Nous reprenons ici, avec l’autorisation du fondateur de la page facebook “Café Géo des Comores” une interview très intéressante du géographe Kamardine Sinane.
Docteur en géographie, Kamardine Sinane est spécialiste du littoral et de sa gestion. Il a accepté d’ouvrir notre série d’interviews consacrées à la géographie aux Comores.
Café Géo des Comores : L’environnement c’est quoi ? Est-ce un nouveau vocabulaire, qui suit l’évolution de la planète ? Ses sensibilités sont-elles nouvelles et concernent-elles les îles Comores ?
Kamardine Sinane : Le terme environnement est une abréviation de « l’environnement des sociétés ». Il a été choisi par les géographes afin de placer l’Homme au centre et la nature dans sa périphérie. Il signifie donc les relations entre l’Homme et son milieu naturel. Aux Comores, on utilise le mot ulanga pour parler de l’environnement.
L’étude et l’analyse de ces relations sont donc très importantes dans des îles comme les Comores où l’empreinte de l’Homme sur la nature s’observe un peu partout, que ce soit sur les milieux forestier ou littoral. Les Comoriens sont donc dans l’obligation d’avoir des relations durables et apaisées avec ces milieux. Car ils constituent leur richesse la plus précieuse en termes d’accès à l’eau et à la nourriture.
CGC: Est-il vrai qu’aux Comores, sommes-nous confrontés à un paradoxe selon lequel notre civilisation agraire est concomitante de l’état déplorable de notre environnement ?
Kamardine Sinane : Je ne crois pas que le Comorien soit naturellement un destructeur de son environnement. Son action sur son milieu naturel est le résultat de plusieurs évènements : historiques, climatiques, économiques et politiques. Par exemple, la dégradation de la forêt est la conséquence du problème foncier, caractérisé par la dépossession des terres de la masse paysanne.
Tout comme la ruée vers le littoral pour extraire des agrégats s’est ancrée après le cyclone de 1950, quand la population cherchait à avoir un habitat sécurisant, différent de l’habitat en végétal, pour se protéger contre ce phénomène climatique. Cette dégradation du littoral s’est encore accentuée au niveau de l’île d’Anjouan avec la taxe sur le sable imposée vers 1997. Taxe imposée aussi récemment à Mohéli par décision politique dans certaines communes. Il ne faut donc pas occulter ces évènements pour comprendre les relations Homme-nature aux Comores.
CGC: C’est quoi le littoral ? Et pourquoi devons-nous le protéger ?
Kamardine Sinane : Le littoral est l’interface entre la terre et la mer. Pour simplifier, c’est la partie de la terre qui est influencée par les forçages de la mer et la partie de la mer qui est influencée par les actions venant de la terre. Aux Comores, l’écosystème littoral comprend à la fois le récif corallien, la plage, la végétation littorale stratifiée et la mangrove à certains endroits.
Mais on ne peut se limiter seulement à une délimitation physique du littoral. Car l’Homme est un acteur important dans la dynamique littorale et fait donc partie intégrante du littoral par ses perceptions, ses activités et sa politique de gestion. Le littoral est donc à la fois un interface terre-mer, nature et société, perceptions, pratique, et politique. C’est donc cette définition qui correspond mieux aux petites îles très peuplées comme les Comores.
CGC : Quels sont les acteurs à sensibiliser pour cette protection ?
Kamardine Sinane : Il y a les acteurs qu’on observe directement sur le littoral comme les pêcheurs, les ramasseurs de sable ou le pollueur lambda dont les activités peuvent altérer le littoral. Mais il y a aussi les acteurs secondaires, comme les propriétaires de terrains contigus au littoral, les maires et les gestionnaires ou les ingénieurs dont leurs décisions et politiques peuvent fragiliser aussi cet espace.
Autrement dit, l’extraction du sable peut fragiliser le littoral en favorisant l’érosion tout comme l’aménagement d’une maison ou d’une route tout près du trait de côte. La construction d’un mur par un ingénieur peut aussi aggraver le phénomène érosif alors qu’elle était censée le stopper. C’est donc tout le monde qui doit être sensibilisé pour comprendre comment le littoral fonctionne pour limiter les impacts de leurs activités et interventions sur cet espace.
CGC : En cas de dégradation majeure du littoral, quels seront les impacts ? Seront-ils environnementaux seulement ou aussi socioéconomiques ?
Kamardine Sinane : Les différents écosystèmes du littoral rendent plusieurs services à la société des humains qu’on appelle communément services écosystémiques. Aux Comores, si on prend par exemple le cas du récif corallien, il est à la fois une barrière naturelle contre l’action de la houle mais il est aussi un milieu où plusieurs ressources halieutiques y vivent. Il en est de même pour la mangrove.
Quant à la plage, outre son rôle protecteur, elle est à la fois un lieu d’amarrage des pirogues et vedettes pour les pêcheurs, mais aussi un espace de jeu pour plusieurs jeunes des localités côtières. S’il y a dégradation de l’un de ces écosystèmes côtiers, des conflits naissent entre les différents usagers du littoral. Par exemple à Chiroroni, dans le Sud d’Anjouan, en 2009 il y a eu un conflit entre les pêcheurs et les extracteurs de sable.
Une partie de la population dont des extracteurs de sable exigeaient l’arrêt de l’utilisation des filets à petites mailles sur le récif corallien qui raclaient les petits poissons. Et les pêcheurs réclamaient l’arrêt de l’extraction du sable qui favorisait la dégradation de leur vedette de pêche au vu de l’apparition des dalles des beach rocks sur la plage.
Ce conflit dû à la dégradation à la fois de la plage et du récif corallien a entrainé l’ensemble de la population de la localité voisine de Sadampoini qui considérait ces écosystèmes littoraux comme une richesse commune qui faisait venir des visiteurs dans la région et apporter quelques ressources financières dans plusieurs familles. Heureusement ce conflit a été réglé à l’amiable par l’ensemble de la communauté. L’extraction du sable et l’utilisation du filet à petite maille sont des activités proscrites sur le littoral de Chiroroni.
On comprend à partir de là que les Comoriens appréhendent bien les enjeux et sont soucieux de la protection de l’environnement, et ils arrivent à construire des solutions mieux adaptées. Il faudrait donc que les gestionnaires les aident à les perpétuer car peut-être c’est à ce niveau que le problème de la protection des milieux naturels aux Comores se pose.
Propos recueillis par Salec Halidi Abderemane.