Ce mercredi 18 décembre 2019, le ministre comorien des Affaires étrangères, Souef Elamine a fait le déplacement à Laayoune pour installer le Consulat général des Comores dans cette ville du Sahara occidental, annexé par le Maroc. Le consul choisi pour cette mission périlleuse n’est pas un diplomate. Le Docteur Saïd Omar Hassane est un enseignant notamment à l’Université des Comores.[ihc-hide-content ihc_mb_type=”show” ihc_mb_who=”2,3,4,5,6,9″ ihc_mb_template=”1″ ]
Il a également été Secrétaire Général au ministère de l’Éducation nationale. Il fait partie de cette élite qu’aux Comores on appelle les « Marocains », comme le chef de l’État Azali Assoumani ou le ministre lui-même. Saïd Omar a cette particularité d’avoir mouillé sa chemise lors du référendum qui a permis à Azali Assoumani de modifier la constitution et aux élections présidentielles qui lui ont permis d’être réélu dans des conditions encore contestées. Ce 18 décembre, c’est enfin sa consécration, tant d’autres ont été oubliés, lui, il reçoit la récompense tant attendue.
Une première au Sahara occidental
Les Comores sont donc le premier pays à installer une mission diplomatique d’importance dans le Sahara occidental, considéré par l’ONU comme un territoire occupé par le Maroc. Avant les Comores, la Côte d’Ivoire avait installé en juin dernier un consulat honoraire, en désignant comme consul un Sahraoui influent. Cette fois, l’événement revêt une importance capitale pour le Maroc qui enregistre un premier succès diplomatique après avoir lancé une offensive politique de ralliement des capitales africaines à sa cause. La cérémonie d’installation du consul comorien a donc été honorée par la présence de Nasser Bourita, le ministre des Affaires étrangères, de la Coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger. C’est une démonstration.
Le droit international
Si jusque-là les Comores ont toujours soutenu la position marocaine sur la question du Sahara occidental depuis le temps d’Ahmed Abdallah (sauf une fois sous le président Sambi), un pas a été franchi avec l’installation de ce consul malgré la position du droit international.
En effet, en procédant ainsi l’État comorien va à l’encontre de l’ONU (résolutions 3458) et se démarque également de l’Union africaine qui a reconnu la République arabe sahraouie démocratique (RASD) comme un de ses membres. Si l’ONU ne reconnaît pas la création du RASD, elle considère le Sahara occidental comme un territoire à décoloniser, et après référendum d’autodétermination.
Pourquoi un consulat comorien dans une ville sans Comoriens ?
Après ce coup diplomatique pour le Maroc, les réseaux sociaux comoriens se sont enflammés et il s’est trouvé peu de Comoriens pour soutenir l’installation d’un consulat général dans une ville où ne vit aucun ressortissant des Comores. Même les étudiants comoriens au Maroc qui attendent depuis longtemps la nomination d’un Ambassadeur comorien à Rabat restent perplexes. L’un d’eux qui a requis l’anonymat affirme :
« Orphelins d’une représentation diplomatique depuis toujours, les Comoriens résidant au Maroc ne peuvent que se réjouir par rapport à cette immense nouvelle. Cependant, le choix d’une ville aussi lointaine qu’est Laâyoune, froisse les étudiants sur le plan temporo-financier. Pour dire, s’y rendre pour une quelconque formalité consulaire, le Comorien doit débourser près de 1000 Dirhams soit 50.000 de nos francs. Ainsi, une contrainte majeure se définit poussant même à certains esprits à croire que Laâyoune fut choisie pour une stratégie plus politique… ».
L’étudiant a bien sûr compris que les enjeux sont ailleurs. Le consulat n’a pas été ouvert pour rendre service aux ressortissants comoriens au Maroc. Le ministre Souef Elamine, joint par Masiwa, situe la mise en place de ce consulat dans le domaine de la coopération : « L’Union des Comores a identifié des secteurs de coopération avec les régions sud du Maroc tels que le tourisme, la formation professionnelle, les énergies renouvelables, la pêche et l’agriculture d’où la nécessité d’une présence comorienne à Laâyoune. » On ne peut pas être plus clair. Ce n’est pas courant de commencer par un installer un consulat, non pas pour s’occuper de ses ressortissants, mais d’abord des affaires et de l’économie. Mais, la diplomatie comorienne innove parfois. Le ministre a tout de même annoncé qu’en janvier les Comores allaient enfin installer une Ambassade à Rabat et que le Maroc enverrait un Ambassadeur à Moroni trois mois après.
