Il est souvent difficile de saisir la dimension d’un homme de Lettres du fait que la littérature elle-même ne se laisse pas facilement définir. Salim Hatubou fait partie de ces hommes de lettres dont le travail ne laisse pas indifférent. L’immensité du talent ne saurait être abordée dans toute sa largesse sans y porter atteinte. A sa mémoire surtout. Par Nourdine Mbaé
L’oralité.
Son entrée véritable en littérature se fait par Les contes de ma grand-mère (L’Harmattan, 1994), par le biais de sa grand-mère. Composé de 20 contes, le premier d’entre eux, intitulé le « Désir du Roi », est précédé de la parole du conteur. Le dernier conte, « Le Sultan en exil », est suivi de l’Épilogue. La parole du conteur permet de s’imprégner du caractère folklorique sur un certain nombre d’idées reçues. C’est ainsi que le conteur énonce pèle-mêle : « on n’attache pas un bœuf à la même place que celui qui est mort », « n’oubliez pas qu’on bat un vieillard sur le terrain de course et jamais sur celui de la sagesse ».
On comprend dès le début que la conteuse-narratrice s’affirme et affirme son savoir, parfois d’une manière péremptoire : « Je le dis par ce que je le sais » ou encore : « Si votre fils vous conseille, ne fermez pas la porte de vos oreilles, car le petit peut accoucher d’un grand ».
« Les pilons cessèrent leur cadence, les bébés se turent, les chants d’oiseaux s’étouffèrent, les bergers rentrèrent leurs animaux au pâturage, des nuages épais se dessinaient à l’horizon … La nuit tropicale habilla les îles Comores ». C’est à ce moment précis de la journée que le conte peut débuter et prendre son sens. Aux Comores, suivant les traces de Salim Hatubou, la femme occupe une place de choix. C’est une femme, une grand-mère qui conte pour les enfants et petits-enfants de la concession. Dès lors, le conte prend le rôle d’une comptine pour apaiser, instruire et accompagner les enfants vers le sommeil. Il est ainsi envahi par une diversité de personnages animaliers, humains, voire inanimés.
Ibunaswiya revisité
Le personnage le plus dominant du conte des Comores s’appelle Ibunaswiya, que Hatubou Salim a repris dans une version modernisée « Bounassia ». C’est donc un personnage plutôt sage que l’imaginaire comorien présenterait comme un jeune homme chétif, mais à l’esprit vif, malin. Le personnage apparaît dès le conte intitulé « Le désir du roi, un sage qui résolvait toutes les énigmes » . Un ouvrier qui était commissionné par ce roi craignait pour sa vie, s’il n’arrivait pas à apporter une réponse adéquate au roi sanguinaire. Il s’est alors rendu chez Bounassia pour chercher secours, tout en pleurs. Bounassia procède ainsi : « Ô, Frère, dit le sage, essuie tes larmes et soulage ton cœur ! À l’aide de Dieu, le miséricordieux, nous trouverons la solution de ton chagrin ». Dans le désarroi, le pauvre ouvrier du roi poursuit : « Mon tour est arrivé », il s’agit de sa mort. Mais Bounassia interroge, toujours calme : « Lorsque le roi te confiait la mission, où avait-il fixé le regard ? » L’interlocuteur a révélé qu’il « regardait le plafond » pour se voir proposer une solution devant le sauver. « Va donc lui chercher un maçon ! Son plafond commence à se fissurer ». Un ordre qui sauvera l’ouvrier jusqu’à le propulser roi à la place du roi.
Cependant, de ce monde imaginaire dominé par Bounassia, Salim Hatubpu peut aussi faire dans l’histoire et critiquer la colonisation. Et quand, il le fait, il attend la conclusion comme un désir d’un assaut final. Dans Les contes de ma grand-mère, le dernier conte s’intitule « Le sultan en exil ». Le conteur prévient son auditoire : « Je vais vous parler des sultans des Comores ». On y apprend que trois sultans dominaient l’île de Ngazidja. L’un au sud de l’île, Sultan Hachim, l’un au centre, Sultan Said Ali, et l’autre au nord, « l’indomptable Msafoumou ». Dans des guerres infinies où chacun cherchait à prendre un lopin de terre chez l’autre, un jour Said Ali a senti qu’il perdait la bataille et fit une demande de soutien à son cousin Sultan de Ndzuwani qui fit appel à une « armée redoutée : Les blancs ». Un combat qui devint alors plus meurtrier et dans lequel Msafoumou perdit, malgré sa force. « Que pourrait faire la flèche devant le canon et le fusil ?» Interrogation rhétorique du conteur qui laisse entrevoir comment la colonisation a pu entrer dans l’archipel. L’appétit et la faiblesse d’un sultan ont permis aux colonisateurs de trouver la brèche pour entrer. Le conte poursuit « Pour récompenser cette armée d’élite, Said Ali fit siéger les blancs dans l’île ». Ainsi, ce facilitateur de l’entrée des blancs gardera une réputation de traître, tandis que Msafoumou est perçu comme un héros, en dépit de sa défaite.
Après ce premier recueil, Salim Hatubou a publié Contes et légendes des Comores (2004), Sur le chemin de Milépvani, je m’en allais (2005). L’ambition se détecte et se délecte entre les lignes, parcourir « le chemin », pour réunir les « contes et légendes des Comores » avec panache et respect de ses aïeux. C’est ainsi qu’il devint conteur sur scènes, assumant la genèse et la puissance de l’oralité par des spectacles de conte, passant de la France à l’Algérie, du Maroc à la Guinée, du Japon à Mayotte pour restituer et rendre saisissable son patrimoine culturel.
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