En pleine période des mariages dans l’archipel, la Mairie de Mamoudzou s’est lancée dans une politique de réalisations de jumelages à la Grande-Comore, à Anjouan et à Mwali. Des jumelages nombreux et soudains. À tel point que sur les deux bords, on se demande encore ce que cherchait le maire de Mamoudzou. Le gouvernement comorien a annulé ceux qui avaient été réalisés et ceux qui avaient été projetés. Au total, six jumelages prévus en moins d’un mois.
Par MiB
Le 20 juillet, la ville de Tsidjé, au nord de Moroni, était réunie pour recevoir une délégation de la ville de la mairie de Mamoudzou (Mayotte) conduite par l’adjoint au Maire Magoma Hamidani. Les notables et les cadres avaient revêtu leurs habits traditionnels comme pour venir honorer le mariage de leurs enfants. Le député de la région (Itsandra sud), ainsi que le chef d’état-major, Youssouf Idjihadi, originaire de la ville, étaient présents, comme témoins prestigieux. Tsidjé inaugurait ainsi une série de jumelages initiés par le maire de Mamoudzou, Ambdilwahedou Soumaila et validés par son conseil des ministres. Ce fut une surprise, un secret bien gardé pour beaucoup de Comoriens, mais aussi pour le gouvernement comorien qui, dans un premier temps, semblait pris de court et ne savait comment réagir.
Des jumelages sans l’État comorien
La Mairie de Mamoudzou pensait-elle agir directement avec les mairies des trois îles sans en référer à l’État comorien ? Tout semble indiquer qu’il en était ainsi.
La délégation venue de Mayotte ne voulait pas laisser le souffle de la surprise retomber, deux jours après, le faste était aussi au rendez-vous pour le jumelage avec le chef-lieu de l’île d’Anjouan, Mutsamudu. Et déjà on annonçait les jumelages suivants avec Fomboni (Mwali), Moroni et Mitsamihuli à la Grande-Comore.
À Mutsamudu, le maire Zarouki Bouchrane s’était écrié :« Le jumelage entre nos deux communes nous ouvre d’immenses opportunités ». Les villes engagées dans ces jumelages tous azimuts ne voyaient que les opportunités offertes par la coopération décentralisée qui, à Mayotte, dispose de moyens colossaux qui ne sont pas entièrement consommés, malgré des accords entre l’île et les pays voisins, particulièrement Madagascar. Mais, il est évident que si les mairies de Mutsamudu, de Tsidjé, Fomboni, Moroni… sont animées par les perspectives de financements de projets impossibles à réaliser, faute de soutiens du gouvernement, la frénésie des jumelages par la Mairie de Mamoudzou paraît plus animée par une volonté politique.
La Cour constitutionnelle saisie
Presque simultanément, des actions ont été entreprises dans la capitale comorienne et à Mamoudzou pour contester ces deux premiers jumelages. Dès le 25 juillet, Ahmed-Hachim Said Hassane, un militant proche du parti Juwa et fils de l’ancien homme politique Said Hassane Said Hachim a adressé à la Présidente de la section constitutionnelle et Électorale une demande d’avis de constitutionnalité sur les jumelages à Tsidjé et à Mutsamudu. Une procédure offerte par la Constitution comorienne à tout citoyen comorien. Comme elle en a l’habitude, la Présidente, Harmia Ahmed, a trouvé le détail qui lui a permet de ne pas se prononcer, en attendant une décision gouvernementale. Elle a répondu le 4 août que sa section ne pouvait se prononcer, car Ahmed-Hachim Saïd Hassane s’est trompé en s’adressant à la « Section de la Cour constitutionnelle ». Mais, ce dernier a réécrit sa demande d’avis le 6 août dernier et la section constitutionnelle et Électorale va devoir se prononcer. Cela sera sans doute plus facile vu que le gouvernement a déjà pris une décision et que cette Section dont les membres ont tous été nommés par le chef de l’État ne va jamais à l’encontre des décisions de l’exécutif.
