Les voeux du président du conseil de gouvernement des Comores, Dr Said Mohamed Cheikh, natif de Mitsamihuli, sont-ils en train de se réaliser plus d’un demi-siècle après avoir prôné et incité ses concitoyens de Mitsamihuli à limiter drastiquement les dépenses du anda au profit du développement ?
C’est la question qui se murmure à Mitsamihuli depuis le mois d’octobre 2019, où la grande notabilité représentant les 12 midji ya anda na mila, les cadres, les opérateurs économiques, les femmes dans toutes leurs diversités et la jeunesse ont embrassé l’audacieuse idée de consacrer 1 200 000 fc soit 2200 euros de chaque mariage au financement du projet de réhabilitation des routes secondaires de la cité balnéaire du nord de Ngazidja.
Une mini-révolution dans cette ville avant-gardiste qui entonnait il y a plus d’un demi-siècle déjà le célèbre refrain « Ye anda yahatru riunde madjumba na matomobili yaho wana hatru ».
Que de chemin parcouru depuis la première réforme initiée par le président Said Mohamed Cheikh au milieu de la décennie 60, interdisant l’abattage des bœufs, Yene, Mitsele et autres pratiques dispendieuses du grand mariage !
Aujourd’hui, les Mitsamihuliens ont accepté de mettre dans le pot commun, la coquette somme d’un million deux cent mille francs, issue des Zilewo que se partageaient « wo wandru wadzima » soit 800 000 fc, « wo wana mdji », 250 000 fc auxquels s’ajoutent les 150 000 fc des zilewo des femmes. Ils inaugurent et expérimentent ainsi une nouvelle voie : « mettre à contribution la tradition au service du développement économique et durable ».
La tradition au service du développement
Une novation majeure, car pour la seule saison 2018-2019 des Mashuhuli, plus de 30 millions de francs ont été enregistrés dans la caisse des 12 midji ya anda et remis à la nouvelle association ALQIBLA qui a la charge de gérer ces fonds au profit de la réfection des routes secondaires.
Les deux précédentes réformes datant de la fin de la décennie 90 et du début du 3ème millénaire ont été très clivantes, car très mal pensées et souvent mal appliquées et piétinées. Elles avaient profondément fracturé les quartiers et les familles et mis à mal la cohésion sociale dans cette ville.
Mitsamihuli était revenu au temps du « Amin ne Shimali » autrement dit des antagonismes opposant partisans du Katiba et Anti-katiba (NDLR : voir les articles de l’auteur publiés il y a quelques années par le quotidien Albalad).
Leurs conséquences économiques ont été très chétives. Elles n’ont aucunement permis aux familles principalement visées de réaliser les économies substantielles escomptées par les promoteurs de ces réformes ni servir à la réalisation de projets socio-économiques ou communautaires.
Ces réformes dissimulaient fort mal des batailles rangées pour le leadership de la grande notabilité à Mitsamihuli après la disparition de ses têtes d’affiche et des grandes personnalités religieuses et coutumières locales.
Elles avaient déshabillé Said pour habiller Ali rendant illisible leur bien fondé.
Avec elles, l’argent continue de couler à flots comme le chantait Hamidou Mlamali alias Tsira dans son single « Anda truru pwapwa » très populaire dont le clip tourné à Paris et à Marseille et produit par l’association RASMI, est souvent diffusé sur les ondes des radios et la télévision nationales.
Une manne financière
Il serait juste de rappeler ici à celles et ceux qui le méconnaissent et aux jeunes générations en particulier que dans la ville des « éclairés », Wastarabu, Mitsamihuli, les tonnes de riz, les bœufs, les cabris, les épices et les garde-robes des parents de la mariée sont interdits depuis belle lurette et rangés aux accessoires de l’histoire du grand mariage.
En revanche, à Mitsamihuli, tout est question d’argent. Le Anda est monnayé. Seuls les billets de banque sont partagés entre les différentes catégories du anda na Mila.
Le Djelewo, l’essence et le fondement même du anda, le kondohondo lahe yada ya Mitsamihuli qui octroie la place de Mdrumdzima à celui qui a fait le tour du célébrissime Mhandaya s’élève à 4 millions de nos francs soit 8000 euros que se partagent ye Midji ya anda na Mila.
C’est à cette manne financière, ce magot, cette pension ou lavani des wandruwadzima, wanamdji et wowazade que se sont attaqués les promoteurs de la nouvelle réforme qui ne dit pas son nom, mais qui se réalise sans ambages depuis des mois.
Tirant les enseignements des réformes avortées, les wandruwadzima dont la majeure partie d’entre eux sont aujourd’hui des cadres, techniciens, entrepreneurs très cultivés, ouverts d’esprit et sociologiquement progressistes et modernes, avec l’appui et le soutien massif des femmes également associées à cette réflexion ont abouti à la conclusion selon laquelle un large consensus est indispensable pour mettre fin aux antagonismes et querelles inutiles et stériles d’antan.
Des débats démocratiques
Des débats démocratiques ont été inaugurés au Foyer ADCS depuis septembre 2019 et relayés sur les réseaux sociaux. De cette démocratie participative au pays du poids séculaire du mila naquit l’association ALQIBLA à l’aube de la seconde décennie du XXIe siècle. C’est une innovation majeure et prometteuse pour cette ville dont l’élite dominait largement les sphères de la culture, du sport, de la politique et des administrations publiques durant les décennies 1960 et 1970 à travers la Fédération des Associations des Jeunes de Mitsamihuli (la FAJM ou la Fédération).
Mila Nantsi et développement communautaire durable pourront-ils faire bon ménage pour l’intérêt du rayonnement culturel, économique et social de la ville « éclairée », Wastaranbu de Mitsamihuli?
La réponse paraît limpide. Les premiers résultats obtenus en un laps de temps augurent d’autres réformes sociétales nécessaires. Le propre et l’essence même de cette ville ont toujours été de croire en l’intelligence collective de ses femmes et ses hommes et à la vivacité du débat démocratique qui a toujours prévalu et animé ses grandes places, MHANDADJU et MVERIDJUWU : ces hauts lieux où Ye Mdrumdzima côtoie Le Guzi ou Mnamdji et tous s’affrontent librement sur divers sujets.
La notabilité écairée
Voilà pourquoi Mitsamihuli doit croire et parier sur son avenir sans détruire les traditions. Mitsamihuli doit aller de l’avant dans la réflexion globale du grand mariage pour qu’émerge enfin ce que j’appelle « une grande notabilité éclairée » militant favorablement et inlassablement pour des réformes positives du anda afin de redonner à cette tradition multiséculaire ses lettres de noblesse et ses dimensions culturelles et solidaires mises en veilleuses ces dernières années : notamment les twarabs, djaliko, Souri, Zifafa, lelemama, Tari etc…
Les mariages “éclairs” ou Kaya la Mdro ne brûlent point dans le foyer de la mariée ont dénaturé le caractère culturel et solidaire de cette organisation coutumière et sociale.
La dynamique enclenchée mérite le soutien multiforme de toutes les générations dans cette bataille de longue haleine pour faire triompher les idées novatrices et progressistes conciliant traditions et modernité au service du développement de Mitsamihuli.
MOHAMED BAKARI
Président de l’association RASMI