ils y étaient venus en masse. Qu’ont fait les leaders de l’opposition pour les impliquer dans le combat ? « Ye matso ya mdjeni nde mbpvo“, dit l’adage comorien.
Le moment n’est-il pas venu de poser le réel problème de la politique d’opposition des forces en conflit ouvert contre Azali ?
La politique c’est, à priori, un objectif, un projet et une stratégie claire, plausible et lisible. Dans ce domaine, il est vain de décider des moyens (et l’apport de la diaspora à l’extérieur ou sur place est de mon point de vue, un des moyens) pour un objectif qui malheureusement reste jusqu’ici, au préalable mal posé, mal défini avec une stratégie confuse, surtout pour l’ensemble de la diaspora. Sinon, comment comprendre que les principes immuables, entre autres, posés au départ du combat en 2019-2020, à savoir qu’avec le départ d’Azali : respecter de la constitution de 2001 et les accords de Fomboni ; libérer des prisonniers politiques ; réaliser la tournante d’Anjouan.
Ces principes se trouvent de plus en plus nuancer aujourd’hui chez certains leaders politiques qui se positionnent insidieusement dans une optique d’élections présidentielles en 2024 sous le prisme des conditions définies et arrêtées unilatéralement par le régime Azali dans sa constitution de 2018 et son monologue de 2021.
J’aimerais savoir qu’est-ce qui a empêché les responsables politiques sur le terrain de prendre des contacts avec les patriotes de la diaspora opposés au pouvoir et qui étaient sur place pendant « ze hayassa » pour les informer, les sensibiliser de la situation et étudier avec eux une procédure et une stratégie d’action durant cette longue période de deux mois ? Tout le monde a prétexté des « mashuhuli » pour se dérober de ses engagements et se positionner en véritables opposants comme si le combat contre la dictature laissait des temps morts ou des vacances d’action. Beaucoup de militants des appels de France se sont plaints de « l’absence de considération, de réunion pour nous informer de ce qui se passe au pays ou de ce qui aurait été prévu de faire à cette période-là avec notre allié là-bas ; c’est comme s’ils ne nous attendaient pas », m’ont confié Farid et Mahamoud, des compatriotes actifs des Appels que j’ai rencontrés à la Visitation à Marseille le week-end du 8-9 octobre. “Pourtant nous étions bien nombreux à nous rendre au bled cet été. Mais aucun appel d’actions ne nous a été adressé “, conclut Mahmoud avec lequel j’ai eu en entretien sur le sujet au Vieux Port de Marseille.
La montée sourde des ambitions personnelles, avec le projet entretenu d’élections présidentielles en 2024, risque de faire basculer en conflictualité les états-majors des partis et mouvements politiques se réclamant opposés au « djanvi » (le pouvoir d’Azali) avec la possibilité d’une guerre de haute intensité de clans dont est issu un premier lance-feu. Qui l’eut cru avec le perchoir que le Front uni des forces vives offrait à « l’enfant d’Itsandra » dans les rituelles et inopérantes conférences de presse mensuelles ?
Devant ces scénarios plausibles de fractures à venir dans l’opposition, une contre-offensive contre la posture Mouigni s’impose pour contredire sa nouvelle thèse soutenue par ses lieutenants : Goulamaly, Delapyere, Boina et Mhadji, comme quoi, Azali serait devenu fréquentable et un interlocuteur fiable qu’il faut écouter et lui faire des propositions de sortie de crise, au moment où le quotidien du Comorien contredit tout cela et que lui et son pouvoir de fait, donnent des signes de plus en plus visibles et lisibles de fin de règne.
La posture défaitiste affichée par Mouigni et ses adeptes du « dialogue » inaudible et invisible ne signe pas un tournant des malheurs des Comoriens, loin de là. Il s’agissait pour le pouvoir d’un détournement des esprits, d’un gage de décrédibilisation de l’opposition dans l’opinion et d’une désacralisation humiliante de Mouigni dans l’Itsandra, parue jusque là comme son fief. Azali, par sa stratégie corruptrice a pensé réussir son coup d’ébranler des piliers de l’opposition. Prouvons-lui le contraire.
La tenue, le week-end dernier, dans la cité phocéenne, en France, d’un séminaire des forces opposées à Azali, a établi un projet de transition politique qui fixe des orientations stratégiques qui a fait défaut à l’ensemble de l’opposition et dont on lui reprochait souvent. Ce projet inspirera-t-il l’orientation stratégique du combat ?
Il y va de la reconquête de l’opinion désabusée ces derniers temps pour stopper net les supputations et allégations non mobilisatrices de la cause.