La situation aux Comores montre que le pays a du mal à sortir de la crise économique consécutive à la crise sanitaire mondiale. Par MiB
Dans les réseaux sociaux ces derniers jours, les internautes comoriens ne parlent que des pénuries, et notamment de la pénurie d’aliments essentiels comme la viande. Les produits locaux devenus rares voient leurs prix grimper à des sommets jamais atteints.
Les observateurs de la vie économique ou politique aux Comores, comme les simples citoyens notent que la situation est critique même du point de vue de la nourriture. De nombreux internautes se plaignent du manque de « mabawas », les ailes de poulets très appréciés dans l’archipel ou encore de viande rouge habituellement importée des pays d’Amérique du Sud. Du coup, le poisson, produit local, se vend à 10 000FC (soit 20€) à Moroni le kg, au lieu des 2000FC (4€) habituels comme le note la journaliste d’Alwatwan Faïza Soulé Youssouf. Le pays a été ravitaillé il y a quelques jours en ailes de poulet, mais la situation générale reste problématique.
Une crise mondiale
Certes, il s’agit d’une crise conjoncturelle, essentiellement due à la situation mondiale consécutive à la crise sanitaire qui frappe tous les pays du monde depuis deux ans.
Avant l’arrivée des mabawa, aucun bateau-conteneur n’était entré dans le port de Moroni depuis un mois. Le prochain est prévu pour le début du mois de juillet.
Fahmy Thabit, entrepreneur et ancien Président de l’Union des Chambres de commerce, d’Industrie et d’Agriculture rappelle cette situation internationale dans un post du 21 juin sur son mur Facebook : « La relance mondiale après les fermetures des frontières dues à la pandémie de la covid, génère un dysfonctionnement sans précédent de la logistique du commerce international ». Il rapporte notamment que les transporteurs justifient des hausses de tarifs par le fait qu’ils doivent récupérer les conteneurs éparpillés un peu partout.
Mais, il est difficile de trouver des pays, notamment chez nos voisins immédiats, où il y a pénurie de nourriture à cause de la crise des transports au niveau mondial.
La rareté des bateaux conteneurs est aussi prévue à Mayotte, l’île sous administration française. Le trafic va être diminué de moitié expliquait Le Journal de Mayotte le 22 juin dernier. Pourtant, pour le moment, l’île ne connait pas de pénurie alors que la consommation est beaucoup plus importante qu’à la Grande-Comore.
Une crise structurelle
En réalité, la crise conjoncturelle révèle les problèmes structurels aux Comores, des problèmes qui, en cinq ans de présidence Azali, n’ont pas connu un début de commencement de règlement, alors que lors de la présidentielle de 2016, les autorités actuelles promettaient l’émergence avant 2029. Un rêve dont certains faisaient semblant de croire, mais qui s’envole définitivement de la tête du citoyen comorien.
CMA-CGM qui touche le port de Longoni (Mayotte) y dépose également les conteneurs à destination de Moroni. Ceux-ci sont ensuite transportés au port de Mutsamudu (seul véritable port du pays alors que l’essentiel de l’activité économique est à Moroni), avant d’arriver sur de plus petits bateaux vers Moroni. La compagnie a décidé de réduire encore plus ses rotations vers Moroni dans la mesure où la Société comorienne des Ports (SCP) a augmenté les coûts de stationnement des bateaux au large alors que les débarquements y sont très fastidieux et longs. L’autre grande compagnie MAERSK fait de même.
Cela n’est pas dû à la conjoncture mondiale, mais bien à l’absence d’un vrai port à Moroni ou à une décentralisation des activités économiques en faveur d’Anjouan. À cela s’ajoute cette volonté de l’État d’augmenter tous les frais et taxes en pleine crise, alors que dans les autres pays, on commence d’abord par permettre aux entreprises de se relever.
Une hausse des taxes et des frais
Le problème reste que comme le disait Fahmy Thabit le pays importe près de 80% de ses besoins. Le gouvernement n’y change rien depuis des années, car cela rapporte beaucoup d’argent au niveau de la douane.
