Titulaire d’une maitrise en statistique et économie appliquée obtenue à l’ENSEA à, Abidjan (Côte d’Ivoire) et d’un doctorat en économie de l’Université de Montréal (Canada), Mama Keita est la directrice du Bureau sous régional pour l’Afrique de l’Est de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique basée à Kigali, au Rwanda depuis 2011.
Par Hachim Mohamed.
Elle a enseigné l’Économie publique et l’Économie du développement au Canada et a travaillé pendant plus de vingt ans dans le domaine de l’Économie du développement.
En mission à Moroni les 30 et ler juin dans le cadre de l’atelier de la zone de libre-échange continental africain (ZLECAF), elle a accepté de nous présenter les tenants et les aboutissants d’une éventuelle ratification des Comores.
Masiwa – Selon certaines indiscrétions, la ZLECAF entend prendre en charge les sujets déterminants pour l’intégration dans les chaines de valeurs, ceux qui n’ont jamais ou rarement été abordés dans les précédents accords régionaux du continent.
Mama Keita – ZLECAF est une initiative de l’Union africaine qui vise à créer un vaste marché en Afrique.
Comment ça va s’opérationnaliser ? C’est avec l’élimination des tarifs douaniers entre les pays africains et la favorisation de la libre circulation de biens, des services et des personnes. Les produits comoriens vont entrer dans le marché africain sans être taxés, donc ils seront plus compétitifs. Les opérateurs comoriens vont pouvoir importer des intrants à des coûts relativement bas. Cela va booster le commerce entre les pays africains d’une façon compétitive. Les produits qui sont non-africains qui entrent en Afrique vont faire face à de tarifs douaniers plus chers que les produits africains. C’est pour in fine rendre les produits africains plus compétitifs, favoriser plus de production en Afrique, plus de commerces ainsi que pour moins d’importation venant du reste du monde. On souhaite que chaque pays ait des produits à exporter et de produits à importer. Concrètement, comment cela se passe en matière d’intégration des différentes chaines de valeurs ? Par exemple Smartphone est composé de plusieurs pièces qui viennent de plusieurs endroits du monde. Il y a une entreprise au Rwanda de fabrication de ces appareils. J’ai demandé combien de pièces entrent dans la fabrication du Smartphone. On m’a dit 600. Combien de pièces viennent d’Afrique ? Originellement ils m’ont dit 0 pièce. Et pourtant nous savons que le cobalt, le lithium et autres sont présents en d’Afrique. Différentes entreprises produisent différentes parties d’un produit fini. On les achète à différents endroits et on les assemble. Une chaine de valeurs, c’est différentes étapes de processus jusqu’à parvenir à un produit fini. Pour le cas du téléphone, un pays peut être responsable de l’extraction de caoutchouc et la réalisation de la coque du téléphone, un autre pays peut être responsable de l’extraction du cobalt, du lithium, etc. et un autre pays peut être responsable de la couverture et de la protection et un autre pays procède à l’assemblage de tout ça et produit un produit fini. C’est à ça qu’on veut parvenir en Afrique. C’est transformer un peu pour pouvoir s’insérer dans un processus de production donné. Avec la ZLECAF on veut que les produits intermédiaires viennent plus d’Afrique. C’est tout ce processus qu’on appelle la chaine des valeurs et c’est aussi ça ce qu’on appelle le renforcement des chaines de valeurs.
Masiwa – Quels sont les enjeux si les Comores approuvent la ratification ?
Mama Keita- Avec la ZLECAF, l’essentiel c’est la capacité à diversifier l’économie, à promouvoir l’industrialisation à créer de l’emploi, à renforcer le tissu économique à la longue. C’est ça qui rend l’économie résiliente. Dans nos pays, le fait de dépendre de l’exportation de deux ou trois produits phares, en nombre limité, ça rend le pays vulnérable. Dès qu’il y a un choc sur ces produits-là, le pays perd ses recettes d’exploitation et tout le monde est impacté. Le potentiel pour créer des emplois pour les jeunes comoriens est aussi élevé. Mais, je ne vais pas croire que c’est automatique, car ça prend plus d’efforts de la part du secteur privé d’être entreprenant, d’être au courant des opportunités, se demander où sont les marchés, où sont les niches.
