Des prestations de serment illégales
Les cinq dernières prestations de serment au barreau de Moroni continuent de faire couler de l’encre. Le barreau de Moroni continue à recevoir de nouveaux avocats selon le bon vouloir du bâtonnier, mais sans suivre les procédures prévues. Les avocats grondent, mais n’osent pas dénoncer depuis la tentative qui a abouti à la réinstallation du bâtonnier Me Ibrahim Mzimba, après intervention de la justice. Du jamais vu dans l’histoire du barreau comorien.
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Des prestations hors-la-loi
L’affaire remonte au mois de mars 2019. Pendant que le bâtonnier de l’ordre des avocats est en campagne pour les élections présidentielles, 27 avocats sur 30 présents ont élu une bâtonnière, après la démission de 4 membres du Conseil sur 9.
La prestation de serment de la fille de son directeur de campagne Me Maliza Said Soilihi quelques jours auparavant est la cause directe. Mais, en novembre 2018, le bâtonnier avait également admis comme avocat stagiaire dans son cabinet Moncef Said Ibrahim qui deviendra par la suite l’un des piliers de sa campagne, et avait autorisé la prestation de serment de Youssouf Boina, ancien secrétaire général du parti UPDC, qui s’est immédiatement aligné à ses côtés pour les présidentielles.
D’autres avocats ont été intégrés hors cadres législatifs : Mastaba Mouhidine, Ibrahim Mbapandza et Kamousse Kassim qui n’est autre que le fils de Mme Harimia Kassim, précédente bâtonnière et actuelle présidente de la section administrative de la Cour Suprême.
Trois autres juristes, originaires de Mwali, auraient été introduits dans le barreau de Moroni par le gouvernement après des prestations de serment organisées par le ministère de la Justice, et donc là aussi hors de tout cadre juridique.
Selon les avocats du barreau de Moroni, ces nouvelles « robes noires » ne remplissent pas les conditions nécessaires pour devenir avocats.
En effet, au regard des textes en vigueur aux Comores, aucun d’eux ne devrait être avocat. Aucun examen en vue d’obtenir le CAPA (Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat) n’a été organisé depuis celui de 2014, et pour cela il faut présenter un master. Aucun d’eux n’a le doctorat et trois années d’expérience. Aucun d’eux n’est un ancien magistrat (lire Masiwa n°281 du 7 septembre 2019 : « La profession d’avocat aux Comores »). Pourtant, comme par magie, ils ont été admis comme avocats. D’où la colère de la grande majorité des avocats en fonction à la Grande-Comore et leur décision de changer de bâtonnier.
Me Atticki : « d’autres paramètres ont pesé »
Pourtant, chez les partisans de Me Mzimba on maintient une certaine ambiguïté. Selon Me Attick, la décision prise par le conseil ne souffre pas d’illégalité bien qu’il accepte implicitement que certaines conditions ne sont pas réunies : ” Ce que je peux dire, ces avocats ne sont pas admis au barreau de Moroni par hasard. Ils ont beaucoup à contribuer. Pour ce qui est des trois règles avancées par certains avocats, d’autres paramètres ont pesé. En tout cas, le bureau a choisi, même si cela n’empêche les autres de contester. En réunion, nous n’avions pas tranché. On les avait invités pour prendre la décision ensemble “, explique-t-il.
Me Attick nous apprend ainsi que le Conseil est convoqué, alors qu’on sait que quatre sur neuf ont démissionné et ne participent plus aux délibérations. Et il nous explique que certes les trois règles évoquées par la loi n’ont pas été respectées, mais ils ont pris en compte d’autres paramètres, forcément en dehors de la loi.
Selon Maître Abdoulbastoi Moudjahid, la prestation de serment est un pouvoir du bureau du conseil de l’ordre. « Les textes le disent clairement. La décision revient au bureau. Il suffirait de regarder les textes. Ils savent très bien que certains n’ont pas rempli les conditions citées dans le texte qui régit le métier d’avocat ».
C’est aussi l’avis de Me Omar Zaïd qui rappelle dans l’interview accordée à Masiwa les règles pour devenir avocat aux Comores et admet que certains avocats admis ces derniers temps ne remplissent pas les conditions.
D’une tentative de contestation à un avortement de destitution
Le 21 mars 2019, une Assemblée générale a eu lieu et a destitué Maitre Ibrahim Ali Mzimba, en particulier à cause de ces décisions que les avocats en place jugent « hâtives et manifestement illégales ».
« Constatant la démission de 4/9 des membres composant du conseil de l’ordre, considérant que ces démissions successives affectent la crédibilité de l’actuel conseil de l’ordre Et rendent impossible son fonctionnement, constatant la violation de la loi sur l’organisation de la profession d’avocat article 14,16 et 37, condamnant les décisions hâtives et manifestement illégales prises ces derniers mois par le conseil de l’ordre Et ouvrant la profession à des personnes ne répondant pas aux critères imposés par la loi » affirmait leur déclaration.
Cette Assemblée avait placé Me Fatoumia comme nouvelle bâtonnière. Mais son pouvoir ne durera que quelques semaines. Après avoir fait un appel, Me Mzimba regagnera sa place par décision d’un juge.
Une réaction qui « ternit l’image du barreau » selon Me Attick : « Au lieu d’attaquer une décision, ils ont attaqué l’institution. C’est regrettable. On aurait dû régler cette affaire en interne. Ça aurait été sage. Et surtout ce n’est pas aussi bien de ternir l’image des personnes ». Ce à quoi le camp d’en face rétorque qu’il est impossible de contester, même en interne, une décision qui n’a pas été rédigée. « Une décision non écrite ne peut pas être contestée. Je doute fort que ces décisions ont été écrites. En tout cas, personne ne les a. Alors comment peut-on les contester alors qu’elles n’ont pas été écrites ? », s’interroge Abdoulbastoi Moudjahid.
Une chose est sûre, il y a anguille sous roche dans ces affaires.
Malgré une dizaine de tentatives pour joindre le bâtonnier Mzimba, nous n’avons pu avoir de réponses à nos interrogations.
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Ali Mbae