La solidarité était autrefois la clé du vivre-ensemble et elle a toujours été, pour les Comoriens, un garant de la sécurité sociale.
Par Noussaïbaty Ousséni Mohamed Ouloubé
Le principe du « Un pour tous et tous pour un » suffisait à protéger les enfants et à les éduquer, soigner les malades et combler les ventres creux. Les mutations socio-culturelles et la mondialisation se sont hélas bien installées dans l’archipel. Le « mind your business » a eu raison de la solidarité communautaire. Aujourd’hui, la radio et télévision nationales ont besoin de diffuser des spots sur la responsabilité de chaque individu à l’égard de son prochain quand les pays riches votent des lois autour de la responsabilité sociale des entreprises.
Une jeunesse délaissée
Contrairement au ciel qui peut passer du bleu au gris l’instant d’un battement de cils, la société met du temps à se transformer et beaucoup sont ceux qui ignorent ses changements ou qui pensent qu’il s’agit d’une chose sans importance puisqu’il ne s’agit que des autres. Selon un jeune comorien étudiant à Madagascar, les Comoriens tendent vers la culture du chacun pour soi car ils copient les comportements des civilisations dites dominantes et ce au détriment de leurs valeurs qui leur sont pourtant fondamentales. Ce laisser-aller peut être mis en évidence par l’éducation des enfants qui reste désormais l’affaire des parents alors qu’il y a encore un peu moins de quatre décennies, la communauté s’occupait des progénitures des uns et des autres, veillant à construire une harmonie pareille à celle qui découle des chants traditionnels. Désormais, il est courant d’entendre les gens dire : « mtru ahilidza nalarie », soit « la poule qui pond l’œuf la couve » ou dire pour faire plus français, « comme on fait son lit, on s’y couche ».
La délinquance juvénile se répand ainsi qu’une mauvaise herbe dans un pays qui possède peu de ressources et dont la majorité des habitants enchainent les petits boulots pour contourner le chômage. Encore à l’école élémentaire, les enfants forment de mignonnes petites bandes qui ne se contentent plus de cueillir des mangues dans des champs remplis de manioc et de bananes. Pourtant, il y a quelques années, le manioc pouvait être séché sur les champs sans surveillance et les bananes y murissaient paisiblement. Les jeunes « hors-la-loi » se contentaient de faire l’école buissonnière afin de partir à la pêche, d’autres pouvaient aller dérober des tubercules dans les champs familiaux, du riz et des oignons dans les modestes cuisines dans le seul but d’aller cuisiner entre amis et profiter de la présence des uns et des autres.
La pauvreté plus visible
Désormais, il n’est plus question de cuisiner dans les champs ou sur les plages de galets juste pour s’amuser. Pour beaucoup d’entre eux, il s’agit d’une question de survie. Pendant longtemps, les comoriens ont vécu dans la bienveillance et nul ne pouvait manger en ignorant le frère, le voisin, le petit fils du cousin de l’arrière-grand-père ou encore l’étranger qui vient de s’installer. Entre pauvreté, polygamie, femmes au foyer, pères au chômage, travail sans salaire, vie cher et individualisme, trop d’enfants sont mal nourris et apprennent le vol et l’arnaque dès le petit âge. Parmi ces enfants, certains abandonnent l’école pour travailler, d’autres trichent dans la vie de tous les jours jusqu’à obtention des grands diplômes et c’est dans les différents services publics ou privés dans lesquels les employés sont souvent mal payés qu’ils iront continuer leur vocation d’où la célèbre phrase : « hazini hamtru de uvwahano mtru ahibao » (« on ne vole que dans son lieu de travail »).. Ces enfants-là n’étaient pas poussés par la famine, mais par le besoin de créer des liens, ces mêmes liens qui faisaient des Comoriens un peuple solidaire.
Les superstitions prennent le dessus
Les relations de voisinages ont également évolué. Désormais plus personnes ne part chercher du feu chez le voisin. Chacun peut s’offrir des allumettes venues tout droit d’Afrique du sud et il n’est plus question de frapper à la porte du voisin armé d’une coque vide de noix de coco pour chercher des braises. Pour avoir du sel, soit tu paies, soit tu t’endettes ; l’avantage en est que même le soir si tu as ton argent, tu peux en acheter chose qui était impossible il y a quelques années car les gens avaient peur des djinns et l’une des façons de s’en protéger était de ne pas faire sortir de chez soi du sel ou des œufs pendant la nuit. Il serait faux de croire que les superstitions disparaissent quand l’une de raisons qui font que la proximité entre voisins diminue et la peur de se faire ensorceler dans ce pays où les maladies psychologiques ou les accidents sont l’œuvre du diable et le peuple de foi musulmane a plus peur des mauvais djinns qu’il n’a confiance en Dieu. Et la cerise sur le gâteau est la mauvaise gouvernance qui fait qu’il n’existe pas de structures qui peuvent permettre aux plus démunis d’avoir accès à la santé, aux enfants en difficulté d’aller au bout de leurs études ou encore empêcher les personnes mentalement dérangées souvent agressives de sillonner les rues vêtues de guenille. Les comoriens ont toujours pu compter sur la chance donc il ne reste qu’à prier pour que jamais le vent ne tourne.