Mais, comment amorcer un développement économique quand on ne produit presque rien et que même pour manger on dépend de l’extérieur ?
La crise pointant son nez, le ministre des Finances n’a rien trouvé de mieux que d’augmenter les frais de dédouanement de plusieurs produits. Cela, ajouté à l’augmentation des frais des agences transitaires, a pu convaincre plusieurs opérateurs de reporter les commandes ou de ne pas commander du tout.
Les agences transitaires, elles doivent supporter à la fois les hausses des tarifs que le gouvernement fait supporter aux grandes compagnies maritimes et le coût du scanner acheté par la douane.
De plus, alors que la crise économique s’amplifiait, le ministre des Transports, Djaé Hamada passe son temps à faire de la politique politicienne pour plaire au chef de l’État, mais, lui qui est plus que concerné par cette crise n’a encore proposé aucune solution pour l’atténuer, même sur le plan local. Pourtant, la pénurie de nourriture ne touche réellement que l’île de la Grande-Comore et il est possible d’organiser la circulation de produits locaux notamment une partie de la viande de bœuf et surtout le poisson.
Une crise politique
La crise économique risque de durer, car elle se double d’une crise politique qui a commencé par les fraudes aux élections de 2018 et 2019 qui ont permis à Azali Assoumani de s’emparer du pouvoir pendant un temps encore indéterminé. Ce flou et l’incertitude qui règne dans la situation politique actuelle engendrent une déstabilisation qui dure avec les emprisonnements des opposants politiques et une société qui ne sait pas vraiment où elle va.
Presque toute l’attention du gouvernement est figée sur la sécurité et la communication qui vise l’autopromotion.
Le symbole de cette déstabilisation reste le divorce entre le gouvernement Azali et la diaspora comorienne. Celle-ci manifeste chaque dimanche dans les grandes villes de France depuis les fraudes aux présidentielles de mars 2019 qui ont permis à Azali Assoumani de pouvoir se maintenir au pouvoir en différant la tournante qui devait permettre l’élection d’un ressortissant de l’île d’Anjouan en mai 2021.
Or, on ne le dira jamais assez, la diaspora demeure le poumon de l’économie comorienne en introduisant énormément de devises à travers les mariages et particulièrement le anda de la Grande-Comore ou d’autres activités directement liées à ces mariages : la construction de maisons, le commerce de l’alimentation… Tout cela a été réduit par la crise sanitaire, mais aussi par un certain découragement au vu de la situation politique, sans oublier les insultes adressées à la diaspora par plusieurs responsables politiques en place, à commencer par le chef de l’État lui-même.
La reprise est amorcée partout en Afrique, sauf aux Comores
Tout cela nous amène à penser que la crise risque de durer plus longtemps aux Comores. Et c’est sans doute cela que perçoit Nathalie Delapalme, la présidente de la Fondation Mo Ibrahim qui dans une interview à RFI le 16 juin dernier affirmait qu’en Afrique « on a déjà une reprise économique. À partir de 2021, à peu près dans tous les pays du continent, sauf peut-être les Comores, mais elle est moins importante qu’ailleurs ». La Fondation Mo Ibrahim vient de publier un rapport sur la crise économique consécutive à la covid-19 en Afrique et si elle se montre pessimiste envers un seul pays du continent, c’est qu’elle a vu les blocages présents dans ce pays.
Il faut avoir une sacrée dose d’humour ou d’inconscience pour continuer à dire que tout va bien, que la situation est sous contrôle ou que les Comores seront parmi les pays émergents d’ici huit ans. Discours souvent tenu par ceux qui profitent pleinement de la situation actuelle aux Comores, ceux qui non seulement ne connaissent pas la crise, mais profitent des liens qu’ils ont avec les hommes au pouvoir pour s’enrichir ou se constituer un patrimoine à l’intérieur et à l’extérieur du pays.
Si les personnes les plus sérieuses n’ont jamais cru que dans le contexte actuel les Comores puissent parvenir à l’émergence en 2029, il est possible maintenant de craindre un recul réel de l’économie comorienne, incapable même de nourrir ses habitants.