« Bangwe la Wandru Washe » (« Place publique de femmes ») est une Révolution tranquille qui a commencé quand un groupe de femmes comoriennes a décidé d’ouvrir une page sur Facebook pour discuter de sujets qui les préoccupent.
Propos recueillis par Hachim Mohamed
De cette initiative est née l’idée du recueil « Lettres du Bangwe » qui, en plus d’« ouvrir la voix » des femmes comoriennes, donne la parole aux femmes, à toutes les femmes qui adhèrent à « une charte qui se veut inclusive et qui prône la bienveillance.
Pour en savoir plus amplement sur ce « Bangwe la Wandru Washe », nous nous sommes entretenus avec Biheri Said Soilihi, éditrice qui a présenté le recueil de 48 lettres signées par 35 auteures à l’Alliance franco-comorienne le 17 juin dernier.
Masiwa – La sortie de ce livre date d’un an, pourquoi vous avez décidé de le présenter maintenant aux Comores ?
Biheri Said Soilihi – Le lancement a d’abord eu lieu en France, car c’est là où se trouve notre association. Ce n’est que cette année que les conditions d’un lancement à Moroni ont pu être réunies pour une présentation publique, qui coïncide aussi avec le projet d’installer Bora aux Comores.
Masiwa – En parlant de ce recueil ce 17 juin, vous avez évoqué le restaurant sénégalais du 20e arrondissement, symboliquement cet endroit représente quoi dans « Lettres du Bangwe » ?
Biheri Said Soilihi – Je parlais de l’importance pour les femmes du temps et un espace dédié à elles. De cet espace-temps naissent des confidences, des amitiés, des projets et des réalisations, mais également une communion propice à la découverte de soi et des autres. Le Pitch Me, un restaurant sénégalais du 20e parisien a longtemps été ce lieu pour nous, un espace où nous avons été accueillies et où nous étions toujours les bienvenues pour y tenir nos rencontres entre membres du groupe Facebook « Bangwe la wandru washe » qui a donné son nom au recueil.
Masiwa – Pouvez-vous nous résumer la genèse complexe de ce projet ?
Biheri Said Soilihi – L’idée d’un projet d’écriture collective est née de la volonté de transmettre la magie des rencontres du Bangwe au plus grand nombre. Et le format de la lettre a été privilégié en hommage à la longue tradition épistolaire comorienne où des décennies durant notre peuple maintenait des liens avec sa diaspora, ses navigateurs…
Masiwa – Est-ce que vous diriez que c’est un livre qui déroute ? Est-ce qu’on s’ennuie en le lisant ou au contraire il est d’accès facile ?
Biheri Said Soilihi – De nombreux lecteurs et lectrices m’ont affirmé avoir lu toutes les lettres d’une seule traite. L’ordre des lettres est pensé comme une histoire, comme un jour dans la vie d’une femme comorienne où elle traverse des épreuves et vit des moments de bonheur. D’autres ont pris leur temps pour achever la lecture du livre, où ont lu les lettres dans le désordre, picorant ici et là au gré de leur humeur chacune des lettres. Les gens ont su établir une approche personnelle avec la lecture du recueil.
Masiwa – Quelle politique éditoriale a présidé à vos choix de lettres en tant qu’éditrice ?
Biheri Said Soilihi – Cette initiative était originale et inédite en soi dans notre communauté. L’objectif était de livrer nos récits sans filtre et sans censure, pour ce faire, assumer le contrôle éditorial du projet nous a semblé opportun voire naturel d’en assumer la direction en plus de la rédaction.
Masiwa – N’est-ce pas une tâche difficile qu’éditer un tel livre ?
Biheri Said Soilihi – L’exercice s’est en effet révélé beaucoup plus difficile que prévu tant pour les auteures qu’au niveau de l’édition, mais cela rend d’autant gratifiant le processus de création qui a permis la réalisation du projet. Il n’y a rien qui a de la valeur sur terre qui ne se fait sans effort. Nous sommes fières d’être allées au bout.
Masiwa – Au-delà des violences intrafamiliales, infligées aux femmes par leurs proches parents masculins pour cause de « comportement immoral » réel ou supposé, vous avez aussi pointé du doigt les rapports parfois tendus entre filles et mères, pouvez-vous nous en parler ?
Biheri Said Soilihi – Au-delà de l’immoralité, les actes de violence dénoncés dans « Lettres du Bangwe » sont des actes criminels et destructeurs socialement. C’est pour cela que je crois, en tant que féministe, que la meilleure manière de traiter ces faits de violence et de le faire socialement et politiquement en premier lieu. En ce qui concerne la relation compliquée et parfois conflictuelle que des femmes entretiennent avec leur mère, elles sont souvent passées sous silence tant la figure de la mère dans nos traditions et notre religion est sacrée. En parler est nécessaire tout simplement parce qu’elle correspond à une réalité. Toutefois, si par leur comportement, elles ont pu faillir à protéger les victimes voire dans certains cas ont permis que la violence ait lieu, il faut garder à l’esprit qu’il n’y a qu’un seul coupable : l’agresseur.
Masiwa – Quels genres de lettres avons-nous dans ce recueil ? Missives enflammées, déchirantes, touchantes, dénonciatrices… ?
Biheri Said Soilihi – Il y a tous les genres, il y a de belles histoires d’amour, il y a des récits tragiques, il y a bien sûr de l’humour et des réflexions sur notre pays ainsi que le fonctionnement de notre communauté. Je pense que tout le monde peut y trouver des lettres qui lui parleront plus personnellement, il suffit de donner sa chance à ce recueil, l’ouvrir et le lire.
Masiwa – Quelle est la lettre qui, à la lecture, a été prenante quand vous l’avez lue et relue, ruminée et digérée ?
Biheri Said Soilihi – En tant qu’éditrice j’ai été amenée à réserver ce traitement à chacune des missives qui m’ont été envoyées. J’ai lu et relu sans compter chacune des lettres, et je me suis attachée à toutes. Chacune résonne différemment en moi selon mon humeur. De telle sorte que je ne saurais en choisir qu’une.
Masiwa – Connaissez-vous toutes ces femmes qui se sont livrées dans ce recueil ?
Biheri Said Soilihi – Même si des amies et des proches ont participé à l’aventure, la plupart des auteures sont anonymes, on ne se connaît donc pas ou pas à ma connaissance.
Masiwa- Avez-vous eu des retours de la part des lecteurs du recueil ?
Biheri Said Soilihi – Ce qui revient le plus souvent dans les retours c’est que retrouver leurs vécus, leurs rêves comme leurs doutes sous la plume d’autres femmes les a souvent émues jusqu’aux larmes.