Ce n’est ni le premier ni le dernier rapport sur la prison de Moroni. Les rapports s’accumulent sur les horreurs, ils ne font pas bouger plus que cela les hommes politiques comoriens. Même quand une Ambassade étrangère a honte et accepte de payer un médecin pour visiter deux fois par semaine les prisonniers qui y sont gardés, cela n’ébranle pas les cœurs des dirigeants comoriens. Pour eux, cette prison et ceux qu’on y envoie ne sont pas des priorités pour atteindre l’émergence. Ils ne trouvent donc pas nécessaire d’y améliorer les conditions de vie. Par MiB
Entre le 21 juin et le 14 juillet 2021, des organisations de la société civile et des militants des Droits de l’Homme ont bénéficié d’une formation coordonnée par Expertise France et soutenue par l’Ambassade de France à Moroni. Dans le cadre de cette formation, dix-huit membres de la société civile et des journalistes, répartis en deux groupes ont visité la prison de Moroni le 25 juin dernier avec l’accord du gouvernement comorien. Masiwa s’est procuré le rapport qui a été fait suite à cette visite et qui n’a jamais été rendu public.
Les visiteurs ont pu avoir accès à toutes les sections de la prison et s’entretenir avec les prisonniers qu’ils ont souhaité voir, ce qui est très rare et qui indique sans doute une volonté du gouvernement Azali d’aller vers un peu plus de transparence, ce qu’il n’a pu faire jusqu’à maintenant avec la CNDHL qui, à trop vouloir se coller à la parole gouvernementale s’est complètement décrédibilisée. Mais, on constate aussi que le rapport est resté secret.
Une vieille bâtisse
Les organisations de la société civile ont rédigé leur rapport en tenant compte des recommandations faites au gouvernement comorien lors du dernier Examen Périodique Universel (EPU) à Genève en janvier 2019, dans le cadre de l’ONU.
Les militants des organisations de la société civile se sont d’abord intéressés au bâtiment qui sert de prison à Moroni. Ils notent que celui-ci « ne présente pas toutes les garanties sanitaires et sécuritaires nécessaires tant pour les détenus et que pour le personnel intervenant dans le lieu de détention. ». Il s’agit d’une vieille bâtisse délabrée rongée par l’humidité, qui peut être à l’origine de maladies respiratoires. Des pans de plafonds sont déjà tombés sur des détenus.
La prison est composée de la Zone dite « Établissements des Prisonniers Politiques » (EPP), de la zone B, de la Zone C, de la zone D et de la section des mineurs dite « Le Moroni ».
Il y a deux zones disciplinaires. Celle de la zone B est composée de cinq cellules individuelles d’isolement de 2 à 2,5m2, sans fenêtre, sans aération et sans toilettes. Une de ces cellules était occupée lors de la visite par un homme que l’administration de la prison présentait comme « malade mental », état qui ne lui épargne pas les sanctions disciplinaires de la part de l’administration.
Toutes les cellules sont surpeuplées
L’autre thème abordé par le rapport est la surpopulation carcérale. « Les cellules sont toutes surpeuplées ». Dans certaines cellules, les détenus dorment par terre, à tour de rôle.
Le 25 juin, il y avait dans cette prison 238 personnes pour une capacité de 90 (148 individus de plus, un taux d’occupation de 264%). Le quartier des mineurs (en fait une partie de l’EPP selon un témoin) est également surpeuplé. La nuit, quelques détenus de la Zone B dorment dans le couloir de la zone disciplinaire, à côté, selon le rapport.
La seule femme en prison, ainsi qu’un étranger étaient dans des hôpitaux, en soins. Au total, il y a trois étrangers détenus, dont un parmi les trois condamnés à mort. Le rapport indique la présence de 86 « prisonniers politiques » alors que le président Azali continue à dire qu’il n’y a pas de prisonniers politiques aux Comores et qu’il a menacé récemment une journaliste de l’ORTC (« Vous avez de la chance… » lui a-t-il lancé) qui avait osé parler de prisonniers politiques en l’interrogeant.
Les séparations ne sont pas effectives
La séparation entre hommes et femmes est de règle. Mais, des gardes hommes peuvent circuler dans la zone réservée aux femmes à tout moment. De même des adultes travaillant dans la prison peuvent dormir dans la zone des mineurs.
