Aux Comores, les artistes ont du génie, de la créativité et des étincelles qui flânent entre leurs doigts pour faire rayonner notre culture à l’international. Ahmed Toiouil, un jeune cinéaste et romancier comorien, actuellement Juriste et doctorant en Droit des Affaires en France, a une passion : saisir la beauté de l’instant et la rareté des émotions exprimées par les acteurs à l’aide de sa caméra.
Propos recueillis par Houdheïf Mdziani
Il a dans sa modeste production cinématographique un long métrage « Tsendo hissa twamaya », une comédie dramatique qui a connu un succès national par son sens du burlesque, l’exposition des sacrifices des parents comoriens pour assurer l’éducation de leurs enfants à l’extérieur, l’engagement et les efforts de ces derniers pour aider le pays à décoller économiquement. S’en est suivi un court-métrage « Incompris » qui a marqué les téléspectateurs par sa charge émotionnelle inouïe, puis un troisième court métrage d’horreur « Djé Uriyawo ». Il connait son premier succès à l’international avec son dernier film « Amani », un drame romantique qui mêle un suspense sans relâche, des actions à couper le souffle et l’émerveillement des émotions, soutenus par une histoire d’amour florissante tout au long du film.
C’est un film aux allures de valse folle, dont chaque pas est maîtrisé, chaque réplique écrite n’a laissé échapper aucun détail, retraçant l’histoire politique de notre pays depuis son indépendance : corruption et soif de pouvoir. Toute la narration du film retrace l’histoire d’une femme, Nasra, obligée par son père d’épouser un homme politique qui s’apprête à être élu. Accusée d’avoir assassiné son époux, et recherchée par la police, Nasra a été contrainte de fuir sa famille et sa ville. Mais, plus tard, une rencontre (un hasard?) va faire de son aventure la plus risquée, sa plus belle histoire !
Le film a été sélectionné pour le festival international L’Afrique fait son cinéma, et le public comorien pourra le découvrir le 24 septembre à l’Alliance française de Moroni.
Masiwa – Pouvez-vous nous parler de la sélection de votre film dans L’Afrique fait son cinéma et de ses enjeux ?
Ahmed Toiouil – L’Afrique fait son cinéma c’est le festival international du film africain de Paris. Il a lieu au cinéma Le Lincoln et au cinéma Gaumont des Champs-Élysées. Ce festival permet de promouvoir le cinéma africain en France. Chaque année une sélection de films produits partout en Afrique et dans le monde est présentée au cinéma à un public français et international. Un marché de film est organisé et c’est l’occasion de rencontrer des professionnels du cinéma et faire connaître son travail.
Masiwa – Nasra est excessivement désinvolte en dépit de la pression de son père, pourquoi vous avez exagéré autant ce trait de caractère ?
Ahmed Toiouil – Je crois que la désinvolture est souvent une qualité d’une personne qui n’a rien à perdre. Nasra est désinvolte surtout parce qu’elle n’a pas le choix. C’est sa seule façon d’être libre, d’exister dans un monde aussi cruel, de flotter plus précisément dans une société où le moins que l’on puisse dire les choses ne sont pas toujours aussi faciles. Donc oui, l’idée est de dénoncer les mariages forcés, mais surtout d’en questionner les causes.
Masiwa – Pourquoi le titre « Amani »?
Ahmed Toiouil – Amani signifie « paix ». On dit toujours que notre pays est en paix, puisqu’il n’est pas en guerre. Ce qui est totalement faux et d’une bêtise absolue. Le contraire de la paix n’est pas forcément la guerre. Il est vrai que, fort heureusement, les Comoriens ne sont pas en train de s’entretuer. Mais on ne saurait parler de paix dans un pays où l’injustice est totale, où la corruption est érigée en norme et où celles et ceux qui souffrent au quotidien sont toujours les mêmes. Le silence face à l’injustice n’est pas synonyme de paix, c’est juste la peur du pire. Pour revenir au film, Nasra a rejoint la mer à la quête de la paix, de sa liberté, dès lors que dans nos villes et villages sévit la loi des plus puissants.
Masiwa – Votre film est-il un message de révolte ?
