Plan Comores Émergent, dialogue politique, dialogue public-privé, liberté d’expression, question de Mayotte, alors que tout le système semble grippé dans l’archipel des Comores à l’issue du mandat de cinq ans du président Azali Assouamani, Houmed Msaidie, le ministre en charge de l’économie affiche un optimisme sans bornes. Que ce soit sur le plan économique ou politique le porte-parole du gouvernement semble convaincu que tout finira par rentrer dans l’ordre. Entretien
Propos recueillis par Faissoili Abdou
Masiwa – M. le ministre, cinq ans après le retour du président Azali Assoumani à Beit-Salam, où en sont aujourd’hui les indicateurs économiques du pays par rapport à 2016?
Houmed Msaïdié – Avant l’irruption de la Covid-19 dans le monde en général et dans notre pays en particulier, nous avions une dynamique de croissance de l’ordre de 4%. Laquelle dynamique nous a permis d’apprêter le plan Comores émergent avec comme objectif d’atteindre 8% de croissance en 2030. Il faut noter que même lors du passage du cyclone Kenneth et de ses conséquences, nous n’avions pas revu en baisse notre ambition en ce sens, que nous étions à 3% de croissance. Hélas, aujourd’hui, avec les effets dévastateurs de la pandémie, nos ambitions ont baissé. Nous sommes à -0,40% de croissance et donc nous sommes entrés en récession dans la mesure où, notre économie est dominée par le secteur des services, lequel est fortement impacté négativement par la Covid-19. Néanmoins, nous constatons une timide reprise portée par le secteur agricole et le soutien de plusieurs organismes multilatéraux à l’image de la Banque mondiale, du FMI et de la Bad.
Masiwa – Que répondez-vous aux citoyens comoriens qui se plaignent de la cherté de la vie ?
HM – Une flambée des prix aurait été justifiée puisque l’une des conséquences directes de la pandémie n’est autre que la fermeture des frontières. Fort heureusement, en ce qui concerne les produits importés, nos stocks étaient suffisants. En effet, les diverses commandes des opérateurs sont arrivées presque au même moment que l’ouverture de nos frontières. À ce timing parfait, il convient d’ajouter une production agricole assez importante sur l’ensemble des îles. Toutefois, nous ne pouvons que constater une hausse des prix pour certains produits, mais de façon globale, les prix sont restés constants pour les produits de grande consommation. Aujourd’hui, effectivement, il n’est pas anormal de parler de cherté de la vie parce que les secteurs fortement touchés ont dû soit fermer, soit suspendre du personnel que ce soit dans les établissements publics comme privés. Certaines sociétés ont même dû licencier. Ce qui reste malheureusement le lot de tous les pays du monde. Ceci étant, les choses commencent à reprendre leur cours normal.
Masiwa – Où se situe le dialogue public- privé qui semble avoir du mal à se maintenir depuis le début du mandat du président Azali ?
HM – Le président Azali Assoumani a signé le décret No 20-103/PR portant création et mise en place d’une plateforme pour le dialogue public-privé le 12 août 2020 à Mutsamudu. Nous avons signé des accords, mais eux comme nous, nous avons subi les méfaits de la crise. Avec les élections des chambres consulaires, nous allons le reprendre, le cadré et le rendre régulier.
On a deux instruments pour intensifier le dialogue, les chambres et l’Anpi qui vont amplifier et animer ce dialogue.
Masiwa – Le groupe français Duval pour la banque de développement et le groupe Armada pour la reconstruction du Galawa, ont fait marche arrière. Comment expliquer cela ? Est-ce à dire que notre pays n’offre pas assez de garanties pour les investisseurs étrangers ?
HM – Cette question n’est pas si difficile à comprendre. Il y a eu une profonde mésentente entre le groupe Duval et le gouvernement sur fond d’engagements non respectés. D’ailleurs, le directeur général de la banque, qui fut installé par Duval a tout simplement démissionné après avoir constaté les manquements quant au respect des engagements initiaux que le groupe avait pris.
S’agissant du cas du groupe Armada, voici une société qui s’est engagée à construire l’hôtel Galawa et qui, trois ans durant, n’a même pas pu construire son siège dans l’enceinte de Galawa. Le gouvernement a pris ses responsabilités et a demandé au groupe de plier bagage. À l’heure actuelle, le projet avance et des actes concrets seront posés incessamment.
Masiwa – Comment comptez-vous relancer le plan Comores Emergent qui a pris un retard à l’allumage avec la Covid19 ?