Quelle direction pour la diplomatie comorienne ?
L’instauration d’un consulat à Laayoune pose beaucoup de questions sur la direction que prend la diplomatie comorienne. Les différentes orientations qu’elle a prises ces derniers temps donnent nous autorise à nous demander si elle est encore indépendante (voir l’éditorial). La diplomatie comorienne ne semble plus défendre ses propres intérêts ni le droit international, mais d’obscurs intérêts financiers. Les Comores qui affirment vouloir aller vers l’émergence dans dix ans semblent soumises aux pays auprès desquels elles obtiennent des aides importantes et notamment l’Arabie Saoudite (qui a conduit les Comores à rompre ses relations diplomatiques avec l’Iran sous le président Ikililou et avec le Qatar sous Azali Assoumani), la Chine (pour laquelle les Comores ont signé une pétition approuvant la politique répressive contre les musulmans chinois), la France (qui a offert récemment 150 millions pour que les Comores acceptent leurs ressortissants renvoyés de Mayotte), la Russie, le Maroc…
L’acte posé par le gouvernement comorien est risqué, sauf s’il est calculé et que les Comores renoncent au droit international et à l’application des résolutions de l’ONU. En effet, toute la revendication de la diplomatie comorienne sur l’île de Mayotte repose sur une vingtaine de résolutions de l’ONU. Or sur le Sahara occidental, l’ONU a quand même voté une résolution qui place ce territoire dans les territoires à décoloniser et elle en donne même le moyen : un référendum d’autodétermination. Or le Maroc refuse que les Sahraouis se prononcent par référendum et entendent procéder par simple annexion.
L’Algérie qui vient d’élire un président de la République (contesté) qui est parmi les plus intransigeants sur la volonté d’annexion du Sahara occidental par le Maroc n’a pas tardé à réagir très durement contre les Comores. L’Algérie affirme dans un communiqué en date de jeudi 19 décembre que la décision des Comores est « d’une gravité exceptionnelle » et considère Laâyoune comme « une ville du Sahara occidental occupé ». C’est pour l’Algérie «un précédent inacceptable d’atteinte aux principes régissant le statut des territoires non-autonomes dont les peuples n’ont pas encore exercé leur droit à l’autodétermination conformément à la doctrine et à la pratique des Nations Unies et de l’Union africaine ». Le communiqué se termine par une adresse aux autorités comoriennes : « L’Algérie considère enfin, que la décision des autorités comoriennes est une atteinte grave aux principes de solidarité agissante qui doivent guider les relations entre les pays africains, s’agissant tout particulièrement de l’attachement et de la défense en toute circonstance des règles et principes figurant dans l’acte constitutif de l’Union Africaine ».
Les contre-parties financières
La décision du gouvernement comorien est si insolite qu’on ne peut pas passer sous silence les contre- parties financières qui sous-tendent l’installation de ce consulat au Sahara occidental. Lors de la conférence des partenaires au développement des Comores à Paris, il y a quelques jours, le Maroc s’était montré disponible à aider financièrement les Comores. Sous le sceau de l’anonymat, plusieurs diplomates nous font savoir que le fonctionnement de ce consulat général ne coûtera aucun sou aux Comoriens, tout est pris en charge par le Maroc, y compris le salaire du Consul. Un autre diplomate nous laisse comprendre que l’installation du consulat était aussi la condition sine qua non de l’ouverture d’une Ambassade comorienne à Rabat dès le mois prochain, avec un ambassadeur qui pourrait avoir une résidence accordée aux Comores pour dix ans.
Les autorités marocaines ont annoncé l’ouverture d’autres représentations diplomatiques de pays africains au Sahara occidental dans les jours à venir.
[/ihc-hide-content]
Mahmoud Ibrahime