Masiwa – Qu’est-ce que les Comores, qui importent 80% des produits de consommation, peuvent apporter dans la ZLECAF ?
Mama Keita – Ce qui m’a frappé dans ce pays, c’est son potentiel touristique. Le pays est extrêmement beau. Le site naturel est beau. Le potentiel touristique est énorme. Il faut le mettre en valeur. Si le pays parvient à attirer les investissements qu’il faut. Il y a des atouts dans ce pays. Il y a la sécurité. Il y a une vaste diaspora qui a acquis un certain savoir-faire et connait le gout de visiteurs potentiel et peut aider le gouvernement et le secteur privé à développer le secteur touristique. Prenons l‘exemple de Seychelles. Le tourisme représente plus de 60% du PIB du pays, c’est énorme. Le Rwanda a développé un tourisme de conférences. Ils ont mis en place un grand centre de conférences et plusieurs hôtels. Il y a beaucoup de conférences internationales qui se passent à Kigali. À partir du tourisme, on peut faire vivre l’agriculture. Les produits agricoles de Comores vont servir les hôtels comoriens, la clientèle des Comores. Le poisson séché local est excellent. Il y a des filières qu’il faut travailler. Aux Comores, cela peut se faire avec des aromates, de l’essence dont l’industrie touristique a besoin de restaurer. Bref, produire ici et transformer dans des arômes finis et vendre ça dans le marché africain. Il y a différents types de produits que ce pays peut développer. Et en développer cela, le pays peut arrimer la chaine de valeurs touristiques à la chaine de valeurs de l’agriculture. Pour cela, il faut être à l’écoute du secteur privé, améliorer le climat des affaires. En le faisant, l’État pourra parvenir à attirer les investisseurs et à développer certains secteurs tels que l’agriculture, la pêche ou le tourisme. Et faire en sorte que le pays tire une partie importante de la ZLECAF et toute autre opportunité offerte.
Masiwa – La ZLECAF n’est-elle qu’un simple accord commercial ?
Mama Keita – La ZLECAF ne cherche pas seulement à éliminer les barrières tarifaires, elle enlève aussi les barrières non tarifaires. Il y en a beaucoup en Afrique. Il y en a qui viennent du manque d’infrastructures pour transporter les produits d’un point A à un point B. Cela constitue une barrière, un frein au commerce. La ZLECAF élimine les procédures douanières qui sont longues, les procédures administratives qui sont longues avant de pouvoir exporter ou importer. C’est vrai que les pays qui tirent un montant substantiel sur les recettes douanières vont être quelque peu affectés. Ils vont perdre les recettes douanières. Toutefois, conscient des pertes possibles de recettes de certains pays africains, conscient que cela peut constituer un frein à la décision de la ratification de l’accord, la ZLECAF a mis en place un instrument d’ajustement qui va permettre à tous les ministères de fiances de dispose une alternative. Il y aura une fenêtre pour les aider à avoir accès à certaines sources de financement comme compensation et les accompagner pour faire face à la perte des recettes douanières. Il est entendu que la ZLECAF devrait améliorer le tissu économique. Elle devra inciter les opérateurs économiques à venir investir, à faire croître les activités économiques. L’État qui aura une assiette fiscale plus large, il y aura plus d’entreprises à imposer et ces entreprises vont avoir des employés. Cela va permettre à l’État d’avoir de nouvelles sources de recettes intérieures, par les impôts sur les individus comme sur les entreprises. Il s’agit d’élargir la base d’imposition et de réduire l’informel. J’encourage les jeunes et les femmes qui sont les pièces maitresses. Ces deux segments sont les moteurs de l’innovation dans tous les pays. C’est eux qui sont plus connectés. Ils constituent une force et méritent d’être aidés avec des facteurs qui sont bénéfiques à tous tels que l’accès à l’énergie pas trop couteuse, l’accès à la technologie, l’accès à l’internet haute vitesse et l’accès aux financements.