Alors que nous bouclions cet article, nous avons appris que les deux Mabedja locaux qui étaient maintenus en prison alors que ceux venus de France avaient été libérés ont été relâchés discrètement et de façon inattendue ce week-end ? Par Hachim Mohamed
Après plusieurs griefs accumulés au fil des mois contre le ministère public qui a trop joué sur les erreurs de procédure, sur des délais non respectés, visiblement la conférence des avocats le lundi 25 octobre a pesé dans le dénouement de l’affaire. Maître Gérard avait rappelé qu’en matière de justice la détention de toute personne relève plus de l’exception et que la liberté reste la norme.
Dans le cadre de l’affaire des Mabedja, Maître Gérard et Maître Abdillah, deux des 15 avocats constitués pour défendre les membres de cette association arrêtés avant, pendant et après les manifestations ont animé une conférence de presse le 26 octobre afin de dénoncer le caractère discriminatoire dont étaient victimes deux de leurs clients, à savoir Massoundi M’madi et Said Salim Alias Désiré.
Ces deux militants avaient été maintenus en prison alors que douze autres qui avaient été incarcérés pour les mêmes motifs ont déjà humé l’air de la liberté, et notamment les deux Franco-comoriens qui avaient conclu un accord avec le gouvernement, accord qui leur avait permis de quitter la prison et même le territoire avant tout jugement.
Pour rappel, Massoundi M’madi s’est fait appréhender quand il voulait apporter des repas aux deux premiers Mabedja à la maison d’arrêt de Moroni. Quant à Said Salim Désiré, il a été arrêté par les militaires en rentrant après la prière de vendredi, le 3 septembre.
Dans un long réquisitoire très argumenté juridiquement, tour à tour, les avocats des Mabedja ont « déposé » devant les journalistes leurs griefs à l’endroit du ministère public, notamment pour ce qu’ils estiment être des atteintes graves aux conditions de détention provisoire, pourtant bien encadrées par le Code de procédure pénal (CPP).
Des entorses graves au CPP
Quelques jours après l’arrestation des deux premiers Mabedja, le ministère public voulait les auditionner sans prévenir leurs avocats. Pourtant, « L’article 123 du code de procédure pénale stipule que si la justice veut auditionner les prévenus, elle doit informer ses avocats deux jours à l’avance. Ce qui n’est pas le cas, car le ministère public voulait nous mettre devant le fait accompli. Nous avons demandé que l’audition soit reportée, car nous n’avons pas les éléments du dossier de nos clients. Ce que le juge a accepté », affirme Maître Gérard.
Une semaine est passée, mais les avocats se sont rendu compte qu’il ne s’est rien passé dans la diligence de la procédure. Pendant ce temps-là, le ministère public était parti à la maison d’arrêt pour ouvrir une négociation de libération avec les Mabedja venus de France.
Tous les conciliabules se tenaient à la maison d’arrêt sans en informer leurs avocats. Et pourtant, à chaque visite à la prison, Maître Gérard et Maître Abdillahi ont dit à Farhane et Chamoun de ne pas négocier avec le ministère public en dehors de leur présence.
« Vous savez ! Vos avocats ne valent rien du tout. Maître Gérard et Maître Abdillah sont écartés du dossier et la balle est maintenant dans le camp de l’État comorien qui vous a arrêté et qui peut aussi décider de vous relâcher », aurait raconté Farhane Attoumane qui menait les conciliabules avec le ministère public.
Le 2 septembre, les avocats des Mabedja ont déposé une demande de liberté provisoire qui a été classée sans suite.
Sur la base de l’article 148 du Code de procédure pénale, une deuxième demande d’élargissement a été adressée au ministère public le 11 septembre. Mais, comme la première, elle est restée sans réponse.
« La réponse du ministère public devait nous être notifiée au plus tard le 8 du mois pour la première demande et le 17 pour la deuxième. Passé ce délai, la détention n’est plus légale, mais arbitraire. Au nom de la loi, nos clients doivent sortir de la prison. », a expliqué Maître Gérard. Les avocats sont d’autant plus outrés que le ministère public piétine le Code de procédure pénale dans ses articles 137, 144, 145 qui encadrent le placement en détention provisoire pour les détenus.
Discrimination et trahison
Le 15 septembre, le collectif des 15 avocats a déposé une troisième demande de liberté provisoire pour leurs clients et encore une fois, elle n’a pas été prise en considération.
Contre toute attente et sans le notifier aux avocats des Mabedja, à la même date, le ministère public a court-circuité le système judiciaire en décidant d’organiser une audition de Farhane Attoumane et Chamoun Soudjay au palais de justice. Le lendemain, le ministère public a fait signer une demande de liberté provisoire aux deux militants qui ont été libérés dans la journée.
« Comment est-ce que vous pouvez négocier votre libération en laissant en quarantaine vos compatriotes qui se sont joints à vous dans le combat et qui ont été arrêtés pour le même motif ? Pensez-vous que c’est normal qu’on vous relâche alors que les Mabedja locaux continuent à moisir en prison ? », s’interrogent les avocats qui en plus d’être choqués par cette discrimination et ce qu’ils considèrent comme une trahison, s’étonnent qu’on ne leur ait présenté ni l’ordonnance de mise en liberté provisoire ni l’ordre d’élargissement du Procureur de la République. Pourtant, malgré toute cette procédure viciée, chacun se rappelle que Me Gérard est sorti de la prison de Moroni tout souriant avec les deux hommes.
Massoundi M’madi et Said Salim alias Desiré, maintenus injustement en prison.
Une quatrième demande de mise en liberté provisoire a été déposée le 22 septembre pour Massoundi M’madi et Said Salim alias Désiré, les deux Mabedja locaux. La Justice a de nouveau gardé le silence et fait croire aux avocats que le dossier était encore au parquet.
Il a fallu attendre le 4 octobre pour que le juge notifie aux avocats l’ordonnance de mise liberté provisoire et que le Procureur de la République accepte la requête.
En faisant le bilan de la procédure qui s’est étalée du 2 au 22 septembre, Me Gérard constate une rupture de la légalité à plusieurs reprises dans la mesure où leurs clients étaient considérés comme « libres sur le papier », après les 6 jours qui ont suivi les quatre demandes de mise en liberté provisoire, étaient maintenus injustement en prison. Pour les deux avocats, il n’y avait pas de contestation possible, la détention de leurs clients était arbitraire.
La justice comorienne a enfin décidé de respecter le droit en relâchant les deux derniers militants Mabedja détenus samedi 30 octobre.