Le droit de manifester, qui est un droit fondamental, fait souvent l’objet de vives tensions entre les citoyens et l’État. En effet, la régulation entre ce droit et l’ordre public engendre souvent des couacs, voire des intox pour ce qui est du régime de la manifestation. Il nous convient donc de démêler le vrai du faux sur la question surtout dans un contexte aussi trouble où connaitre ses droits n’a jamais été si important, quoique pas suffisant pour constituer un abri dans la mesure où les pouvoirs publics n’ont de cesse de faire fi du respect des textes.
[ihc-hide-content ihc_mb_type=”show” ihc_mb_who=”2,3,4,5,6,9″ ihc_mb_template=”1″ ]
Une manifestation est une réunion organisée dans l’espace public pour revendiquer une cause collective. L’article 20 de la Déclaration universelle des droits de l’homme dispose : « Toute personne a droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques ». De même que l’article 11 de la Charte africaine des Droits de l’homme et des peuples qui dispose : « Toute personne a le droit de se réunir librement avec d’autres. Ce droit s’exerce sous la seule réserve des restrictions nécessaires édictées par les lois et règlements, notamment dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté d’autrui, de la santé, de la morale ou des droits et libertés des personnes ». Ainsi, ce droit qui est intrinsèquement lié à la liberté d’expression constitue l’une des bases de l’État de droit.
Nécessite-t-il une autorisation préalable pour manifester?
En principe, non. Il n’est pas obligatoire d’obtenir une autorisation pour pouvoir manifester. Ce qui est logique, car ceux qui veulent manifester n’ont pas, en principe, l’intention d’aller applaudir le gouvernement ni louer sa bonne gouvernance. Du coup, donner à ce dernier la possibilité de dire non à une manifestation…
Le gouvernement peut-il interdire une manifestation ?
Oui. Le gouvernement peut toujours interdire une manifestation. La question serait : pourquoi dit-on qu’une autorisation n’est pas nécessaire alors que l’État peut interdire la manifestation. La réponse est à la fois simple et complexe selon l’inclination des autorités vis-à-vis des libertés publiques. Mais le principe est que lorsque les autorités compétentes estiment que le rassemblement risque d’occasionner des troubles à l’ordre public, elles peuvent l’interdire. C’est pour cela que cette hypothèse est relative. Un gouvernement aux penchants totalitaires invoquerait toujours l’ordre public pour museler son peuple. Sachant que même les pays qui se disent ultras démocratiques ne respectent pas comme il se doit, le droit de manifester. La France par exemple, est souvent pointée du doigt pour ses interventions musclées contre des manifestants.
Faut-il déclarer la manifestation ?
Oui. Il faut effectivement déclarer la manifestation avant le jour prévu. C’est une façon de permettre aux autorités de l’encadrer afin de préserver le « fameux » ordre public. « Sont soumis à l’obligation d’une déclaration préalable, tous cortèges, défilés ou rassemblements de personnes et d’une façon générale, toute manifestation sur la voie publique » article 96 du Code pénal.
À qui s’adresser pour une déclaration de manifestation et pour quel délai ?
Pour faire une déclaration de manifestation, on s’adresse tout simplement aux autorités administratives du lieu qui va héberger l’événement. Il leur revient de prendre les dispositions nécessaires pour son bon déroulement. L’article 97 du Code pénal dispose : « La déclaration sera faite à l’autorité administrative chargée du maintien de l’ordre public sur le territoire national duquel la manifestation doit avoir lieu, trois jours francs au moins et quinze jours francs au plus, avant la date de la manifestation. La déclaration fait connaître les noms, prénoms et domiciles des organisateurs et signée par trois d’entre eux faisant élection de domicile dans le territoire où aura lieu la manifestation. Elle indique le but de la manifestation, le lieu, la date et l’heure du rassemblement des groupements invités à y prendre part et s’il y a lieu, l’itinéraire projeté ».
Est-ce une manifestation non déclarée est illégale ?
Pas du tout. La législation internationale laisse la possibilité d’une manifestation spontanée en réaction à l’actualité, sans qu’on puisse attendre une déclaration préalable. Bien que dans la pratique pour certains pays, on peut pénalement poursuivre les manifestants sur la base de la non-déclaration du rassemblement. Ce qui n’est pas tout à fait normal.
Peut-on limiter le droit de manifester ?
On peut, si c’est pour un intérêt public. Même si cette notion reste floue. En tout cas, en vertu de ce principe, on peut définir le parcours à suivre, des horaires à respecter et même exiger que le rassemblement soit immobile, un sit-in par exemple. Le gouvernement peut même aller jusqu’à l’interdire comme expliqué ci-haut.
Des attroupements.
Un attroupement est un rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l’ordre public.
Des attroupements armés
L’attroupement armé est interdit par la loi. « Est interdit sur la voie publique ou dans un lieu public : tout attroupement armé… ». Le Code pénal le définit de la manière suivante : « L’attroupement est armé si l’un des individus qui le compose est porteur d’une arme apparente, ou si plusieurs d’entre eux sont porteurs d’armes cachées, ou objets quelconques apparents ou cachés, ayant servi d’armes ou apportés en vue de servir d’arme ». À noter que la manière d’intervenir dans un attroupement armé diffère largement de celle d’un attroupement non armé.
Des attroupements non armés
L’article 91 du Code pénal interdit également les attroupements non armés, mais qui peuvent troubler l’ordre public. « Est interdit sur la voie publique ou dans un lieu public, tout attroupement non armé qui pourrait troubler la tranquillité publique ». Les forces de l’ordre ont la possibilité de disperser les personnes qui se sont regroupées. Dans ce sens, le même article 91 dispose : « Les représentants de la force publique appelés en vue de dissiper un attroupement ou pour assurer l’exécution de la loi, d’un jugement ou d’un mandat de justice peuvent faire usage de la force si des violences ou voies de fait sont exercées contre eux, ou s’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent ou les postes dont la garde leur est confiée ».
Mais il est important de préciser que les autorités ont souvent tendance à qualifier d’attroupement une manifestation pourtant pacifique. Et pourtant, lorsque le caractère tumultueux du rassemblement est absent, elles ne peuvent aucunement dire qu’il s’agit d’un attroupement. Et même si débordements il y a, ce qui n’est pas fréquent dans les manifestations annoncées pacifiques, les personnes publiques doivent intervenir non pour molester la foule, mais pour faire cesser toute forme de violence pouvant causer des dommages. Et ce recours doit seulement viser les personnes responsables de ces violences, tout en gardant la proportionnalité entre l’acte à réprimer et la répression. En revanche, il n’est nulle part autorisé de disperser des manifestants non violents, avec violence.
Pour finir, le droit de manifester est devenu une véritable bévue en Union des Comores. Bévue, car certains, ne sachant pas que c’est un droit constitutionnel, le foulent au pied sans aucune forme de décence ni ménagement. Une note aujourd’hui abrogée, semble-t-il, exigeait une autorisation pour manifester. En vertu de quoi ? Je ne sais pas. Et pourtant le constituant a été clair : « La liberté de pensée et d’expression, d’association, de réunion intellectuelle, artistique et culturelle, de manifestation (…) sont garanties » article 21 de la nouvelle Constitution. En dessous d’elle, le Code pénal n’est pas allé à l’encontre de ce principe. Mais comme je le dis souvent, le gouvernement a sa propre lecture de la loi et elle est rarement celle du législateur.
[/ihc-hide-content]
Mounawar Ibrahim, juriste.