HM – C’est vrai les fermetures des frontières y compris ici n’étaient pas favorables à la concrétisation des engagements pris par nos partenaires lors de la conférence de Paris. Néanmoins, nous sommes en contacts réguliers avec une grande partie d’entre eux. Dès lors qu’il y aura une ouverture ne serait-ce que partielle des frontières, nous aurons des manifestations concrètes. En fin de ce mois et au mois de juin, plusieurs délégations viendront pour commencer la matérialisation des différents engagements qu’ils ont pris.
Masiwa – Sur le plan politique, le pays parait plus que jamais divisé avec la rupture du dialogue entre le pouvoir et l’opposition. Allons-nous continuer sur cette pente glissante ?
HM – Dans la révision constitutionnelle de 2018, le président de la République, a introduit la notion de chef de l’opposition qui est pris en charge par l’État. Pour un démocrate, je ne vois pas comment il pourrait y avoir une plus grande ouverture. La porte du président reste ouverte et pour le confirmer, pas plus tard qu’en décembre dernier, il a appelé au dialogue avec l’opposition pour revenir sur ce qui nous oppose. L’opposition estime que les dernières élections n’étaient pas régulières par conséquent, il serait préférable de s’asseoir, réfléchir et dégager des pistes sur les échéances électorales de 2024 et ainsi rassurer chaque partie. Cette offre est toujours valable. Toutefois, nous déplorons que certains opposants développent une attitude de violence et de terreur. Nous les invitons à venir dès à présent, ceux d’ici comme ceux qui se trouvent dans la diaspora, et commencer à séduire les Comoriens et peaufiner leurs plans pour 2024, parce que je me dois de rappeler que pour obtenir les résultats attendus, il convient d’investir le terrain.
Masiwa – L’espace d’expression s’est réduit comme peau de chagrin que ça soit l’opposition, la presse ou la société civile, il semble très difficile de pouvoir s’exprimer librement dans ce pays. Comment expliquez-vous cette ambiance délétère ?
HM – Le débat sur la liberté de la presse revient régulièrement, mais en ce qui me concerne, tous les matins, je lis les quotidiens La Gazette et Alfajr et je n’ai pas l’impression de lire des médias pro pouvoir ni limités dans leur expression. Aujourd’hui, les blogs à l’image de Fbckfm et Comores infos prolifèrent et l’on ne peut pas dire qu’ils vont de main morte avec le gouvernement. Des radios à l’image de Radio Kaz ou de Grtv sont également reconnues comme étant en constante croisade contre le régime sans qu’il y ait le sentiment d’une quelconque censure. Encore une fois, je n’ai pas l’impression que la presse est bâillonnée. Il y a des journalistes et des pseudos journalistes qui ont parfois maille à partir avec la justice, mais ce n’est pas le propre des Comores.
Masiwa – Il y a quelques années vous étiez de ceux qui ont lutté avec vigueur pour la tournante de 2010 à Mwali, cela même après le référendum de 2009, et en 2016 pour celle de Ngazidja. Curieusement aujourd’hui, vous êtes du côté de ceux qui ne reconnaissent pas le tour d’Anjouan en 2021. Pourquoi ce changement ?
HM – La tournante n’a pas été remise en cause. Elle est programmée à Anjouan en 2029 et à Moheli en 2039. La chance a été donnée à celle ou celui qui sera élu, de pouvoir se représenter pour être comptable de son projet, de son programme et de son mandat. C’est simplement une notion de deux mandats. Azali Assoumani assure le mandat de la Grande-comore et peut se représenter en 2024. Au lieu d’user d’explosifs, il serait mieux pour ceux et celles qui veulent être candidats en 2029, de s’investir dès maintenant sur le terrain.
Masiwa – Où en sommes-nous du dialogue entre la France et les Comores par rapport à l’épineuse question de Mayotte ?
HM – C’est effectivement une question épineuse. Malheureusement, certains d’entre nous, là-bas comme ici, ne comprennent pas que le dialogue est une obligation. Comme on le voit, la discorde née bien avant l’indépendance continue son chemin. Et l’intelligence veut que 45 ans après, on prenne un autre chemin qui est celui du dialogue, celui de l’apaisement, celui de la réconciliation des cœurs et enfin celui des intérêts bien compris de chaque partie. Le président Azali Assoumani privilégie ce chemin-là et me semble-t-il le gouvernement français également. Il reste maintenant à convaincre certains de nos frères et sœurs de Mayotte qu’il n’y a pas une troisième voie.