Après deux années de tergiversations, l’ancien Premier ministre et ex-secrétaire de la Commission de l’Océan Indien (COI), Hamada Madi Boléro est revenu auprès du président Azali Assoumani. Il retrouve donc Beit-Salam après avoir donné l’impression de bouder un pouvoir qui a essayé de le mettre en prison à trois reprises lorsqu’il était en fonction à la COI.
Par MiB
Une information qui a fait peu d’échos
C’est par un décret en date du 20 juin dernier que les Comoriens ont appris la nomination de Boléro comme Conseiller diplomatique du chef de l’État. Le même décret précise qu’il est mis sur le même plan que le Conseiller spécial.
Curieusement la nouvelle de cette nomination a été peu commentée dans le pays et n’a fait l’objet d’aucun article dans les grands journaux imprimés à Moroni. Dans les réseaux sociaux comoriens où l’homme a l’habitude d’être pris à partie à chacune de ses sorties, là aussi, les réactions ont été très peu nombreuses. Ce sont donc quelques journaux régionaux qui ont repris l’information. Ainsi le journal « France-Mayotte » qui ne s’intéresse que très rarement à la politique à Moroni présente le conseiller diplomatique comme un « francophile » et salue cette nomination en assurant que Boléro est l’homme de la situation au moment où il faut négocier avec l’État comorien un nouvel arrêt des kwasa-kwasa. Anne Constance Onghena espère aussi que Boléro, conseiller diplomatique, permettra aux sportifs maorais d’arborer le drapeau français et chanter la Marseillaise aux prochains Jeux des Iles de l’Océan indien.
Dans une note du journal « Africa Intelligence » modifiée le 22 juin dernier, le média croit savoir que Hamada Madi Boléro « devrait gérer plusieurs crises à l’international ». L’insuffisance du ministre comorien des Affaires étrangères actuel serait à l’origine de cette nomination. « Africa Intelligence » qui doit avoir des informations obtenues à la source affirme que Boléro aura le rang d’un ministre, ce qui n’est nullement indiqué dans le décret de nomination.
Une situation explosive
Pourtant, il n’était pas évident qu’après avoir occupé le poste de Secrétaire général de la Commission de l’Océan indien (COI), Hamada Madi Boléro accepterait de revenir dans les pattes du président Azali.
La situation actuelle où le pays est plongé dans l’autocratie avec l’élimination de toute opposition politique ne l’a sans doute pas encouragé à prendre un poste dans l’administration Azali. L’homme paraissait même réprouver les exactions et la violence dont fait montre le pouvoir en place et en particulier l’assassinat du major Hakim Bapale, mort sous les tortures dans un camp militaire sans qu’une enquête ne soit réellement ouverte.
La transformation du régime de Moroni en une autocratie avec changement de constitution et prolongation du mandat présidentiel laissait penser que ses propres ambitions avaient été contrariées, le tour de son île d’origine, Mwali, étant renvoyé à plus de vingt ans, si entre temps la tournante n’est pas définitivement abolie. Un délai qui lui enlève tout espoir de prétendre devenir un jour président des Comores.
Un divorce non consommé
Son divorce d’avec le régime Azali semblait pourtant consommé depuis quelques années, à cause des mauvais coups qu’il a subis alors qu’il était Secrétaire général de la COI.
En 2017 et en 2018, le gouvernement a même envisagé de l’arrêter alors qu’il passait des vacances dans son pays d’origine, et cela sans tenir compte du fait qu’il était protégé par l’immunité diplomatique.
En août 2018, il était sur le point d’être arrêté par la gendarmerie à Mwali pour « terrorisme ». Il n’a dû son salut qu’à la diplomatie française et au secrétariat général de la COI qui ont rappelé au gouvernement comorien que le Secrétaire général de la COI bénéficie d’une immunité diplomatique, même quand il passe des vacances dans son pays d’origine.
En novembre 2020, « La Gazette des Comores » rapporte que des gendarmes suivent Boléro et se rendent même dans l’hôtel dans lequel il séjourne à Mwali pour interroger le patron sur ses mouvements et actions.
On pouvait alors penser que l’ambition du chef de l’État de reformer l’équipe qu’il avait mise en place après les élections présidentielles de 2002 (Houmed Msaidié, Amine Souef, Hamada Madi…) était morte. Hamada Madi avait même tenté de se poser comme intermédiaire entre le gouvernement et l’opposition ou ce qu’il en reste. Celle-ci n’avait pas pu oublier qu’il était un des principaux collaborateurs d’Azali et n’a pu imaginer qu’il puisse être un interlocuteur neutre entre les deux camps. Cette nomination vient donner raison à l’opposition. Manifestement, le soldat Boléro a trouvé suffisamment de raisons pour revenir au bercail, après quelques mois discrètement passés en France.
Boléro, l’insaisissable
Ce n’est un secret pour personne, le gouvernement Azali bénéficie d’un soutien du soutien de la France. Il a donné suffisamment de gages pour cela. Et il est probable que Hamada Madi Boléro ne revient pas de Paris pour entrer à Beit-Salam sans avoir l’aval des réseaux africains de la France.
Pourtant, il n’y a pas longtemps, l’homme semblait déçu par la diplomatie française qui l’a en quelque sorte délaissé après son « mandat » à la COI. Cela peut d’ailleurs expliquer son rapprochement avec le réseau russe en Afrique. Grâce à son statut d’ancien étudiant en URSS parlant parfaitement le russe, il avait intégré l’équipe d’experts africains chargés par V. Poutine de préparer le sommet Afrique-Russie qui devait se tenir en novembre 2022.
Après son intervention en russe dans une conférence internationale le 25 mars 2021, le journaliste Faissoili Abdou (Masiwa n°323 du 12 avril 2021) écrivait : « Il est à noter que Hamada Madi Boléro a fait tout son discours en russe, et qu’avec ce discours, il se place sans doute au cœur de la nouvelle politique russe en Afrique ». Et en effet, il était parmi les Africains les plus actifs pour l’influence de la Russie en Afrique. Il s’était d’ailleurs rendu sur le continent pour les préparations du sommet Afrique-Russie avant de partir en France.
Ce retour dans l’équipe Azali indique certainement qu’il s’est éloigné des plans russes en Afrique. Mais, cela l’avenir nous le dira, car l’homme est insaisissable.