Ahmed Toiouil – Il appartient au spectateur de se faire son avis. Je n’ai pas fait ce film en tant qu’intellectuel, je l’ai fait en tant qu’artiste. Et je crois profondément que le seul devoir de l’artiste est de peindre une émotion. Pas de convaincre. Je ne cherche donc pas à envoyer un message. Mais je sais que l’histoire elle-même véhicule mon point de vue de réalisateur. Et loin de moi l’idée de donner des leçons à qui que ce soit. Je raconte une histoire, je filme un regard, j’expose ma sensibilité, ma sincérité. Et chacun voit ce qu’il veut voir !
Masiwa – Quelles sont vos influences dans le drame romantique ?
Ahmed Toiouil – En général, je suis influencé par plusieurs réalisateurs de tous genres, pas seulement le drame romantique. Je peux citer entre autres Steven Spielberg, Alfred Hitchcock, Martin Scorsese, André Tarkovski, Jean Renoir, Claude Lelouche, Brian De Palma, Idrissa Ouedraogo, Christopher Nolan, Sembène Ousmane, Robert Zemeckis. Mais pour parler de drame romantique, je peux surtout citer Clint Eastwood, Francis Ford Coppola, James Cameron, Joan Chen, Woody Allen, Joe Wright, Ang Lee, Baz Luhrmann, Nick Cassavetes et bien sûr Arthur Hiller !
Masiwa – Il y a une palette de personnages très variés et très complexes dans Amani. Comment avez-vous réussi à créer cette imbrication ?
Les personnages sont tous singuliers, et il fallait bien qu’aucun ne ressemble à l’autre. C’est cette diversité qui porte l’émotion encore plus haut, cette espèce de tension exubérante qui bouleverse les certitudes. J’aime bien surprendre. Et il me semble que la surprise réside dans la contradiction. Car, même dans la vraie vie, si on se ressemblait tous, alors le monde serait ennuyant, plat, insipide. Et c’est en laissant les personnages s’exprimer, dans leurs contradictions les plus profondes, sans penser à ce que le spectateur pourrait penser ou dire de nous qu’on a pu obtenir ce résultat.
Masiwa – Et pour les incarner, une distribution de choix…
Ahmed Toiouil – Tous les comédiens qui ont bien voulu participer à ce film ont interprété un rôle spécialement conçu pour chacun. C’était évident qu’il me fallait ce casting-là. Il est vrai que Salmador est plus connue que les autres, puisqu’elle publie des vidéos sur internet depuis quelques années. Mais, quand je leur ai proposé de travailler avec moi, j’ai dès le départ expliqué qu’on faisait un film qu’on espérait présenter à des festivals. Nous avions des objectifs communs à atteindre et je crois que c’est pour ça que tout le monde a tout donné pour qu’on réalise ce projet ensemble.
Masiwa – Comment avez-vous conçu les scènes de poursuite et de suspense qui structurent toute la narration ?
Ahmed Toiouil – Ça dépend du moment ! Ça n’était pas toujours facile, car on était une équipe très réduite. Il fallait tout superviser. Et le plus dur était de parvenir à rester sérieux pendant les scènes les plus drôles. Mais les comédiens sont d’un immense talent. Ce qui facilitait énormément la direction. Quant aux scènes de courses-poursuites, elles servent tout autant l’intrigue que la description du paysage. Elles ont lieu quasiment à la plage ou en pleine mer. Je les ai élaborées en tenant compte des réalités comoriennes. Je ne voulais pas trop d’armes ni de clichés à l’américaine. Juste une vedette sur la mer ! Et des gangs prêts à tout pour retrouver la femme la plus recherchée des Comores !
Masiwa – Avez-vous des projets cinématographiques à venir ?
Ahmed Toiouil – Pour le moment, je suis en train de monter un documentaire que j’ai déjà tourné aux Comores. Je prépare également une série à tourner en France. On a déjà d’ailleurs commencé les répétitions. Et pour 2023 et 2024, j’ai déjà écrit une série et un film à tourner aux Comores. Je continue d’écrire. Et de tourner. C’est ce que j’aime le plus au monde, raconter des histoires !
Masiwa – Un mot pour le cinéma comorien ?
Ahmed Toiouil – Je pense que le cinéma comorien est en pleine construction. Il est riche, et peut apporter un regard neuf, singulier, exquis au monde. Beaucoup de jeunes très talentueux avec si peu de moyens parviennent à réaliser des travaux incroyables aux Comores. C’est très prometteur. Et, très certainement, c’est un cinéma à même de parler au monde !