Visage des Comores est le premier film dont le sujet principal est l’archipel des Comores. Réalisé par le cinéaste français Jacques Stevens en 1965, il dure 24 minutes et y présente les quatre îles. Par Nawal Msaïdié
En 2021, le film documentaire Carton Rouge, réalisé par Mohamed Saïd Ouma, cinéaste comorien, est diffusé sur la chaîne internationale TV 5 monde puis sur Canal +.
Entre les deux films, le cinéma et l’audiovisuel évoluent, mais lentement. Pourtant la construction dans les années 1960 des premières et uniques salles de cinéma de l’archipel (Al-Camar à Moroni et Al-Qitoir) avait pour objectif de rendre accessibles au public comorien des films réalisés dans le monde entier. Ces salles mythiques ne sont plus que des ombres d’un passé révolu, mais un cinéma comorien porteur d’un message, un cinéma qui a sa propre identité est en train d’émerger.
Regards croisés…
Un divertissement venant de l’étranger
L’un des derniers films qui a été diffusé à Al Camar à Moroni est le film documentaire Le dernier boutre des Comores réalisé par Abderemane Saïd Mohamed Wadjih dans le cadre du premier CIFF (Comoros International Festival Film) en 2012.
En fait, l’établissement est officiellement fermé depuis les années 1980 et ne propose des projections que de façon exceptionnelle. La salle a été reprise par Studio 1, studio d’enregistrement et de production musicale, pendant quelques années, mais fait face, aujourd’hui à des problèmes structurels (le bâtiment doit subir des travaux importants de rénovation) et juridiques (la société Ciné Comores n’existe plus) selon Abdallah Chihabiddine, opérateur culturel et ancien patron de Studio 1. Al Camar était l’un des symboles de la grande époque économique et sociale qu’ont connu les Comores dans les années 1970 et 1980.
« Avant la construction d’Al-Camar, il y avait le cinéma ambulant. C’est-à-dire des draps placés au milieu des bangwe dans les villages où on projetait les films. Par la suite, l’alliance française proposait des projections de films français comme ceux avec Jean Gabin ou Eddie Constatine. La première vraie salle de cinéma a été installée au Collège (actuel Lycée Saïd Mohamed Cheikh). Je me souviens encore j’avais 4 ou 5 ans, mon frère Abou m’avait ramené voir le film en secret, je me souviens encore de la peur que j’ai ressentie et du cri que j’ai poussé quand j’ai vu l’énorme lion de l’écran se diriger vers moi. Les films diffusés au collège étaient surtout des films français ou encore des films italiens, les westerns spaghettis. Al-Camar était un établissement prestigieux pour l’époque. Comme en France, il y avait la possibilité d’avoir des places de différentes catégories : ceux qui pouvaient s’asseoir en seconde classe, en première classe ou encore le balcon qui était réservé aux plus fortunés. À l’entracte, on pouvait manger des glaces ou autres friandises comme dans les salles en métropole. Les films projetés à l’Al-Camar étaient des films étrangers ».
Il s’agit donc d’une période de sensibilisation, d’éducation à l’art visuel. À l’époque, le cinéma était d’abord un divertissement, mais n’était pas envisagé comme un ensemble de métiers qui pouvaient jouer un rôle dans le développement du secteur culturel du pays. Dans les foyers aussi, lors de l’arrivée des premières télévisions au milieu des années 1990, ce sont des films étrangers qui sont visionnés. Quelle famille comorienne n’a pas vu le film hindi Disco Dancer ?
2012, la naissance du CIFF et l’émergence de métiers
« J’ai toujours été passionné par l’audiovisuel et plus tard je me rappelle quand je disais que je faisais du cinéma comme études les gens trouvaient cela étrange. À l’époque, pour le Comorien être réalisateur ou technicien en audiovisuel cela ne demandait pas des études. Et c’était encore plus étrange pour ne pas dire illusoire de faire des études de cinéma dans un pays où il n’y a pas de cinéma, d’infrastructures cinématographiques », se rappelle Saïd Ali Saïd Mohamed qui est réalisateur. Dans sa filmographie, on peut citer l’Autre Rwanda qui « parle du dernier bidonville de la ville du Port à la Réunion où il y a une grosse communauté comorienne originaire des 4 îles » ou encore Le bonheur est ailleurs qui se focalise sur la philosophie des Comoriens vivant en France, mais qui se sentent constamment en exil, qui consacrent leur temps, leurs vies et leur argent pour des projets aux Comores, mais qui malheureusement n’y retourneront qu’à un âge très avancé ou dans un cercueil. L’art de Saïd Ali Saïd Mohamed s’inscrit dans un mouvement initié par beaucoup de réalisateurs comoriens comme Hachimiya Ahamada, Mohamed Saïd Ouma, Saïd Hassane Ezidine qui faisaient des films sur les Comores avec une vision de personnes issues de la diaspora.
Le jeune réalisateur a fait ses études à l’Institut de l’Image de l’océan Indien à l’île de La Réunion. Il y a décroché un master audiovisuel, option réalisation. Ensuite, il a obtenu un Master en Information-Communication à Aix-Marseille II. En 2011, à son retour au pays, il est engagé en tant que chargé de communication du CIFF
« La création de l’association CIFF avait pour objectif de promouvoir le cinéma comorien et de faire émerger des infrastructures cinématographiques aux Comores : en premier lieu grâce à un festival international qui est une biennale, mais également un centre de formation et une salle de cinéma ». La première édition du CIFF a lieu en 2012 et en janvier 2013 Saïd Ali et Yakina Djelane, alors secrétaire générale de l’association, reçoivent le prix de la personnalité de l’année 2012 par le journal Altwatwan pour leur action de valorisation du cinéma des Comores. Entre les festivals le CIFF avait aussi mis en place des projections via un cinéma ambulant.
Aujourd’hui, les activités du CIFF sont suspendues avant tout pour des raisons financières : manque d’appui de l’État et problème de financement par les investisseurs de la région Océan Indien. Cependant l’association a permis au cinéma des Comores de s’ouvrir, d’explorer de nouveaux genres et aussi de s’exporter.
Un cinéma d’un nouveau genre
En 2015, Zainou El Abidine Mohamed présente L’histoire d’Amadou, une animation en 2 D. La même année, Mahmoud Ibrahim présente Escale à Pajol qui raconte l’histoire d’un jeune réfugié syrien arrivé à Paris. Ce film documentaire sera cité et primé dans plusieurs festivals de films internationaux.
Aujourd’hui, à l’instar de leurs confrères du monde entier, les jeunes réalisateurs comoriens ont eux aussi des moyens matériels plus perfectionnés pour leurs projets qui ont l’air parfois de s’inspirer des blockbusters américains.
On peut citer le succès de Code 1 et 2, des courts-métrages qui racontent l’histoire d’un jeune homme victime de malfaiteurs qui décide de venger la mort de sa femme et de sa sœur. Des scénarios qui nous rappellent ceux de Creed ou de Taken. Le réalisateur Ali Willam le dit lui-même « mon engagement pour le film comorien est tout simplement de faire des films aux Comores tout en s’inspirant du cinéma américain, le cinéma d’action et le cinéma de genre dramatique. La réalisation se base sur la technique et sur le jeu d’acting de nos acteurs pour qu’on ait des films professionnels. »
Les projections du court métrage se font à guichet fermé à l’Al-Camar.
Il serait peut-être temps que le cinéma soit admis comme une discipline artistique à part entière pouvant bénéficier d’aides et d’appuis financiers qui permettraient l’émergence d’un secteur économique qui a de l’avenir.