« Piste » est d’abord un quartier, puis le nom du marché sur lequel on vend des bœufs et des chèvres. C’est aussi une petite entreprise en situation précaire et en péril. Pourtant la Mairie de Moroni en tire du profit et les services des impôts encaissent du cash.
Par Salec Halidi Ibrahim
Il a d’abord été le nom du quartier avant de devenir celui de la petite entreprise localisée dans la capitale. Le quartier de Piste est situé dans l’extrême sud-est du littoral de Moroni. Nous observons des habitations de type bidonvilles à l’entrée du site et une gigantesque casse où les épaves de voitures s’entassent les unes sur les autres. La précarité frappante de la petite structure dévoile plutôt une entreprise informelle. Celle-ci est loin de donner une image d’une entité reconnue et contrainte de s’acquitter d’impôts auprès d’une autorité publique. Elle est spécialisée dans l’élevage temporaire accompagné d’une revente et de l’abat de bœufs et de chèvres locaux. La petite entreprise est la première à investir le lieu avant que deux autres, de tailles industrielles viennent la rejoindre. Ces deux dernières contribuent à donner au lieu l’aspect d’un paysage industriel dans un désordre spatio-économique et spatio-social sur lequel la pérennité de l’environnement du littoral serait engagée.
Mais la récupération et l’envahissement du lieu par Lafarge et HydroGaz laissent penser à une expulsion programmée sans préavis. Puisque ces deux grandes entreprises se livrent à des chantiers d’aménagements débordant sur tout l’espace de la côte où la petite entreprise est ravitaillée en marchandises dans des conditions périlleuses. Elles demanderont une protection de leurs équipements investis sur le littoral, en l’occurrence leurs pipelines en constructions.
« Puisque nous payons, nous devrions avoir des droits
Un nouveau paysage industriel pourrait menacer Piste d’expulsion sans préavis. Lafarge et Hydro Gaz sont respectivement localisées au nord et au sud de la petite entreprise d’élevage, de revente et d’abattoir. La petite structure se retrouve encastrée entre les deux. L’une est dans la production de ciment et l’autre dans le gaz domestique. Elles disposent des équipements nécessaires pour leurs activités.
De ce fait, la précarité due au manque d’équipements et d’infrastructures interrompt le prolongement d’une zone industrielle. Pourtant, la municipalité de Moroni loue l’espace aux éleveurs revendeurs et abatteurs. Nous présumons que l’ensemble de ces entreprises toutes catégories confondues bénéficient d’une autorisation spéciale de l’autorité centrale. Elle est la seule à autoriser une exploitation du littoral selon la loi sur code de l’urbanisme et de l’habitat. L’article 83 de cette loi souligne que « La construction sur des terrains exposés à un risque naturel tel que : inondation, érosion, affaissement, éboulement peut, si elle est autorisée, être subordonnée à des conditions spéciales ». La localisation de la casse, des habitations précaires et l’envahissement des entreprises ne rassurent pas une situation sous contrôle pour le bien-être environnemental du littoral.
Les services des impôts viennent réclamer aussi leurs dus auprès de la petite entreprise Piste, comme pour toute autre entreprise reconnue. Une situation insolite. « Puisque nous payons, nous devrions avoir des droits », lance Chamoussidine Assani dit Charbon, désigné pour parler au nom de tout le groupe.
« L’insécurité reste notre préoccupation »
Sans pouvoir mesurer l’insécurité foncière liée à une éventuelle expulsion aux demandes des industriels Lafarge et HydroGaz, ils revendiquent un petit équipement. « Nous demandons à la municipalité, à chaque fois qu’elle vient récupérer son argent de nous fournir un conteneur pour servir de bureau et de lieu de stockage de nos matériaux, mais aussi, temporairement pour nos sous ». En effet, ils subissent plusieurs vols de matériaux et parfois d’argent. Le lieu ne bénéficie d’aucune mesure de sécurité. Durant les heures de travail et de fermeture, toute personne voulant s’aventurer sur le site le fait facilement. « Alors qu’ici, nous avons nos biens et aucune protection ne nous est garantie ». Dans le préambule de la Constitution de l’Union des Comores, il est bien affirmé que celle-ci garantit « la liberté d’entreprise, ainsi que la sécurité des capitaux et des investissements ».
Une livraison de marchandises a été effectuée durant la matinée du 8 septembre dernier. La petite embarcation d’environ deux mètres transportait quatre bœufs, six chèvres et cinq personnes. Une traversée dangereuse sous le silence de la garde côte comorienne qui les interpelle souvent en pleine mer pour demander les justificatifs des actes de vente de la marchandise à bord.
Nous assistons dans cette triste réalité à une véritable ressource en termes économiques alors que nous ignorons si elle est considérée par les autorités publiques comme relevant du « formel », mais sous de conditions précaires ou de « l’informel », mais profitable. Tout un circuit économique s’établit à partir de la petite entreprise. Il y a en amont de la chaîne, les paysans éleveurs fournissant le bétail aux revendeurs.
Les consommateurs de la capitale et ailleurs venus dans les différentes localités de Ngazidja y sont aussi identifiés dans l’activité. Piste est connue aussi à travers trois grands rendez-vous annuels. Lors des fêtes musulmanes de l’Aïd et d’autres occasions pendant lesquelles les Comoriens s’adonnent à la consommation de viande fraîche, la petite entreprise se transforme en une grande foire.