Les détenus ne sont pas non plus séparés selon les infractions commises. Et même des individus qui n’ont pas encore été condamnés se retrouvent en cellules avec ceux qui sont condamnés, alors qu’ils peuvent attendre plus d’un an sans être jugés. C’est le cas de 107 détenus, soit 47% des effectifs, ce qui peut expliquer la surpopulation dans les cellules.
Depuis peu, on parle dans la prison d’une zone des mineurs et le rapport en fait référence comme étant une réalité. En fait, dans la journée les enfants circulent entre les zones et comme pour toutes les autres catégories, la séparation n’est pas aussi nette. Il n’y a que la nuit qu’ils sont enfermés. Le rapport lui-même le laisse comprendre puisqu’on peut lire page 9 : « Les mineurs ne sont pas systématiquement séparés des détenus adultes et certains mineurs vont et viennent ». De même, les rapporteurs préconisent de « S’assurer que les mineurs soient séparés, de jour comme de nuit, des majeurs détenus ». Le pire, c’est que de nombreux mineurs sont gardés en prison plusieurs mois en attente de jugement et 40% de ceux qui sont jugés affirment ne pas avoir été défendus par un avocat.
Des détenus à la santé précaire et non préparés à un retour à la vie normale
Aucun de ces mineurs, jugés ou en attente de jugement ne bénéficie de la continuité de scolarisation. Et l’obligation de scolarité s’arrête à la porte de la prison.
Le suivi médical de ces enfants, comme des adultes de la prison laisse à désirer. « Le système médical et l’accès aux soins restent un des problèmes les plus importants dans la maison d’arrêt de Moroni » (page 7). Depuis peu Caritas, une fondation proche du Secours catholique y envoie un médecin, payé par l’Ambassade de France. Il passe deux fois par semaine dans la prison. Un infirmier est présent en permanence et loge à côté de la prison. Mais, il y a peu de médicaments, ils sont souvent périmés note le rapport. Les familles doivent en acheter.
Il n’y a aucune visite médicale au moment d’entrer dans la prison, ainsi en plus du danger des maladies contagieuses, « les cas antérieurs de torture et de mauvais traitements ne sont pas détectés ». Le rapport nous apprend d’ailleurs que des prisonniers ont fait part aux membres des associations des mauvais traitements et tortures qu’ils ont subis avant d’arriver à la maison d’arrêt. Les rapporteurs se contentent de dire qu’ils vont enquêter, ce qui probablement ne sera jamais suivi d’effet. Pourtant, les mauvais traitements et les tortures par la gendarmerie et le GIPN (dont les pratiques sont facilitées par les juges comoriens selon l’ONU) ont été clairement établis par un Rapport du Rapporteur Spécial de l’ONU sur la torture publié en mars 2020 (lire « L’ONU dénonce la pratique de la torture aux Comores », Masiwa n°309 du 24/03/20). Mais, les associations continuent à faire semblant qu’il n’y a pas de preuves, même après la mort et l’enterrement à la va-vite du major Bapale suite à des « interrogatoires » dans un camp militaire à Anjouan. Un assassinat qui n’a été suivi d’aucune arrestation ni d’aucune enquête sérieuse.
Les conditions de détention elles-mêmes sont assimilables à de la torture, en particulier le manque de nourriture et d’eau. La nourriture « n’est pas suffisante en qualité, quantité et variété » dit le rapport. Le médecin de la prison n’a même pas le temps de vérifier les repas, même pas pour ceux qui sont soumis à certains régimes pour causes médicales. Les détenus ont environ 10 fois moins d’eau que ne le recommandent les standards de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Le rapport reste pudique à ce propos : « les familles comblent ce vide ».
Si l’état de la prison sise à Moroni, la capitale, est dans cet état, on devine que la situation est pire dans celle de Koki à Anjouan.
A lire aussi
- https://masiwa-comores.com/des-conditions-de-vie-inhumaines-dans-la-prison-de-moroni/(Masiwa n°347, 27/09/21)
- Koki, un goulag sous les cocotiers (Masiwa n°338, 26/07/21)
- Koki, la maison d’arrêt d’Anjouan (Masiwa n°271, 28/06/21)