Un coup de poker politique
À Mayotte, c’est le Collectif des Citoyens de 2018 qui s’est fait entendre sur ces jumelages. Une trentaine de personnes, selon Mayotte-hebdo, a bloqué la mairie de Mamoudzou le 1er août et a obtenu un entretien avec le maire de la ville. Pour eux, il ne faut faire aucun accord de coopération avec les trois autres îles. Pendant les trois heures de discussion, le maire a expliqué aux membres du collectif que les jumelages faisaient accepter implicitement aux communes partenaires le fait que Mayotte était une partie de la République française. En effet, dans les documents qui ont été signés par certains maires, et dans ceux qui allaient être signés, Mamoudzou est indiquée comme une ville de la « République française ».
Après ces réactions consécutives aux deux premiers jumelages, le Gouvernement comorien est entré en scène. Le jumelage de Mamoudzou avec Fomboni, chef-lieu de l’île de Mwali a été suspendu, en attendant l’avis de la Cour suprême.
C’est aussi au début du mois d’août que le public a appris que la mairie de la capitale, Moroni, aurait dû inaugurer cette série de jumelages. Par prudence, avant de convoquer le conseil municipal pour se prononcer sur cette éventualité, comme l’a fait auparavant le conseil de Mamoudzou, le Secrétaire général de la mairie a saisi par lettre le 14 juillet le Secrétaire général du ministère des Affaires étrangères sur les incidences juridiques d’un tel partenariat. Ce dernier a été clair dans sa réponse rédigée le 18 juillet : « la signature de ladite convention de partenariat de jumelage entre la mairie de la capitale de l’Union des Comores avec la commune de Mamoudzou comme collectivité territoriale décentralisée dans un département français constituerait une reconnaissance tacite par des autorités locales de l’appartenance de Mayotte à la France ». Après cette analyse, le Secrétaire général du ministère des Affaires étrangères exprime la recommandation du gouvernement : « il serait souhaitable de sursoir la signature en attendant l’examen approfondi de ce dossier qui mérite une attention toute particulière en raison de ses impacts politique, juridique et diplomatique ».
Fin des jumelages
Si cet avis donné par le ministère des Affaires étrangères a conduit la mairie de Moroni à la prudence et à sursoir son jumelage, il n’a pas empêché les villes de Tsidjé et de Mutsamudu respectivement deux et quatre jours après de signer ces accords de jumelage. Nous n’avons pu vérifier si les maires de ces deux villes avaient connaissance de cet avis du ministère des Affaires étrangères, le moins que l’on puisse dire est qu’ils ont fait preuve de légèreté, surtout quand on sait que pour le cas de Tsidjé, le député de la région et le Chef d’état-major étaient présents.
Le dernier épisode de ce feuilleton est arrivé le 8 août 2022 avec l’arrêté signé du ministre de l’Intérieur, Fakridine Mahamoud, qui annule tout simplement les jumelages déjà signés. L’arrêté est composé de trois articles, mais il n’y a que le premier qui est essentiel. Cet article est rédigé d’une manière confuse. En effet, le ministre écrit : « Les conventions de jumelage entre les communes de Domoni, Fomboni et Mutsamudu et la municipalité de Mamoudzou sont annulées pour non-respect du cadre normatif et des procédures appliquées ».
On peut constater que deux des villes qui sont citées (Domoni et Fomboni) n’ont signé aucune convention, et par contre la ville de Tsidjé qui a bien signé une convention n’est pas citée par l’arrêté du ministre. Les motifs avancés pour l’annulation paraissent également fantaisistes : d’une part le « non-respect du cadre normatif », mais il est impossible de savoir quel est ce cadre normatif et le ministre n’éprouve aucune nécessité de citer les lois auxquelles il se réfère, d’autre part le non-respect « des procédures appliquées », expression curieuse, car il est impossible de savoir de quelles « procédures » il s’agit ni par qui elles ont été « appliquées ».
Au final, on comprend que le gouvernement a voulu stopper un vaste mouvement de jumelage qui aboutissait à lacérer la doctrine de l’État comorien, mais la justification de cette interdiction est insaisissable. Et surtout, le public a du mal à comprendre que c’est le même gouvernement qui a signé un Accord de coopération en 2019 qui, sur plusieurs paragraphes, désigne l’île de Mayotte, comme un département français.
Quant à la Section constitutionnelle et Électorale, elle est toujours en réflexion depuis que le citoyen Ahmed-Hachim Saïd Hassane lui a demandé un avis sur ces jumelages au regard de la Constitution comorienne.